- La physionomie actuelle de l'économie nationale est peu propice à la création d'emplois. - Le nouveau plan national de promotion de l'emploi serait voué à l'échec.
Pour peu que l'on s'intéresse à l'actualité économique nationale, il est assez aisé de constater que celle-ci est fortement marquée par les questions inhérentes au marché du travail et à l'emploi. Quelques jours après la bataille des chiffres opposant le département de Moulay Hafid Elalamy à celui de Ahmed Lahlimi Alami, le Comité interministériel de l'emploi, réuni la semaine dernière à Rabat sous la présidence du chef de gouvernement, Saâd Eddine El Othmani, a adopté le programme exécutif du plan national de promotion de l'emploi. Ce nouveau dispositif, pour le moins ambitieux, n'a pas manqué de susciter plusieurs interrogations auprès des experts et des observateurs. Ainsi, le nouveau dispositif vise la création d'1,2 million d'emplois. A cela s'ajoutent l'ambition de soutenir l'emploi rémunéré au profit de 500.000 chercheurs d'emploi, et l'accompagnement de la création de plus de 20.000 petites unités économiques. La préservation d'un taux d'activité supérieur à 46% constitue également une priorité pour le gouvernement. Si du côté de l'Exécutif l'on se targue du fait que le nouveau plan national de l'emploi permettra de donner une vision claire sur les programmes à exécuter durant la période 2018-2021 et de déterminer leur planning ainsi que le coût budgétaire nécessaire à leur réalisation, il n'en demeure pas moins que les chiffres annoncés suscitent l'étonnement et incitent à pousser la réflexion sur la capacité de l'économie nationale à générer autant de postes de travail (près de 300.000 par an).
Un plan hors sol ?
Au regard de la physionomie de l'économie nationale en proie à une croissance en recul et très volatile, tout porte à croire que l'objectif de la création d'1,2 million d'emplois en l'espace de trois ans relève davantage d'un voeu pieux que de l'ordre du possible. Interrogé par nos soins, Mehdi Lahlou, professeur d'économie à l'Institut national d'économie appliquée de Rabat (Insea) et versé dans les problématiques du marché du travail national, n'y va pas par quatre chemins. Tout en rappelant que la création de postes de travail à travers le budget général de l'Etat reste limitée, celui-ci affirme que «les objectifs précités sont de l'ordre du souhait, au mieux, et du fantasme, au pire, au regard du contexte économique». A ce titre, il est utile de rappeler que pour l'année en cours, le taux de croissance établi par les prévisions du haut-commissariat au Plan s'élève à 2,8% (contre 4% en 2017). L'autre paramètre objectif de nature à charrier les ambitions de l'Exécutif en matière de création d'emplois est qu'un point de croissance ne crée actuellement que 15.000 emplois contre 30.000 durant les années 2000. De plus, en 2017, l'économie nationale n'a créé que 86.000 emplois, avec en prime la faible qualification de la main-d'œuvre, le mode précaire d'insertion et un environnement de travail peu organisé et faiblement protégé. Notons dans le même temps qu'il existe un recul de création d'emplois de la part de l'industrie au profit des services à faible valeur ajoutée (services à domicile, petits commerces, etc.) et du secteur agricole caractérisé par le sous emploi et l'emploi non rémunéré. Si l'Exécutif revendique une vision claire sur la question de l'emploi, notre interlocuteur pointe du doigt l'absence d'une vision stratégique de développement économique viable et crédible à court et moyen terme permettant de générer suffisamment de postes de travail. Faudrait-il rappeler à ce titre que le modèle de développement critiqué par le Roi, prévaut pour l'instant avec son cortège d'incohérences. ■
Quelles conséquences politiques ? Dans l'optique d'assurer le succès du plan précité, plusieurs groupes ont été créés. Ceux-ci concernent le soutien à la création de l'emploi, l'adaptation de l'éducation et de la formation aux besoins du marché du travail, l'intensification des programmes actifs de l'emploi et le soutien de la médiation. A cela s'ajoutent d'autres entités concernant l'amélioration des conditions de travail, le soutien de la dimension régionale dans l'emploi. Ceci dit, tout l'enjeu est d'appréhender les conséquences politiques pour la majorité gouvernementale en cas d'échec par rapport aux nouveaux objectifs concernant l'emploi à l'horizon 2021. Aussi surprenant que cela puisse paraître, à en croire le professeur de l'Insea, la population est indulgente envers les échecs économiques et sociaux des différents gouvernements dirigés par le parti de la lampe. Pour preuve, en dépit des promesses non tenues des gouvernements Benkirane I et II concernant le recul du taux de chômage à 7%, un taux de croissance de 7% du PIB en fin de mandat et un Smig revalorisé à 3.000 DH, le parti de la justice et du développement a remporté les dernières élections législatives de 2016. Ce qui amène à penser que la dimension idéologique prend le pas sur les réalisations économiques et sociales. En définitive, l'insuccès quasi certain du nouveau programme de l'emploi aura visiblement peu d'impact politique dans la perspective des prochaines échéances électorales. ■