Le Haut commissaire au plan Ahmed Lahlimi Alami, revient sur l'opportunité de garder le modèle économique actuel du pays. En revanche, il livre aussi, les correctifs à apporter pour tirer la croissance. Finances News Hebdo : On observe depuis plusieurs années que la croissance au Maroc est tirée par la demande intérieure. A quoi cela est-il dû ? Ahmed Lahlimi : Depuis le début des années 2000, le Maroc commençait à enregistrer un rythme de croissance économique plus rapide, suite à une nouvelle politique économique stimulant la consommation finale et l'investissement, représentant les principales composantes de la demande intérieure. Cette politique avait été soutenue par la disponibilité des ressources financières importantes, constituées notamment par les capitaux et les revenus nets en provenance de l'extérieur (les IDE, les transferts MRE, les recettes touristiques et les recettes des privatisations). La consommation finale avait bénéficié d'une politique budgétaire expansionniste, à travers des augmentations salariales, des incitations fiscales et la hausse des dépenses publiques de subvention des prix à la consommation. Elle a également profité d'une politique monétaire accommodante et ciblant l'inflation, ce qui avait engendré une amélioration soutenue du pouvoir d'achat des ménages. De ce fait, la consommation de ces derniers s'est accrue en moyenne de 4,4% en volume durant la période 2000-2012, contribuant ainsi de 2,5 points, en moyenne, à la croissance du PIB. Parallèlement, la consommation des administrations publiques avait progressé de 4,1% en volume durant ladite période, en affichant une contribution de 0,7 point à la croissance du PIB. De son côté, l'investissement avait aussi bénéficié desdites politiques économiques, suite à l'effort d'investissement public dans les grands chantiers d'infrastructures, à la baisse des taux d'intérêts, à l'amélioration du climat des affaires et à la mise en œuvre des stratégies sectorielles. Le taux d'investissement de notre pays avait emprunté une tendance haussière passant de 25,5% du PIB en 2000 à 35,3% en 2012, soit un taux parmi les plus élevés dans les pays émergents. Sa contribution à la croissance du PIB se situe à 1,7 point en moyenne de la période 2000-2012. Globalement, la demande intérieure avait contribué d'environ 5 points, en moyenne, à la croissance du PIB au cours de la même période et qui était de 4,5%. Autrement dit, la demande extérieure avait, quant à elle, enregistré une contribution négative de 0,5 point. F. N. H. : Que répondez-vous à certains experts qui estiment que le Maroc doit prendre le contre-pied et changer son modèle économique basé sur cette demande intérieure ? A. L. : Les difficultés économiques de notre pays ne résident pas dans le modèle de croissance. C'est plutôt dans son financement que les efforts restent encore à déployer pour mobiliser les ressources nécessaires, en matière d'épargne nationale permettant d'assurer le financement de l'investissement et l'accélération du rythme de la consommation finale d'une année à l'autre. Sur le plan international, la demande intérieure demeure la locomotive de la croissance économique dans la majorité des pays. La consommation des ménages constitue plus de 70% du PIB en moyenne des pays émergents. Le taux d'investissement oscille aux alentours de 31% du PIB. Ainsi, la demande intérieure continuerait à jouer un rôle très important dans les économies émergentes et en développement. Pour le cas du Maroc, la réforme du modèle de croissance ne doit pas porter sur son changement par un autre, mais au fait de procéder à un rééquilibrage de la croissance entre les agrégats de la demande intérieure et ceux du commerce extérieur. Cela renvoie à une amélioration de la productivité et de la compétitivité de l'économie marocaine. F. N. H. : Êtes-vous d'accord avec l'idée selon laquelle soutenir la consommation intérieure serait appuyer les importations ? Cela a-t-il conduit au déficit commercial estimé à 200 Mds de DH en 2012 ? A. L. : Effectivement, la relance de la consommation durant la décennie 2000, comme il a été déjà précisé au début, sans un engagement en parallèle d'une politique audacieuse de la production nationale, avait engendré une tendance à la satisfaction de la demande intérieure par les importations et, par suite, à une accentuation du déficit commercial en marchandises qui a atteint 203 milliards de dirhams en 2012. Cependant, votre interrogation sur l'idée que le soutien de la consommation intérieure entraîne une hausse des importations n'est pas toujours à affirmer. Notre pays ne doit pas vivre au dessus de ses moyens et de ses capacités de production. Toute augmentation de la demande intérieure (consommation ou investissement) doit être, en principe, accompagnée par une amélioration des capacités de production nationale si on veut maintenir à la fois l'équilibre des échanges extérieurs et le niveau de notre épargne intérieure. F. N. H. : Selon vous, quel est l'autre modèle alternatif d'une croissance basée sur la demande intérieure? A. L. : Compte tenu de l'importance des besoins en infrastructures de base et d'une aspiration des citoyens à un niveau de vie meilleur, notre modèle de croissance continuerait à être tiré par la demande intérieure. Cependant, le maintien de l'investissement public à un niveau élevé et la progression à un rythme soutenu de la consommation finale nationale ne cessent d'accentuer le déficit budgétaire de l'Etat et, par là, celui des échanges extérieurs dans un contexte de faible compétitivité de notre économie. Le financement de ce modèle par une politique budgétaire expansive et une politique monétaire ciblant l'inflation révèle, aujourd'hui, ses limites. La maîtrise de l'inflation par le biais de la subvention des prix, financée par les ressources internes continue à augmenter la dette publique intérieure et à réduire le financement du secteur privé, au moment où le déficit primaire ne cesse de s'accentuer et amène le pays à emprunter pour faire face aux échéances de ses dettes. Dans ces conditions, la sous-liquidité du marché monétaire pourrait devenir structurelle et la marge de manœuvre de la politique monétaire se réduire au détriment d'un financement adapté aux besoins réels des différentes catégories d'entreprises. La conception ou la proposition d'un modèle alternatif nécessite, tout d'abord, l'engagement des réformes pour réduire les déséquilibres macroéconomiques et la mise en place d'une croissance économique durable. Il s'agit des réformes permettant d'inciter le capital privé national à investir dans les nouvelles sources sectorielles et technologiques de la compétitivité de demain, d'encourager un modèle de consommation permettant d'accroître l'épargne intérieure et, enfin, de promouvoir la réallocation des ressources financières nationales en donnant une plus grande marge de manoeuvres à la politique monétaire pour un meilleur financement des entreprises et leur plus grand accès aux marchés des capitaux. F. N. H. : Enfin d'une manière générale, quelles sont les pistes que le Maroc doit suivre pour stimuler la croissance? A. L. : L'objectif d'une croissance économique soutenue et durable nécessite, aujourd'hui, une nouvelle génération des réformes structurelles sur trois grands axes portant sur la productivité, la compétitivité internationale et la gouvernance. Dans le premier axe, les réformes doivent être orientées vers la réduction des rigidités qui marquent le marché des biens et services (réforme du système de subvention des prix à la consommation, de l'économie de rentes, des rigidités en matière d'emploi et des salaires, etc.). Concernant le deuxième axe, le Maroc devrait engager des réformes pour améliorer ses exportations par l'investissement dans la production des biens échangeables, ainsi que la diversification des marchés et des produits à l'export. Il s'agit également de promouvoir le label des produits marocains et d'inciter les consommateurs et investisseurs à en acheter, afin d'atténuer le rythme d'accroissement des importations. Dans le troisième axe relatif à la gouvernance, le Maroc doit mettre en œuvre les réformes annoncées dans l'amélioration du climat des affaires, notamment celles relatives à la justice, à la lutte contre la corruption, à la simplification des procédures administratives, etc.