L'évaluation de l'avenir des relations Maroc-UE est encore au centre des débats. Il faut dire qu'à l'instar de l'élargissement de l'UE à 25 pays, le non des Français et des Hollandais, relatif à la constitution européenne, a suscité les craintes et les appréhensions des pays du Sud de la Méditerranée. Dans le but de mieux cerner la problématique et avoir plus de visibilité sur les relations Maroc-Union européenne, l'Institut Marocain des Relations Internationales a invité Thierry de Montbrial, ancien président de l'académie des sciences morales et politiques et directeur général de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI). Le non des Français et celui des Hollandais, ajouté à un quasi-échec du processus de Barcelone, suscitent des interrogations quant aux perspectives offertes par ce partenariat. Depuis 1969, le Maroc s'est engagé vis-à-vis de l'Union européenne par un accord commercial bien avant l'Espagne et le Portugal qui n'ont rejoint l'Union qu'en 1986. Cet accord fut suivi par un autre de coopération en 1976 afin délargir le champ du partenariat aux autres volets commercial, social, économique et financier. Vingt ans après, le Maroc signe l'accord d'association qui étend le domaine de partenariat au dialogue politique et prévoit la création d'une zone de libre-échange à l'horizon 2010. Enfin, le Maroc a donné suite à la politique de voisinage qui lui a été proposée en 2004. Après ce rappel historique concernant le partenariat Maroc-UE, Jawad Kerdoudi, président de l'IMRI, a estimé qu'en dépit des difficultés qui prévalent actuellement, l'Union européenne a toujours accordé une grande attention aux demandes du Maroc. Cest ainsi que le Royaume a bénéficié de protocoles financiers de 1976-1996 d'un montant de 1,2 milliard d'euros sous forme d'aides et de prêts de la BEI et des programmes Meda de 1,3 milliard d'euros de 1996-2006. Toutefois, cette relation demeure entachée de frustrations qui, selon Jawad Kerdoudi, sont de trois ordres: sur le plan agricole, l'Union européenne n'a pas libéré les échanges et a astreint le Maroc à une série de contraintes (contingents limitatifs, périodes d'exportation, prix minimum d'entrée). Sur le plan financier, force est de constater que l'aide accordée au Maroc est bien inférieure à celle accordée aux pays de l'Est avant et après leur adhésion à l'UE (1er mai 2004). Jawad Kerdoudi estime que même si les relations entre le Maroc et l'UE ne datent pas d'aujourd'hui, il est à remarquer que le Royaume n'a pas bénéficié des mêmes privilèges que la Moldavie et l'Ukraine dans le cadre de la nouvelle politique de voisinage. Appel à une restructuration économique En guise de réponse à Jawad Kerdoudi, Thierry de Montbrial n'a pas mâché ses mots en disant que la véritable frustration des Marocains est qu'ils ne sont pas Européens et qu'ils ne le seront jamais. «La politique d'association se base sur l'idée selon laquelle vous n'allez pas entrer, mais on va vous associer de très près», a-t-il déclaré. «Je crois personnellement que, même s'il y a cette frustration de départ, et en dépit des enjeux économiques et politiques, nous ne pouvons penser à des rapprochements considérables», ajoute De Montbrial. Selon lui, cette réalité découle de la difficulté de définir lEurope géographiquement. C'est ce qui explique davantage ce débat extrêmement chaud concernant l'adhésion de la Turquie à l'Europe. Aux difficultés d'ordre politique s'ajoutent également, depuis 2002, celles relatives à la religion et c'est là où le bât blesse. De Montbrial estime que même dans le cadre d'une hypothèse favorable à l'Europe, les pays du Sud de la Méditerranée ne peuvent faire partie de l'Union européenne. «Par ailleurs, s'empresse-t-il d'ajouter, après la chute de l'Union soviétique, grand événement géopolitique de la seconde moitié du 20ème siècle, plusieurs pays se sont retrouvés dans le vide». Et toujours est-il que des pays de l'ex-Yougoslavie ne font toujours pas partie de l'UE. Ajoutons à cela l'élargissement de l'Union européenne depuis 1991 jusqu'à aujourd'hui. C'est là un fait qui se greffe sur un autre point qu'est la mondialisation. Toutes ces pressions sont importantes et incitent à une restructuration économique. Donc, il est tout à fait normal que ces préoccupations ne laissent plus de place aux autres difficultés et que les pays du Sud en pâtissent. Un autre point a suscité l'intérêt du président de l'IFRI. Il s'agit de la faiblesse des investissements directs extérieurs au Maroc. Il éstime que si les investisseurs fuient le Maroc, c'est qu'ils ont trouvé leur intérêt ailleurs. Il considère que le Maroc, malgré les réformes entamées, souffre de la pauvreté, de la corruption, de la mauvaise gouvernance et bien d'autres tares politiques et sociales. Encore faut-il que les réformes viennent de nous-mêmes et que nous devons par nos propres moyens créer un climat propice à l'investissement. Par ailleurs, et si l'Union du Maghreb arabe n'a pas avancé d'un iota, là aussi il faut dire que c'est de la responsabilité des pays du Maghreb et non celle des Européens. Sur un ton optimiste, Thierry De Montbrial voit dans cette crise d'indigestion un fait normal et que c'est du mal que sort le bien. Mais ce n'est pas du tout l'avis de Nadia Hachimi Alami qui, dans une déclaration à la deuxième chaîne télévisée, estime que le poids de l'Hexagone ne sera pas des moindres dans l'influence de la décision européenne sur tous les plans, en l'occurrence la hausse de l'enveloppe budgétaire qui sera allouée au Maroc.