Si, au Maroc, la finance participative en est encore au stade de «curiosité» qui nécessite d'être étudiée, ficelée puis expérimentée, à l'international elle devient un véritable levier de financement, et ce même dans les pays non musulmans. A ce titre, des experts se sont récemment réunis à Casablanca pour discuter de l'un des produits les plus en vogue de la finance participative : les Sukuk. Tour d'horizon des meilleures pratiques en compagnie des professionnels. L'initiative est à mettre au crédit de l'Association marocaine pour les professionnels de la finance participative (AMFP). Ce workshop, sous le thème : «Sukuk, nouveau gisement de financement pour le Maroc», a vu la participation de Anass Patel, un expert international qui a déjà travaillé sur des opérations de structuration se rapportant à la finance participative, de manière générale, et les Sukuk en particulier. Pour lui, «il y a autant de manières de penser les Sukuk et de les concevoir que de projets. Du moment qu'ils sont adossés à des actifs tangibles ou à l'usufruit de ces projets, le reste n'est que détail pour répondre au mieux aux besoins des émetteurs». Cette largesse dans la définition des objectifs des émissions a fortement contribué à la démocratisation de ce marché qui reste relativement jeune. Dans le monde, c'est la Malaisie qui continue à drainer, de loin, le maximum de capitaux. Aussi, les levées souveraines en Sukuk s'intensifient-elles et les conditions de financements s'améliorent-elles constamment. Par exemple, la Malaisie a réussi à lever une dette souveraine de 1,2 Md de dollars en 2011 à un taux de 2,99%. L'Indonésie a levé 862 millions de dollars la même année, et le gouvernement du Bahreïn, 750 millions de dollars. La tendance s'accélère également dans le secteur privé qui, à l'image de General Electric avec une levée de 500 millions de dollars, devient le secteur qui tire le plus profit de cette forme de financement. «Cela vient du fait que même dans les pays non musulmans, certaines entreprises ont des business qui collent parfaitement aux règles des Sukuk. Leurs émissions ne peuvent être que réussies», explique Anass Patel. L'apport de la loi 33-06 au Maroc Plus connue sous le nom de la loi sur la titrisation, la loi 33-06 a également introduit le cadre juridique et fiscal permettant l'émission de Sukuk, car ce type d'émissions s'approche dans sa conception de celle des opérations de titrisations standard. Houda Chafil, deuxième panéliste lors de cet événement et Directeur général de Maghreb Titrisation (seul opérateur autorisé à structurer des opérations de titrisation au Maroc), a passé en revue l'ensemble des articles de la loi 33-06 qui portent sur les Sukuk. En effet, avant cette loi, les Fonds communs de placements en titrisation (FCPT), ces organismes habilités à effectuer des opérations de titrisation, ne pouvaient pas titriser des actifs dans le but d'émettre des Sukuk. «Aujourd'hui, avec l'amendement de cette loi, la notion d'acquisition temporaire ou définitive d'actif a été introduite. Cela permet de travailler sur des Sukuk Ijara dont la structure repose sur l'acquisition d'un actif éligible en vue de sa location à l'établissement initiateur, puis sa revente à ce dernier à la fin du financement», explique Houda Chafil. Dans ce sens, l'article 6 est bien explicite: «Les titres qui peuvent être émis par un FCPT sont les parts, les actions, les titres de créances et les certificats de sukuk. Ces titres peuvent être, dans les conditions prévues par le règlement de gestion, libellés en devises ou régis par une législation étrangère». De ce fait, ce type de financement n'a plus rien à envier aux autres modes de financement. Un peu plus loin dans le texte de loi, on retrouve la définition exacte donnée par le législateur aux Sukuk : «Les certificats de Sukuk sont des titres représentant un droit de jouissance indivis de chaque porteur sur des actifs éligibles acquis, ou devant être acquis, ou des investissements réalisés, ou devant être réalisés par l'émetteur de ces titres», ajoute Houda Chafil. Aussi, toute émission de certificats de Sukuk est-elle conditionnée par l'obtention d'une attestation de conformité aux prescriptions de la charia, auprès du Comité charia pour la finance. La composition, l'organisation et les règles de fonctionnement de ce comité sont fixées par Dahir. D'un point de vue fiscal, les Sukuk sont éligibles à la TVA, mais également au titre de l'IS et celui de l'IR. Le traitement fiscal de ces produits se rapproche beaucoup de celui des obligations. En effet, concernant la TVA, l'imposition des loyers des biens perçus par l'émetteur des Sukuk dont les actifs sont remboursables in fine se fait au taux réduit de 10%, tandis que les revenus de l'investisseur sont imposés de la même manière qu'un produit financier traditionnel, que ce soit au titre de l'IS ou de l'IR. L'impôt y afférent est retenu à la source. En définitive, Il n'y a pas de structure standard de Sukuk du point de vue de la charia car chaque transaction a ses propres dynamiques. Par contre, l'émetteur doit prendre en compte plusieurs critères pour identifier la meilleure structure de son Sukuk. Le premier critère, et c'est le point de départ de toute structuration est le type d'actif sous-jacent. Car, c'est à partir de ce point là que le choix de la catégorie de Sukuk à utiliser est déterminé. L'initiateur doit également fixer ses objectifs de structuration. Cela peut être un besoin de liquidité, d'amélioration de ratios prudentiels ou encore de diversification des sources de financements, ce qui est pertinent dans le contexte de renchérissement des primes de risques appliqués aux financements traditionnels. Le cadre est maintenant disponible. L'Etat pourrait, à l'instar des économies avancées en la matière, donner le premier exemple en effectuant une première sortie à l'international en Sukuk. D'ailleurs, Nizar Baraka a déjà déclaré que cette option est étudiée par son ministère. Comme pour les dettes en devises, cela devrait encourager les entreprises privées à suivre l'exemple souverain et ainsi ajouter une nouvelle ligne de financement à notre tableau de chasse national. Quant au coût de ces émissions, il sera intimement lié à la pertinence des actifs sous-jacents utilisés. A. H. Les Sukuk, d'un point de vue économique Le principe de départ sans lequel il n'y a pas lieu d'émettre des Sukuk consiste en la participation dans un projet réel avec une activité productive et sans risque inhérent. C'est ce risque qui justifie toute rémunération. Ainsi, la rémunération annuelle et le remboursement du capital sont indexés sur la profitabilité des actifs sous-jacents.