Le gouvernement aura réussi une prouesse : augmenter le budget alloué à la promotion touristique sans dépenser un copek. L'alcool et le tabac : les vaches à lait idéales. La bière, produit «haram», va rapporter 793 MDH à l'Etat en 2014. Ce n'est pas parce que le prix des billets d'avion pour les vols internationaux va subir une augmentation de 100 DH (classe économique) à 400 DH (classe affaire) que les Marocains vont voyager moins. C'est cette conclusion qui a sans doute sous-tendu la mise en place d'une taxe aérienne dans le cadre du projet de Loi de Finances 2014, qui devrait entrer en vigueur à partir du 1er avril prochain. Dans un contexte caractérisé par des finances publiques en berne, le gouvernement racle, en effet, les fonds de tiroirs et taxe tout ce qui peut l'être. Mais le prix de l'austérité budgétaire, ce sont les citoyens qui le payent au prix fort. Pas tous; une partie des contribuables seulement. Ceux qui, semble-t-il, ont un certain pouvoir d'achat et ne s'abritent pas derrière des lobbies puissants comme ceux du secteur agricole ou du transport. En cela, l'instauration de cette taxe aérienne, qui devrait rapporter à l'Etat pas moins de 800 MDH, est à analyser sous deux rapports. D'abord, il fallait tempérer les grognements des professionnels du tourisme qui ont notamment vu le budget alloué à la promotion du secteur passer de 480 à 300 MDH. Ainsi, 50% des recettes récoltées à travers cette taxe seront reversées à l'Office national marocain du tourisme (ONMT), les 50% restantes allant au Fonds d'appui à la cohésion sociale qui, désormais, se nourrit de pratiquement tous les secteurs. Ensuite, le gouvernement aura réussi une prouesse : augmenter le budget alloué à la promotion touristique sans dépenser un rond, le tout étant à la charge des voyageurs. Ces derniers peuvent-ils s'en plaindre ? A l'évidence non. Aujourd'hui, leur seule manière de protester, si tant est qu'ils veulent le faire, c'est de... refuser de prendre l'avion (sic). En fait, pour qui suit de près l'élaboration des Lois de Finances de ces dernières années, cette démarche du gouvernement est loin d'être inédite. L'Etat a, en effet, pris cette habitude de sévir fiscalement davantage là où les lobbies sont peu présents, voire carrément absents, ou dans des secteurs où il est difficile, pour ne pas dire très délicat, de réprouver publiquement une hausse des taxes. C'est le cas notamment du secteur du tabac qui fait les frais d'une hausse de la taxe intérieure de consommation (TIC) à chaque fois que le gouvernement est confronté à une pénurie de ressources. Le secteur des boissons alcoolisées loge, tout autant, à la même enseigne. Ces deux produits restent une cible privilégiée pour l'Etat qui peut facilement les surtaxer sans conséquences majeures. En 2014, la taxe sur les tabacs et les succédanés de tabacs manufacturés va d'ailleurs rapporter pratiquement 8,2 Mds de DH, au moment où la TIC sur la bière rapporterait, à elle seule, 793 MDH contre 768 MDH en 2013, soit 25 MDH de plus. Et depuis que le PJD est aux affaires, la TIC sur la bière a pratiquement doublé, passant de 550 DH par hectolitre à 900 DH. Qui va se dresser contre une hausse de la TIC sur la cigarette, laquelle pose un problème de santé publique ? Qui ose s'indigner ouvertement d'une hausse des prix des boissons alcoolisées dans un pays où leur vente est officiellement interdite aux Musulmans et où les citoyens ne sont pas censés en consommer ? En taxant à tour de bras un produit nuisible pour la santé et un autre «haram» (contraire aux préceptes de l'Islam), l'Etat renfloue ses caisses et s'évite subtilement des diatribes. L'alcool s'invite au Parlement Reste que cette propension à faire de ces deux produits des vaches à lait commence à faire jaser. Dans l'hémicycle notamment, l'alcool s'est invité récemment dans les débats... et de façon assez risible, il faut le dire. Car si certains députés estiment que c'est un produit «haram» qu'il faut logiquement surtaxer, d'autres pensent plutôt que... c'est un produit de première nécessité pour bon nombre de Marocains (sic !). Carrément ! Une assertion qui paraît certes saugrenue, mais qui prête à réfléchir avec un peu de recul, au regard notamment des statistiques rendues publiques par International Wine and Spirit Research : le Maroc serait le douzième pays musulman où l'on consomme le plus d'alcool et les Marocains consommeraient l'équivalent de 131 millions de litres d'alcool par an, dont 400 millions de bouteilles de bière. Autrement dit, chaque jour il est consommé pratiquement 1,1 million de bouteilles de bière dans le Royaume. A l'évidence, ce produit, tout en étant «haram», rapporte beaucoup à l'Etat qui n'envisage guère de se priver de cette manne financière, surtout en cette période de disette. Et dès lors que les débats restent confinés au Parlement, portés par des voix à peines audibles, la fiscalité continuera de s'abattre lourdement sur la cigarette et l'alcool. Mais ce n'est pas en colmatant les brèches, à gauche et à droite, que l'Etat parviendra à résorber durablement le déficit structurel des finances publiques. Sa priorité devrait surtout être de mettre fin à l'iniquité dans la pratique fiscale, à travers notamment une réforme en profondeur du système fiscal, comme le réclame d'ailleurs le patronat. Mais à ce niveau, il ne faut pas se faire trop d'illusions. Déjà, dans son volet fiscal, le projet de Loi de Finances 2014 comporte deux dispositifs très controversés : le premier est lié à la tentative de réforme de la TVA qui fait couler beaucoup d'encre, et le second a trait à la fiscalisation du secteur agricole, qualifiée de mascarade par certains observateurs.