Le nouveau climat offre d'énormes opportunités pour le Maroc. Dr. Mohamed-Saïd Karrouk, Professeur de climatologie à l'Université Hassan II et Président du comité national IGBP / IHDP / ESSP - ICSU (Global Change), décortique la situation et l'enjeu du nouveau climat mondial. Finances News Hebdo : Le changement climatique est parmi les préoccupations majeures du millénaire. Tout d'abord, quel est l'état des lieux de notre planète ? Mohamed-Saïd Karrouk : A l'état où on est, le réchauffement climatique a augmenté de 0,8° C. Ceci a fait installer au niveau planétaire une nouvelle situation atmosphérique avec une atmosphère plus chaude qui a une influence directe sur l'environnement global à partir des écosystèmes. Tous ces écosystèmes sont modelés à l'amont et à l'aval par le facteur eau. Ce qui fait qu'avec l'augmentation de la température, l'évaporation augmente et le pouvoir évaporateur du sol augmente également. Par conséquent, une grande partie de l'eau qui était au sol s'est évaporée et se trouve désormais dans l'atmosphère. Maintenant, avec le retour de cette eau et cette condensation, on remarque qu'à travers le monde ce retour est abondant par rapport à ce qu'il était. Ceci ne veut pas dire que l'eau a augmenté. Absolument pas, car l'eau globale au niveau planétaire est stable. Ce qui change plutôt, c'est l'état de cette eau. Une grande partie qui était liquide au sol est dans l'atmosphère et aussi une grande partie qui était solide sous forme de neige a fondu. Nous sommes devant un nouveau cycle de l'eau qui connaît une distribution planétaire. C'est pour cela que nous observons dans beaucoup d'endroits des inondations qui deviennent très fréquentes. F. N. H. : La violence des cyclones et des typhons qui surgissent dans les quatre coins de la planète est-elle liée à ce phénomène ? M. S. K. : Effectivement, une grande partie de ce que nous observons aujourd'hui est liée au réchauffement climatique. Les cyclones ne sont pas nouveaux mais c'est plutôt leur fréquence et leur férocité. Un phénomène qui n'est autre qu'une énergie supplémentaire par rapport à la normale et à nos références. Donc, nous observons qu'avec l'augmentation de la température, les cyclones sont plus alimentés que la normale et donc plus puissants et plus destructeurs. Par ailleurs, chaque année, un cyclone est considéré plus puissant que l'année auparavant. Autrement dit, ce que nous considérions, il y a 50 et 60 ans comme étant exceptionnel, devient aujourd'hui une situation normale. Ceci est essentiel au niveau scientifique, mais surtout au niveau culturel. Il ne faut plus se comporter avec ces phénomènes comme étant des phénomènes exceptionnels. Non, ce ne sont que les caractéristiques du nouveau climat. Car c'est la manière avec laquelle on se comporte avec ces phénomènes qui va déterminer celle avec laquelle on va les gérer politiquement, socialement et financièrement. Il s'agit donc d'une question culturelle qui va définir une notion politique. Outre les cyclones, les inondations et les incendies sont d'autres facettes du réchauffement climatique. A travers le monde, nous observons dans le même pays deux zones différentes, une région pluvieuse et une autre sèche. Les 0,8°C de température qui a augmenté ne représente certes rien par rapport à l'homme, mais ceci peut par contre bouleverser tout l'écosystème auquel nous appartenons. C'est pour cela que la grande difficulté que nous avons, c'est toute cette structure sociale, économique et physique que l'homme a développée pendant le 19ème et le 20ème siècle pour se sauvegarder mais qui ne peut plus assumer les missions qui lui ont été décernées. Paradoxalement, dans le réchauffement climatique, il n'y a pas que le côté négatif mais il y a aussi le volet positif notamment l'augmentation de la production agricole à travers le monde. F. N. H. : Récemment, l'échec de la conférence de Varsovie sur le climat a été évité de justesse. Quelle lecture faites-vous de cette rencontre ? Et à quoi peut-on s'attendre de la Conférence de Paris ? M. S. K. : Depuis le sommet de Copenhague en 2009, les négociations autour du climat ont pris un virage de 90°. A partir de cette date, on ne parle plus de l'atténuation du réchauffement climatique. On ne peut plus parler du Protocole de Kyoto qui a instauré des lois contraignantes vis-à-vis du réchauffement climatique à l'encontre des grandes nations les plus pollueuses. A partir de cette date, l'humanité s'est trouvée en réelle difficulté et incapable d'agir vis-à-vis de l'augmentation de la température. Ceci était attendu. Je l'ai bien dis auparavant, le concept du Protocole de Kyoto est biaisé car il est impossible de l'accomplir par les nations qui l'ont proposé. A partir de 2009, toutes les discussions et les négociations sont orientées vers la manière par laquelle nous devons nous adapter au réchauffement climatique plutôt que de réduire les émissions. Le discours scientifique a été abandonné définitivement. Donc, l'adoption ou non du Protocole de Kyoto en 2015 reste symbolique car les nations qui l'ont signé et qu'on cherche à les faire adapter à ce protocole, ne représentent que 15% de la pollution mondiale. Ce qui est réellement discuté aujourd'hui, c'est la manière par laquelle on va garder les nations pauvres dans les discussions en espérant de leur créer un fonds Vert ou un fonds du climat pour les aider à s'adapter. Un fonds qui malheureusement n'arrive pas à être alimenté à cause de la crise économique et financière des grandes puissances. Conclusion, si ce sommet a été sauvé, il l'a été par un discours et non par des actes politiques. La situation est délicate car les grands pollueurs ne vont pas s'arrêter de polluer c'est leur puissance économique qui est derrière cette pollution. Actuellement, nous sommes en phase de chercher au niveau mondial une énergie alternative au pétrole qu'on n'arrive toujours pas à trouver. Pour ne pas rester dans le pessimisme, les modèles ne sont que des scénarios futurs. La réalité est que du point de vue scientifique, nous ne comprenons pas comment réellement la nature, ni l'atmosphère, ni l'océan, ni le sol, ni les forêts...vont évoluer avec cette augmentation de la température. Je crois que l'homme a les capacités pour trouver des solutions et ainsi s'adapter convenablement à ce changement. F. N. H. : Comment peut-on adapter nos infrastructures à cette nouvelle donne ? M. S. K. : Il faut certes adapter nos infrastructures. Ce qui va coûter un investissement important et beaucoup de temps. Les inondations de Casablanca en 2010 sont l'exemple de l'inadaptation des infrastructures de base à ce changement. Il est impératif d'adapter nos infrastructures à l'évolution du climat d'aujourd'hui et de demain. F. N. H. : Quelles sont, aujourd'hui, les conséquences directes du réchauffement climatique au Maroc ? M. S. K. : Le Maroc est situé dans une zone de transition climatique. Il est un carrefour d'influence des deux systèmes climatiques. L'évolution du climat qui se réchauffe a réussi à faire installer au niveau de l'hémisphère nord une circulation atmosphérique qui n'était pas attendue. La circulation actuelle nous donne alternativement le froid et la chaleur. Autrement dit, cette situation en Afrique du Nord nous donne une alternance très courte et rapide du froid et de la chaleur et donc de l'humidité et de la sécheresse. L'hypothèse que le Maroc va manquer d'eau dans le futur est fausse. Je suis en désaccord total avec ce discours car le nouveau climat nous donne une garantie du retour de l'eau presque chaque année mais pas avec la même fréquence ni au même moment. F. N. H. : L'économie marocaine est étroitement liée à l'agriculture et donc au climat. Est-ce qu'on doit comprendre qu'il faudra adapter notre agriculture à cette nouvelle donne climatique? M. S. K. : Ce qu'il faut, c'est de comprendre ce nouveau climat et d'adapter le calendrier agricole marocain pour mieux gérer notre agriculture. Il faudrait cependant arrêter de gérer l'économie marocaine et d'élaborer des plans agricoles en se basant sur des références qui n'existent plus. Malheureusement, on ne trouve pas le changement climatique dans le plan Maroc vert par exemple. Ce plan ne prend pas en considération les évolutions récentes qui ne sont pas dans l'histoire du climat. Aujourd'hui, nous avons énormément d'opportunités que ce nouveau climat offre. F. N. H. : Est-ce que la communauté scientifique collabore avec les pouvoirs publics dans ce sens? M. S. K. : Les climatologues marocains, du moins ceux que je connais, ne sont pas impliqués dans les discussions avec le ministère pour l'Economie et pour le futur social, économique et politique de notre pays. Il faut tout d'abord que la science soit à l'amont de toutes les négociations et décisions politiques. Viennent ensuite la technologie et la technicité pour aboutir à une décision politique convenable. Malheureusement, ce sont les pays voisins qui profitent de nos recherches scientifiques qui ont été réalisées pour aider le décideur marocain à prendre des décisions convenables pour le futur des Marocains. F. N. H. : L'adoption de la Charte nationale de l'environnement et du développement durable a-t-elle un impact sur le réchauffement climatique au Maroc ? M. S. K. : La Charte n'est pas une loi, c'est plutôt un accord éthique. Ce qu'il nous faut réellement, c'est des lois avec un pouvoir politique qui applique ces lois. En tant que scientifique, je constate qu'il faut encore du temps pour que cette notion puisse élaborer un avenir commun.