Certains disent pis que pendre du ministre, descendent en flammes son œuvre et étreignent son bilan, pendant que d'autres prennent sa défense, louent son action et mettent en avant son apport au champ culturel. Autant dire que le ministre est l'objet d'une appréciation contrastée.
Par R. K. Houdaïfa
L'état de notre culture n'est pas enviable. Faut-il pour autant jeter la pierre aux ministres qui se sont succédé ? A leur décharge, on invoquera volontiers l'insignifiance du budget qui est alloué à leur département. Ils n'avaient, tout bien considéré, d'autre ressources que de naviguer à vue. Ne soyons pas étonnés, dès lors, que de nombreux secteurs culturels aient pris l'eau de toutes parts. Othman El Ferdaous tient la barre du bateau en déréliction depuis le 7 avril 2020. A-t-il été en mesure de redresser la situation artistique et culturelle ? Au désenchantement des uns, indisposés par la nomination d'un ministre nourri en marge du sérail, répond la liesse des autres, qui considèrent que la culture est une chose trop sérieuse pour qu'on la confie aux intellectuels. El Ferdaous, lui, ne passe pas comme un faiseur de miracles. Il a du pain sur la planche. Si on devait coller une étiquette à Othman, en se basant sur son parcours, on penserait à celle de technocrate plutôt qu'à celle de l'homme de culture. Non pas que l'homme ne soit pas cultivé, mais il s'agit quand même d'un ex-auditeur conseil chez PriceWaterHouseCoopers (entre 2003 et 2006), puis de directeur et chargé de mission chez Mena Media Consulting (de 2008 à 2016), de surcroît, ancien secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'industrie, chargé de l'Investissement (en 2017). C'est dire que sa nomination à la tête du ministère des Affaires culturelles a été une surprise. Mais ces différentes remarques ne signifient pas que ledit ministre est parti avec un handicap dans l'exercice de ses fonctions. Bien au contraire. Cet habitué des rouages administratifs et entrepreneuriaux est acquis aux vertus du libéralisme. Il connaît les restrictions budgétaires. Il sait ce que signifie l'expression «allocations des ressources». Ce qui ne sera pas de trop quand on hérite d'un ministère aux ressources particulièrement maigres. De quel mal se plaignait jusqu'ici le ministère de la Culture ? La réponse est évidente : de la minimalité du budget qui lui est allouée. Ce handicap de taille s'est toujours dressé sur le chemin de projets et d'initiatives qui auraient insufflé un élan salutaire à notre culture. Le budget de la Culture, pour l'année 2021, est estimé à 480 millions de dirhams. Certes, à répartir entre les dépenses du personnel, de matériel et d'investissement. Mais la rareté des ressources affectées à la Culture ne date pas d'hier. C'est un mal chronique dont souffre le département de tutelle. Pour rappel, les Affaires culturelles sont le ministère de tutelle de plusieurs secteurs : cinéma; patrimoine (musées, monuments historiques, traditions, usages et coutumes…); théâtre; musique; arts chorégraphiques; arts plastiques; arts et expressions populaires; bibliothèques; livres; maisons de culture; animation culturelle… A la lecture de cette liste, la préservation du patrimoine et des expressions culturelles traditionnelles apparaît comme une priorité évidente. Le risque, bien entendu, c'est qu'une telle priorité masque d'autres urgences, comme le développement culturel et la promotion des modes d'expression en vogue. Ceci semble avoir longtemps prédominé au niveau du ministère de tutelle et pas forcément d'une manière efficace. Alors que ce qui fait la vitalité et le rayonnement d'une culture, c'est aussi ce qu'elle crée tous les jours.
Etat des lieux D'entrée de jeu, le nouveau ministre mit un point d'honneur à démontrer qu'il n'était ni une potiche, ni une personne qui cultiverait un jeunisme stérilisant, mais un capitaine vaillant appelé pour redresser la barre d'un navire à la dérive. Parmi les projets importants étudiés ou lancés par le ministère, citons : • la distribution anticipée de 35.4 MDH par le Bureau marocain des droits d'auteurs (BMDA) au profit des auteurs et créateurs adhérents, de toutes les répartitions restantes programmées pour l'exercice 2020. A cela s'ajoute une distribution des perceptions de l'année 2019 des droits d'auteur et de la rémunération pour copie privée pour les trois catégories : lyrique, dramatique et littéraire. • la mise en place d'une enveloppe globale de 39 MDH pour les projets artistiques (dans les domaines du théâtre et tournées nationales; de la musique, chansons, arts de la scène et arts chorégraphiques; des expositions d'arts plastiques et/ou visuels portées par les galeries). • le lancement d'un programme «exceptionnel» de soutien aux secteurs culturels des mondes de l'art et du livre en plaçant une enveloppe de 11 MDH pour l'acquisition d'ouvrages auprès des librairies et des éditeurs afin de les distribuer dans les bibliothèques publiques; pour l'édition de revues culturelles (papier et électronique), les opérations de sensibilisation à la lecture, et enfin pour la participation des auteurs marocains aux résidences d'auteurs et aux salons internationaux. Une des actions structurelles ou de communication menées et qui mérite aussi d'être signalée : la signature de trois conventions de coopération avec la Fondation nationale des musées (FNM), comprenant le prêt d'œuvres issues de la collection non exposée du département de la Culture, la contribution solidaire à hauteur de 2 MDH pour l'acquisition d'œuvres d'arts plastiques ou visuels auprès des artistes, la participation à la digitalisation des collections de la FNM par la mise à sa disposition d'un scanner très haute définition. Othman El Ferdaous n'avait pas, en effet, la partie facile. Et si les ministres précédents attachaient une importance considérable au patrimoine, mais souvent au détriment des autres secteurs; sans tomber dans cet écueil, Othman maintient cette tradition en l'améliorant parfois, déjà en s'évertuant à ériger sa digitalisation en tant que l'un des principaux facteurs du développement. Pourtant, l'action du ministre de la Culture n'est pas appréciée de tous et a été parfois violemment controversée. Il faut reconnaître qu'il s'est intéressé de plus en plus aux questions des droits d'auteur, aux projets artistiques, au secteur de l'édition, et notamment à la presse; mais les efforts déployés demeurent timides. Il n'a pas réussi à mettre de l'ordre dans les secteurs. Il y règne, en dépit des efforts, l'amateurisme, mais d'une anarchie surprenante. Le Syndicat artistique des droits voisins (SADV), le Syndicat artistique des producteurs et auto-producteurs (SAPA), ainsi que le Syndicat des auteurs et compositeurs indépendants marocains (SACIM) avaient été surpris par les résultats «décevants» du programme de soutien du domaine artistique, qui ne répondaient pas aux circonstances exceptionnelles dans lesquelles le secteur passe depuis la mise sous cloche. Plusieurs artistes ont pris à partie la décision du ministère, estimant que les subventions ont été allouées à des individus méconnus de la scène artistique ou encore à des artistes qui en bénéficient chaque année au détriment d'autres, qui, eux, sont en difficulté à cause de la pandémie. Othman El Ferdaous n'a pu que gérer au jour le jour, généralement dans l'incohérence, un legs qui ne vaille rien. A la question, «qu'a-t-il fait Othman El Ferdaous pour la culture de notre pays ?», la comédienne Fatima Zohra Lahouitar répond : «J'ai tellement pensé à cette question que je n'ai trouvé comme réponse qu'un grand vide avec un son d'une tête qui se trouve sous l'eau… Tu connais ce son?» Dans une époque soumise à la domination de l'instrument et de la marchandise, la culture est plus que jamais nécessaire. Elle seule peut sauver l'homme du machinisme taylorisé et de l'information des cervelles. Ce n'est pas la politique qui fait avancer le monde, mais la science et la culture. Le politique doit faire la synthèse. Pour l'heure, le génie est sorti de la bouteille, et nul ne sait vraiment si on pourra l'y remettre.
La galeriste, Aziza Laraki parle de son ministre «Il est jeune, le benjamin du gouvernement, il est talentueux, vient du secteur privé, d'un domaine de pointe de notre société, à savoir l'observation des réseaux sociaux, lorsqu'il est nommé ministre de la Culture au moment où la pandémie amorce son parcours mortifère ! Sa solide formation acquise entre l'ENA et Sciences Po', enrichie de son expérience professionnelle et ses racines montagneuses vont l'armer pour faire face à ce défi. A la fois féru de culture islamique et archétype de la nouvelle élite marocaine, il a très vite appréhendé qu'en cette période critique, la Culture devait être préservée, voire sanctuarisée. Ainsi, il a multiplié les aides en accordant des subventions aux galeries privées qui étaient obligées de fermer, en achetant des œuvres d'artistes et en les exposant, en multipliant la rénovation de lieux culturels. Othman El Ferdaous, c'est un cocktail d'intelligence, de sensibilité artistique, de bon sens, de dynamique qui concourt à insuffler de la vie... l'inverse de la pandémie !»
L'artiste Monia Abdelali se désole «Quand tu habites à Agadir et que tu n'es affiliée à aucun parti politique ou association, tu n'es pas du tout calculée. Tu ne reçois aucune aide et tu n'as aucun droit ni d'exposer au musée, ni de participer à des réunions, ni d'avoir un financement. Il faut passer par un artiste politisé qui s'est autoproclamé détenteur de tout droit. Le fait d'être une femme n'arrange rien car tu ne peux survivre que si tu as un parrain homme, aussi cupide soit- il. Si tu ouvres un débat, le plus basic possible, tu es blacklistée. Bref, ce ministre est pour moi invisible, inexistant. L'art avec un petit 'a' est donné à celui qui parle le plus fort à Agadir (littéralement), et avec un grand 'A', il est donné au Superman qui a la mainmise sur l'art marocain (aussi sympathique soit- il). Donc, ce cher ministre, s'il existe vraiment, j'aimerais qu'il se penche sur ce cas. Désolée !»
Les doléances de Hicham Daoudi, fondateur et gérant de la Compagnie marocaine des œuvres et objets d'art (CMOOA) et maître de céans de la galerie Comptoir des mines. «Vraiment hâte de découvrir qui pourrait être notre ministre de la culture demain ou si on laisserait l'actuel ministre en place continuer son projet. Quelque soit le cas je fais le vœu pieux que le budget de la culture soit augmenté pour accompagner le formidable élan de notre jeunesse actuelle, qui rêve, chante et aspire a un monde meilleur. Je continue de croire au crédit culturel qui serait garanti par la CCG d'un montant de 1 milliard de dirhams pour encourager des initiatives culturelles allant de la digitalisation a l'équipement et l'accompagnement de projets sur tout le territoire. Les promoteurs culturels de Tiznit a Oujda peuvent changer le visage du Maroc en aménageant une terrasse d'un site historique, a la création de studios, d'ateliers, ou de milles façons encore. Mr Le premier ministre une révolution culturelle et anglophone s'opère au Maroc depuis bientôt 5 ans, accompagnez-la et soyez en son premier défenseur. L'histoire est en marche de toute façon mais il faut de l'aide aujourd'hui car la covid-19 a décimé les acteurs culturels ou s'apprête a le faire dans ce dernier trimestre 2021.»