Equité et redevabilité sont les lignes conductrices de la nouvelle stratégie de la BM qui vient répondre aux attentes des peuples arabes après le Printemps arabe. Enis Bariş, responsable du secteur Santé à la Banque mondiale, Département du Développement Humain, Région du Moyen Orient et Afrique du Nord, nous dévoile les lignes directrices de la nouvelle stratégie de la BM en matière de santé dans la région MENA. Finances News Hebdo : Quelles sont les raisons qui ont poussé la Banque mondiale à développer une nouvelle stratégie dans le domaine de la santé dans la région MENA ? Enis Bariş : La Banque mondiale développe souvent des stratégies aux niveaux global et régional, et cela pour plusieurs secteurs. Nous avons 19 secteurs et 6 régions, y compris la région Moyen-Orient et l'Afrique du Nord (MENA). Effectivement, nous avons développé une stratégie multi-sectorielle pour la région MENA mettant l'accent sur la bonne gouvernance, la création d'emplois sur l'inclusion sociale et, aussi, le développement du secteur privé. Dans ce cadre, nous avons travaillé sur l'élaboration d'une stratégie dans le domaine de la santé, la nutrition et la population du fait que le paysage politique et social a beaucoup changé dans la région avec l'avènement du Printemps arabe qui continue de toucher certains pays. Il s'agit d'un long processus avec des hauts et des bas. Mais l'une des choses que la population a exprimé le plus, c'est d'avoir plus de liberté, plus d'équité et plus de responsabilisation des gouvernements en matière de redevabilité. Cette stratégie va donc appliquer ces valeurs et ces principes directeurs exprimés par les peuples arabes en matière de santé. Cependant, dans la région MENA qui compte 20 pays, il y a certes des variations. Notre objectif était de préparer une stratégie qui ne soit pas traditionnelle, c'est-à-dire orientée vers les grandes priorités de santé et problèmes des systèmes de santé, mais plutôt une stratégie axée sur des principes fondateurs pour tout système qui souhaiterait améliorer sa performance : ceux de l'équité et de la redevabilité. Pour que la Banque mondiale accorde son assistance à un pays, soit-elle technique ou financière, il faut que l'objectif de la demande soit aligné avec les principes directeurs de cette stratégie, à savoir l'amélioration de l'accès aux soins pour les populations défavorisées, la mise en œuvre de programmes de santé visant à éliminer les écarts en matière de promotion, de prévention et de prise en charge, et le renforcement de la redevabilité des prestataires et des payeurs vis-à-vis la population... Il s'agit donc d'un changement assez profond dans notre modus operandi et dans les critères de base pour déterminer la nature et le contenu de notre assistance technique et financière que nous pouvons accorder aux pays de la région. Cette nouvelle stratégie de la Banque mondiale a été saluée, aussi bien de la part des gouvernements que des peuples. Bien évidemment, à cause des spécificités de chaque pays nous allons adapter l'application des principes directeurs d'un pays à un autre pour rendre leurs systèmes respectifs plus redevables. Cela se fera par le biais d'un plan d'engagement qui sera préparé spécifiquement pour chaque pays de la région. Pour revenir au cas du Maroc, nous sommes très satisfaits qu'il y ait une volonté et un engagement politique au plus haut niveau, tel qu'exprimé par le message de SM le Roi aux participants de la 2ème Conférence Nationale de la Santé qui s'est tenue à Marrakech du 1er au 3 juillet 2013. Il existe une vraie volonté de réforme du système de la Santé. Je suis ravi de voir que les problèmes du système sont discutés ouvertement et qu'il y a une entente entre les parties prenantes sur les diagnostics et les réels défis de la santé au Maroc. Cette étape est actuellement franchie et le gouvernement aujourd'hui a publié un Livre blanc sur la politique de la santé au Maroc. F. N. H. : Quels sont les critères d'évaluation sur lesquels se base la Banque mondiale pour l'octroi de l'assistance technique et financière ? E. B. : Pour le cas du Maroc, si le gouvernement marocain décide de demander un appui technique ou financier, les conditions d'appui seront réunies puisque tous les éléments d'équité, de redevabilité et de pérennité sont déjà exprimés dans le Livre blanc. Pour être plus spécifique, les trois axes de la réforme : la protection des populations, la couverture universelle et la bonne gouvernance sont totalement alignées avec nos principes directeurs. Pour le moment, l'engagement que nous avons avec le gouvernement, est de préparer un appui technique à l'élaboration d'une feuille de route pour aboutir à une couverture universelle au Maroc et à une Charte nationale de la Santé. Ceci pourrait éventuellement aboutir à un prêt financier, si le gouvernement le désirait. F. N. H. : Avez-vous reçu une demande officielle du gouvernement marocain pour le prêt? E. B. : Nous n'avons pas encore reçu de demande formelle, mais nous savons que dans le but de mettre en œuvre ces réformes, le ministère de la Santé aurait l'intention de faire une demande d'assistance technique et financière de la Banque mondiale. F. N. H. : Comment se positionne le Maroc en matière de dépenses publiques et privées dans la santé par rapport aux autres pays de la région ? Quel serait l'idéal en matière de dépenses ? E. B. : Au Maroc, les dépenses privées sont supérieures aux dépenses publiques avec respectivement 54% et 46%. C'est mieux que l'Egypte mais moins bien comparé à d'autres pays de la région. Concernant les dépenses, il n'y a pas d'idéal puisque chaque système est différent. Cependant, dans les pays les plus développés, jusqu'à 75% correspondent à des dépenses de nature publique et le reste est à la charge des ménages. Certes, nous aimerions que l'Etat devienne plus impliqué dans le financement des dépenses publiques de santé pour un meilleur accès aux soins de la population économiquement démunie et une meilleure protection financière. Mais ce qui importe le plus, également, c'est comment est dépensé cet argent. Va-t-on dépenser cet argent dans les grands CHU pour que les gens puissent avoir accès à des traitements performants qui seraient coûteux et dont l'efficacité serait douteuse aux dépends des soins de santé primaires destinés aux personnes vivant en milieu rural ? Comment cet argent va-t-il être dépensé ? Va-t-il profiter à toute la population ou à seulement un segment? C'est donc une question d'équité et de redevabilité pour que toute la population ait accès aux soins de santé qui sont définis d'une façon transparente.