◆Des partis politiques veulent faire passer des textes de loi dédiés. ◆Pour certains observateurs, il ne s'agit que d'une simple précampagne électorale.
Par : Charaf Jaidani
Revêtant plusieurs aspects (politique, économique, social ou culturel), la légalisation du cannabis est un sujet complexe. A l'initiative de différentes formations politiques et d'ONG, cette question a refait surface dernièrement, plusieurs personnalités prônant la recherche d'une solution réaliste et réalisable. S'agit-il d'une précampagne électorale pour séduire la population cible, notamment celle du nord du pays, ou d'une initiative sérieuse et audacieuse pour trouver une issue favorable à la question qui pèse toujours sur plusieurs familles du Rif? Mohamed Belmir, politologue, est catégorique à ce sujet : «C'est devenu une coutume à l'approche de chaque scrutin notamment législatif. Les partis veulent séduire les électeurs en jouant sur les sujets les plus préoccupants, notamment le calvaire des recherchés et la légalisation du cannabis. Une fois l'échéance électorale passée, ce sera le calme absolu et ces sujets ne seront évoqués que sporadiquement». Comme d'habitude, ce sont les partis qui ont une assise populaire dans le nord qui sont les plus actifs, à l'image du Parti authenticité et modernité (PAM) et celui de l'Istiqlal. Outre les rencontres et les meetings organisés pour assurer plus de proximité avec la population, ces formations n'ont pas hésité à proposer des lois dans ce domaine. Ainsi, le parti au tracteur a déposé deux textes au Parlement, dont le premier est dédié à lancer une amnistie générale au profit des personnes recherchées et le deuxième pour légaliser le cannabis. Les deux projets ont été soumis récemment à la Commission de la justice, de la législation et des droits de l'homme. Pour Larbi Mahrachi, député «pamiste», qui a fait de ce sujet son cheval de bataille, «il est temps de se pencher sérieusement et en toute transparence sur cette problématique. Si elle traîne encore, ses effets collatéraux ne vont que s'accentuer. En concertation avec le gouvernement et les autres partis concernés, le projet de l'amnistie a été différé jusqu'à l'instruction de celui de la légalisation qui doit être traité par la Commission de l'agriculture», indique notre interlocuteur. Le parlementaire de la région de Ouazzane a mis en exergue des arguments déjà évoqués auparavant, notamment le volet social, puisque pas moins de 55.000 exploitants ont boudé leur terre, leur famille et leur douar et ne peuvent avoir une vie normale. «Les différentes alternatives pour le kif n'ont pas abouti et ont connu un échec cuisant. Il faut investir des pistes pratiques. Des experts ont animé une rencontre dernièrement au Parlement et ont conclu qu'il est possible de déployer le cannabis à d'autres usages à caractère médical, cosmétique ou chimique. Ils ont même avancé qu'il est possible de canaliser les récoltes dans un circuit formel et contrôlé». Mahrachi a prôné par ailleurs la création d'une agence dédiée, regroupant tous les acteurs concernés pour superviser le processus et remédier aux différents dysfonctionnements qui impactent le développement de la région du Rif. Noureddine Madiane, député d'Al Hoceima et président du groupe istiqlalien à la Chambre des députés, défend lui aussi l'idée de l'amnistie générale. «La quasi-totalité des exploitants sont de pauvres agriculteurs qui n'avaient d'autres choix que de s'adonner à la culture du cannabis. Une activité qu'ils ont héritée depuis des générations. Rares sont les personnes qui ont pu se convertir à d'autres activités. La résolution sécuritaire n'a pas donné les effets escomptés. Ceux qui ont été incarcérés, ont récidivé. Cette problématique a trop duré, sa résolution permettra d'impulser un nouveau départ pour le Rif et d'atténuer le climat de tension qui règne sur la région». Au-delà des intérêts politiques, la résolution de la problématique du cannabis nécessite un débat national impliquant tous les acteurs concernés notamment la communauté scientifique, la société civile, des juristes, des sociologues… pour trouver un modèle de développement adapté. «Si un jour le Maroc venait à légaliser le cannabis, l'impact social et économique serait très bénéfique. La culture du kif dans la région du Rif profite très peu aux cultivateurs. Ce sont les trafiquants qui se remplissent les poches. Par ailleurs, le Maroc pourrait éventuellement exporter légalement du cannabis médical et récréatif de grande qualité aux pays où il est légalisé. Cela générerait de l'emploi et des revenus substantiels en devises à l'Etat. A titre d'exemple, deux jours après la légalisation du cannabis au Canada, il y a eu une rupture de stocks dans la majorité des magasins officiels gérés par les autorités», avance Mohamed Ben Amar, professeur en pharmacologie à l'Université de Montréal, auteur de plusieurs recherches et d'ouvrages sur le cannabis. Reste à signaler que le Luxembourg a légalisé le cannabis en 2019, et d'autres pays suivront sous peu. Le Mexique, le Liban et l'Iran envisagent aussi de le faire.