La réforme de la TVA est d'actualité. Selon l'Administration des impôts, cette réforme, qui concernera un élargissement de l'assiette fiscale et une réduction du nombre d'exonérations, devra s'étaler sur une période de trois ans. Rachid Lazrak, fiscaliste et membre de la Commission juridique et fiscale de lAssociation marocaine des sociétés par actions, nous livre son point de vue. Finances News hebdo : Quelles sont les principales dispositions de la Loi de Finances 2005 en matière de TVA ? Rachid Lazrak : La grande nouveauté en matière de TVA est le livre des procédures fiscales et qui a d'ailleurs introduit mon ouvrage sur la TVA. Ce livre comprend tout ce qui concerne le contrôle et le contentieux en matière d'IS, d'IGR, de TVA et de droits d'enregistrement. Nous avons repris à l'identique toutes les dispositions qui existaient auparavant concernant ces quatre impôts, mais nous les avons reprise en procédant à une uniformisation tant en ce qui concerne le contrôle que le contentieux. Donc, j'estime que l'essentiel de cette Loi de Finances 2005 est ce livre de procédures fiscales. En matière de TVA plus particulièrement, on a commencé la réforme. Comme l'a dit le Directeur Général des Impôts, c'est une réforme étalée sur trois ans et qui va concerner essentiellement deux aspects : d'abord l'élargissement de l'assiette fiscale, deuxièmement la réduction du nombre de taux, et en troisième lieu, peut-être, arriver en fin de parcours à avoir le minimum d'exonérations possibles, c'est-à-dire, selon le directeur des impôts, le taux zéro ne devra concerner que les opérations d'exportation et de transport international. F. N. H. : Concernant les secteurs qui, désormais, vont être assujettis, pensez-vous qu'ils sont en mesure, aujourd'hui, de supporter cet impôt ? R. L. : Il faut faire attention ! Réformer la TVA est une bonne chose. C'est même une nécessité parce que la loi sur la TVA date de 1986. Or, depuis cette date, le Maroc a connu énormément de changements, de bouleversements et de mutations. Donc, il est tout à fait normal de mettre à niveau le texte sur la TVA. Maintenant, il faut être prudent. Comme je l'ai toujours dit, la TVA est un impôt sensible qui touche le consommateur final. Ceci dit, si vous écartez les exonérations, ou vous augmentez les taux, vous risquez de créer une spirale inflationniste et même de mécontenter le consommateur, surtout quand il s'agit de produits de grande consommation. En Afrique de l'Ouest, les gens disaient TVA veut dire «tout va augmenter». Donc, mon point de vue est qu'il faut faire très attention parce que c'est un impôt qui touche le côté social des gens et frappe le consommateur final. F. N. H. : Quels sont, selon vous, les secteurs qui ne doivent plus bénéficier de l'exonération ? R. L. : Je préconise une réflexion dans deux directions; et nous avons la chance d'avoir un directeur des impôts qui est à l'écoute et a cet esprit de réforme au moment où nous avons besoin de réformes audacieuses. Il est très difficile de dire tel ou tel secteur devra être exonéré. Maintenant, selon mon point de vue, il y a une réflexion générale à mettre en place, et ce à deux niveaux. Au niveau de l'investissement, il faut qu'on sache aujourd'hui quels sont les secteurs qui doivent être exonérés en matière d'investissement, d'autant plus que la charte de l'investissement arrive à expiration à fin 2005. Deuxièmement, il faut mener une réflexion générale en se fixant les objectifs que l'on veut atteindre. F. N. H. : Votre point de vue sur le taux de 20% ? R. L. : Le taux de 20% est excessif et pénalisant. Il est pénalisant d'autant plus qu'il est supporté en fin de parcours par le consommateur. C'est dommage, car si on avait un taux moins élevé, cela aurait pu être un élément pour attirer le secteur informel vers une meilleure réglementation. Nous avons aujourd'hui une économie souterraine, et donc la meilleure manière de tirer ce secteur informel vers le formel est de baisser les impôts. Il faut avoir assez d'imagination pour réfléchir à des solutions tout en proposant des taux spécifiques. J'ai toujours défendu l'idée, comme cela se fait en France, d'un taux d'IS spécifique à des petites et moyennes entreprises et pourquoi pas en matière de TVA ? L'essentiel est d'attirer ces gens-là. Conséquence : il y aura un meilleur dialogue et une meilleure adhésion. F. N. H. : Avez-vous justement une idée sur la manière de réduire la fraude ? R. L. : La fraude fiscale est un grand sujet. Il faut trouver des solutions non pas à la fraude fiscale proprement dite, mais à la fuite devant l'impôt. L'évasion fiscale est définie comme telle lorsqu'on utilise avec autant d'habileté les dispositions de la loi. La fraude fiscale est lorsqu'on viole la loi; et là aussi il y a une réflexion à mettre en place, parce qu'il n'est pas normal que des entreprises structurées payent pour les autres. Maintenant, il faut permettre aux autres de ne pas être trop imposées pour pouvoir les attirer. Si on pouvait leur accorder des taux plus alléchants, les gens frauderaient moins. Dans toute politique, n'importe quelle mesure ne peut réussir tant quil ny a pas dadhésion. F. N. H. : Avec le démantèlement tarifaire, on va assister à un amenuisement des recettes fiscales, essentiellement en matière de TVA à l'import. Comment peut-on compenser cette baisse ? R. L. : D'abord, en 2004, il y a eu une augmentation de 6% des recettes douanières; ce qui est quand même une bonne nouvelle. Maintenant, nous ne sommes qu'au début du démantèlement tarifaire. À l'horizon 2010, nous verrons l'entrée en application de l'accord de libre-échange avec l'Union Européenne et, prochainement, il y aura l'entrée en application des traités avec la Turquie, les États-Unis et les pays arabes. Comment compenser cette baisse ? Il faut d'abord que l'économie marocaine soit assez productive pour générer d'autres recettes. Et là, on revient à la case départ : il faut encourager l'investissement. En outre, il faut attirer le secteur informel et l'intégrer dans le circuit économique. En plus, il faut prendre un certain nombre de dispositions aujourd'hui possibles, mais qui ne le seront plus dans cinq ou six ans. Aujourd'hui, il y a encore les recettes de la privatisation et si l'on doit prendre des décisions audacieuses, c'est le moment de le faire. Le Maroc est à la croisée des chemins et le temps joue contre lui. F. N. H. : À l'occasion de la Loi de Finances 2005, les professionnels du secteur des assurances ont réclamé la transformation de la taxe sur les assurances en TVA. Qu'en pensez-vous ? R. L. : Effectivement, j'ai soulevé cette contradiction dans mon ouvrage. Je critique le fait que dans l'article 2 de la loi sur la TVA on réserve une partie de cet article à la taxe qui doit être payée par les courtiers et les agents d'assurance. Or, cette taxe est dans la loi sur la TVA, mais elle n'est pas réglementée par la loi sur la TVA. De fait, selon quon lécarte ou quon la maintienne dans la loi sur la TVA, il faudrait en faire une véritable taxe sur la valeur ajoutée dans toutes ses conditions aussi bien de déductibilité que de remboursement... F. N. H. : Comment appréciez-vous le système fiscal marocain ? R. L. : Je pense personnellement que le système fiscal marocain est un système qui a énormément évolué dans le bon sens depuis les années 80. Aujourd'hui, nous disposons d'un système moderne, adapté au contexte marocain dans sa grande majorité et qui est perfectible. Ceci dit, c'est un système qui a besoin d'être modifié et réformé non seulement en matière de TVA, mais aussi d'IS, d'IGR et de droits d'enregistrement... Il y a un effort de modernisation du système fiscal marocain avec cette possibilité de mettre en place un code général des impôts.