Diego Angel Urdinola, économiste senior auprès de la Banque mondiale, estime que le résultat du projet pilote permettra de déterminer le rôle du gouvernement, du secteur privé et des bailleurs de fonds dans le développement des entreprises sociales au Maroc. Finances News Hebdo : Dans le cadre de la promotion de l'entreprise sociale au Maroc, la Banque mondiale met en place un fonds multi-bailleur pour financer les projets. Pourriez-vous nous éclairer sur ce fonds pilote ? Diego Angel Urdinola: Nous allons commencer tout d'abord par un fonds pilote pour promouvoir quelques entreprises sociales au Maroc. Les entreprises sociales sont des organisations qui fonctionnent souvent sur une base non lucrative, mais fournissent des biens et des services selon des méthodes qui s'inspirent du secteur privé. Elles génèrent des revenus, mais leur principal objectif est d'ordre social. Elles sont innovantes, veillent à leur stabilité financière, et possèdent un important potentiel de création d'emplois. Par exemple, la Grameen Bank du Bangladesh, spécialisée dans la prestation de services financiers aux pauvres, est une entreprise sociale qui emploie environ 35.000 personnes chaque année. Dans un premier temps, ce fonds sera doté d'une enveloppe d'un demi-million de Dollars, financé par un fonds multi-bailleur avec la participation du Royaume-Uni, de la Norvège, de la Finlande et du Danemark. L'objectif du fonds sera de mettre au point un programme pilote pour soutenir, accompagner et financer cinq associations marocaines pour devenir des entreprises sociales. L'idée est de pouvoir par la suite mobiliser d'autres bailleurs de fonds pour doter ce fonds d'un financement plus important dans un objectif d'apporter un soutien plus conséquent aux entreprises sociales au Maroc. F.N.H. : Quelle date avez-vous prévu pour le démarrage du projet ? D. A. U. : Nous allons démarrer ce projet pilote vers l'été 2014, à travers un appel à projet destiné aux ONG nationales. L'appel à proposition envisage d'identifier les 5 idées plus innovantes en matière de fourniture de services sociaux à la population la plus pauvre. F.N.H. : Votre initiative a été saluée par les deux ministres, aujourd'hui présents, qui n'écartent pas l'éventuelle participation du gouvernement dans le financement de ce fonds. Quelle va être la prochaine étape ? D. A. U. : Nous souhaitons poursuivre le dialogue avec les représentants du gouvernement pour explorer les options permettant de promouvoir les entreprises sociales au Maroc. Nous sommes encore dans une phase expérimentale et les résultats du projet pilote vont permettre de développer le dialogue sur la base des résultats concrets et de déterminer le rôle du gouvernement, du secteur privé et des bailleurs de fonds pour renforcer les capacités des ONG afin qu'elles puissent se transformer en entreprises sociales. F.N.H. : Vous avez annoncé que l'appel à projet allait sélectionner jusqu'à 5 ONG nationales dans le domaine de l'entreprenariat social. Quels sont les critères de sélection ? D. A. U. : Il s'agit d'un processus compétitif. Les associations qui vont se présenter seront sélectionnées sur la base des critères de l'innovation et de la compétence. Nous allons par la suite accompagner ces entreprises dans l'amélioration de leur compétence puis les financer pour qu'elles puissent développer leur projet, particulièrement dans le secteur de la santé, de l'éducation et dans les services d'emploi. F.N.H. : Une étude a été menée pour dresser un état des lieux de l'entreprenariat social au Maroc. Qu'a-t-elle révélé ? D. A. U. : L'étude a révélé que le secteur existe mais qu'il est peu développé. Les quelques entreprises sociales qui existent au Maroc rencontrent plusieurs difficultés, particulièrement en matière d'accès au financement. Ceci dit, le secteur suscite l'intérêt de plusieurs acteurs, notamment les coopératives et les associations (acteurs principaux) ainsi que les jeunes qualifiés qui ont acquis une expérience à l'étranger et qui cherchent à développer des entreprises novatrices pour servir la population défavorisée. F.N.H. : Qu'en est-il du rôle que doit jouer le gouvernement pour promouvoir l'économie sociale et par conséquent le développement de ce nouveau concept d'entreprise sociale ? D. A. U. : Le rôle du gouvernement se concrétise en deux niveaux principalement. D'une part, adapter la réglementation en mettant en place des mesures incitatives pour encourager la création d'associations et d'entreprises sociales, notamment en termes d'impôt. D'autre part, il devra davantage faire appel à ces associations solidaires et nouer des partenariats pour assurer un service public au niveau régional dans le domaine de la santé, de l'éducation ou autre. F.N.H. : L'aspect réglementaire peut-il freiner le développement de ce secteur ? D. A. U. : Au Maroc, il y a une réglementation spécifique aux associations sociales (ONG et coopératives) mais pas aux entreprises sociales. Il faut donc réviser et améliorer la loi pour booster la création des entreprises solidaires et leur faciliter l'accès aux financements et aux marchés publics. F.N.H. : Avez-vous mesuré l'impact de ce vide juridique sur la réussite de ce projet ? D. A. U. : Ceci peut, en effet, influencer la réussite de ce projet, mais l'idée est aussi de démontrer au gouvernement marocain la valeur ajoutée de ce projet pilote qui peut mieux fonctionner avec une réglementation adaptée.