La Confédération des TPE et PME estime que les programmes d'appui concoctés par l'Etat ne sont pas adaptés à la réalité du terrain. Abdellah Elfergui, président de ladite Confédération, revient sur la situation actuelle de ce tissu entrepreneurial. - Finances News Hebdo : La crise financière qui touche nos voisins européens se fait sentir de plus en plus au Maroc. Qu'en est l'impact sur les PME et les TPE marocaines ? - Abdellah Elfergui : Tout d'abord, il faut signaler que la crise était déjà là pour les TPE avant l'arrivée de celle de nos voisins européens, vu que le mode de financement des TPE a été arrêté par les banques et que l'Etat a échoué dans ses programmes de financements, d'accompagnements ... Et si l'on sait que plus de 90% du tissu économique marocain sont constitués de TPE-PME qui ne participent qu'à 27% du PIB, on peut dire qu'il y a un réel problème à résoudre en urgence. Ceci est la cause d'une politique gouvernementale basée sur les discours, les chiffres et l'appui aux quelques ONG qui travaillent dans les bureaux, les salons, les émissions et les forums et qui sont loin du terrain des TPE-PME situées dans les régions mais qui, malheureusement, sont les partenaires de l'Etat, des organismes de financement et des bailleurs de fonds. Aujourd'hui, nous pouvons tirer profit de la crise de nos voisins européens, notamment espagnols, si nous sommes bien accompagnés. C'est d'ailleurs ce que nous avons constaté lors de notre visite à Cadiz le 25 septembre dernier, lorsque plusieurs entreprises espagnoles ont exprimé leur volonté de s'associer à nos entreprises en venant travailler au Maroc. C'est une occasion à saisir pour nos jeunes entreprises pour bénéficier de leurs expériences et de leurs matériels au lieu devenir s'installer seuls et nous concurrencer. - F. N. H. : Durant les dernières années aussi bien l'Etat que les sociétés de financement ont mis en place des actions pour encourager et accompagner ce tissu entrepreneurial, notamment à travers le lancement de programmes de soutien et la diversification des produits financiers dédiés aux PME et TPE. Quelles sont les retombées de ces actions sur le terrain? - A. E. : Malheureusement, l'Etat seul ne peut plus accomplir ce grand chantier qui est d'accompagner ce tissu entrepreneurial. Quant aux sociétés de financement, elles ne manifestent pas une réelle volonté de soutenir et d'accompagner spécialement les TPE. C'est également un devoir des ONG et des Chambres professionnelles. Malheureusement, ces dernières ne font rien de cela sur le terrain. Nous avons été attristés, lors de notre rencontre B2B avec nos collègues et partenaires espagnols à Cadiz et à Malaga, quand nous avons constaté que leur Technoparc et leurs grandes entreprises ont créé des centres d'entreprises, des pépinières d'entreprises et même des lignes de crédits allant jusqu'à 70.000 euros avec un taux d'intérêt entre 2,5 et 3,7%. On se demande où sont nos grandes entreprises marocaines et où en est la CGEM ? - F. N. H. : Revenons aux différents programmes lancés par l'Etat, notamment Moukawalati, Imtiaz, Moussanada,.. Ont-ils donné les résultats escomptés ? - A. E. : Tous ces programmes ne sont pas adaptés aux TPE et PME marocaines, comme si ceux qui se sont penchés sur l'élaboration de ces différents programmes et des conditions pour en bénéficier n'étaient pas issus de cette société marocaine constituée de plus de 60% de TPE informelles. Pour le programme Moukawalati, c'est un fiasco total. Ceux qui l'ont monté n'avaient pas les données réelles sur le terrain. Pour preuve, pour la ligne de crédit Jeune Promoteur et Entrepreneur dans les années 90, le montant maximum était de 1 million de DH par personne pour créer une entreprise. Et dans les années 2010, on octroyait un crédit maximum de 250.000 DH aux jeunes pour créer leur entreprise. Il est donc inconcevable de diminuer le financement des entreprises sachant que depuis les années 1990 jusqu'à 2010, soit 20 ans après, pratiquement tous les prix des produits et des matières premières ont doublé (construction, immobilier, équipement, location, transport...). De plus, le programme délégué à l'ANAPEC est spécialisée dans l'emploi et non dans la création d'entreprises. Sans oublier qu'au début les organismes qui avaient l'agrément d'assister et de suivre ces entreprises Moukawalati étaient des associations de microcrédit qui elles non plus ne sont pas formées pour la création d'une entreprise et sa gestion. Le programme a également connu l'échec à cause de l'absence d'accompagnement des entreprises créées et de la non implication des banques. Quant aux autres programmes Imtiaz, Moussanada,..., leur impact est très faible puisqu'ils n'ont pas pu s'étendre aux régions outre celles situées sur l'axe Kénitra-Rabat-Casablanca et les grandes villes. Si l'on n'arrive pas à impliquer les intéressés et leurs organismes qui sont présents dans les régions, depuis l'élaboration des programmes et non pas après, en leur donnant les moyens pour travailler, la situation restera la même. - F. N. H. : Aujourd'hui, plusieurs jeunes entrepreneurs ayant bénéficié de ces programmes ont vu leur rêve s'effondrer. À quoi tient, selon vous, cet échec? - A. E. : Bon nombre de jeunes entrepreneurs qui ont bénéficié de ces programmes, surtout Moukawalati ainsi que le crédit Jeune Entrepreneur et d'autres..., ont vu leur rêve s'effondrer suite au manque de suivi et d'accompagnement sur le terrain et dans toutes les régions comme prévu par ces programmes. Généralement, il faut impliquer les ONG et les associations qui travaillent sur le terrain pour réaliser ces programmes et sensibiliser leurs TPE et PME dans les régions afin de réussir les différents programmes lancés par l'Etat en faveur de ce tissu économique. - F. N. H. : Avez-vous des chiffres concernant le nombre de faillites de PME et de TPE pour l'année 2011 et le premier semestre 2012 ? - A. E. : Nous n'avons pas de chiffres concernant le taux de mortalité de PME et TPE. Mais, ce qui est sûr, c'est que si la situation reste la même, le taux de mortalité de TPE et PME sera très élevé pour fin 2012 et début 2013. Il faut que le gouvernement agisse au plus vite en associant les organismes de TPE-PME qui travaillent sur le terrain et non pas la CGEM, les autres associations de l'axe Rabat–Casa et les bureaux d'études classiques qui sont chargés de ces programmes. Il faut sortir de ce cercle classique qui a démontré son échec depuis le début. - F. N. H. : Quelles sont les mesures urgentes à mettre en place pour augmenter la contribution des PME et TPE au PIB national ? - A. E. : Il faut impérativement impliquer les PME et TPE dans l'élaboration des programmes en passant par le suivi, l'accompagnement jusqu'à l'évaluation et les recommandations pour aider au développement des créations des TPE et PME, leur soutien et leur développement ... Les anciens organismes, associations partenaires et bureaux d'études qui ont travaillé à ces programmes ont montré leur faible capacité à mobiliser les TPE et PME des régions; alors il faut les changer et engager des personnes plus responsables. Il faut donner plus de moyens aux associations régionales et organismes qui sont présents dans les régions. Le gouvernement seul ne peut réussir les programmes lancés. Les jeunes entreprises souffrent de plusieurs contraintes : le loyer, le financement, la formation du personnel, les bons de commandes... Pour le loyer, il faut aménager des locaux professionnels avec Al Omrane ou Addoha ou autres et non pas avec les communes. Pour le financement, il faut créer un fonds pour le financement des TPE. Nous avons un projet pour la création d'une Société de Cautionnement Mutuelle de TPE et PME au sein de la fédération. Pour la formation, il faut revenir à l'ancienne méthode des années 90 où nous étions directement en partenariat avec l'USAID, Friedrich Neuman,... Nous avions un plan de formation qui permettait une formation ou deux chaque mois pour plus de 20 TPE et PME (de création d'entreprise, gestion d'entreprise, gestion associative, ...). Maintenant, le ministère des Affaires générales s'occupe de ces fonds sans pour autant nous consulter ou nous impliquer. Quant aux bons de commandes et marchés publics, notre Confédération demande que les principaux bénéficiaires soient les entreprises de la région. Et ce, pour favoriser et encourager les TPE locales des régions. Pour les marchés publics, nous demandons qu'une loi soit votée pour assurer un quota aux TPE et PME régionales. En résumé, il faut réunir nos efforts et travailler pour le bien de nos TPE et PME. La Confédération Marocaine de TPE-PME est ouverte à toutes les propositions et à tous les partenaires pour accélérer les actions qui permettent de sauver nos TPE et PME de la faillite, notamment en ces temps de crise. Quelques hauts responsables de grands organismes nous ont déjà contactés et nous avons tenu avec eux des réunions fructueuses, avec notamment Hicham Zanati Serghini, Directeur général par Intérim de la CCG et bien d'autres, mais rien n'a été fait jusqu'à présent. Pour conclure, vu la gravité de la situation et le manque à gagner, il faut que le gouvernement agisse le plus rapidement possible, en créant une cellule de crise afin de sauver les TPE et PME qui souffrent. Dossier réalisé par L. Boumahrou