Au Maroc, les politiques axées sur un développement inclusif devraient être encouragées. La réussite de ces «miracles de l'emploi» dépend également de la réaction des entreprises et du secteur privé. Un coin fiscal élevé risque d'abaisser le niveau de l'emploi et d'entraîner un glissement de l'activité économique vers le secteur informel. Caroline Freund, économiste en chef pour la région MENA auprès de la Banque mondiale, livre une analyse profonde de la politique de l'emploi au Maroc. - Finances News Hebdo : Est-ce qu'on peut avoir une idée sur les pays qui ont réussi le pari de l'emploi, auquel fait référence le rapport de la Banque mondiale intitulé «Moyen-Orient et Afrique du Nord: La solution miracle pour l'emploi», notamment en cette période de crise mondiale de la croissance ? - Caroline Freund : En temps de crise, outre ses effets directs sur l'économie, l'emploi connaît un ralentissement important ; les gouvernements peuvent néanmoins entreprendre une série de mesures pour en réduire l'impact, notamment sur le secteur de l'emploi. Les chantiers de travaux publics nécessitant de la main-d'œuvre en grand nombre, les programmes de formation ou les politiques de transferts conditionnels (par exemple en mobilisant de façon temporaire des jeunes diplômés en tant qu'instituteurs dans des écoles) peuvent aider à maintenir un niveau d'emploi raisonnable en période de crise. Ces dispositifs de protection sont fondamentaux pour aider la population à subvenir à ses besoins élémentaires en temps de crise. - F. N. H. : Le rapport de la Banque mondiale table sur une croissance de 4,8 % en 2012 pour la région MENA. Ne pensez-vous pas que c'est une prévision optimiste vu la conjoncture ? Au Maroc, on est parti sur un taux de croissance de 4,2 % pour le revoir à la baisse, 3,7 % prévu en 2012. - C. F. : Cette croissance relativement importante est poussée par les pays exportateurs de pétrole qui tirent profit des prix élevés de ce produit, ainsi que par la reprise économique dans certains pays qui ont connu des changements politiques l'année dernière, ce qui a permis une reprise de la confiance. Les pays exportateurs de pétrole devraient connaître une croissance de l'ordre de 5,4%, tandis que les pays importateurs devraient avoir un taux de croissance moitié moindre. - F. N. H. : Quels sont les facteurs clés pour la création de l'emploi et tous ces éléments réunis peuvent-ils contrecarrer l'effet de la crise ? - C. F. : Nous avons comparé les données relatives au chômage au cours des trois dernières décennies pour déterminer comment les pays peuvent réduire de façon durable et significative leur taux de chômage. Nous avons mis en évidence que ces «miracles de l'emploi» ne sont pas si peu communs que cela. Chaque année, sur un groupe de 20 pays, un pays réussit à relever le défi de l'emploi, avec en moyenne une baisse du taux de chômage de 14 à 7 %. Les trois principaux ingrédients permettant l'émergence d'un tel miracle sont un environnement macro-économique stable, un climat des affaires dynamique et une bonne gouvernance. La réussite de ces «miracles de l'emploi» dépend également de la réaction des entreprises et du secteur privé. Les opportunités de croissance pour les entreprises et des conditions d'investissement favorables sont nécessaires pour que les pays puissent développer leur secteur privé, qui représente le principal moteur de création d'emplois. Dans le cadre de notre rapport nous n'étudions pas de façon spécifique l'impact de ces politiques sur la récession, cependant une amélioration au niveau de ces aspects permettrait une reprise de confiance dans le climat des affaires pouvant contribuer à réduire la gravité de la crise et permettre un retour plus rapide à la croissance. Dans le cas du Maroc, une croissance ralentie cette année est principalement due à des facteurs exogènes, tels que la sécheresse ou la récession économique en Europe. Leurs effets sont difficiles à contrecarrer avec les politiques de demande, toutefois des politiques permettant de faire face à la volatilité pourraient être explorées, notamment les politiques de stabilisation ou de couverture. - F. N. H. : Comment le Maroc se porte par rapport aux autres pays de la région MENA ? Et quelle évaluation peut-on faire de sa politique de création d'emplois ? Et quelles améliorations peut-il y apporter pour provoquer ce miracle ? - C. F. : Au cours des dernières années, le taux de chômage a reculé au Maroc en partie sous l'effet de l'accélération de la croissance économique résultant de l'expansion des secteurs des services, du commerce et des travaux publics, ainsi que du ralentissement de l'augmentation de la population active. Le taux de chômage total, qui était de 13 % en 2000, est tombé à 8,9 % en 2011. Le taux de chômage est beaucoup plus élevé chez les diplômés, en particulier ceux qui sortent d'établissements universitaires à «accès ouvert» (22,3 %), de l'enseignement secondaire (21,7 %) et de la formation professionnelle (19,7 %). Depuis 1999, le gouvernement s'est engagé dans une ambitieuse réforme du système d'éducation et de formation, mais celle-ci a tardé à se concrétiser. Le ministère de l'Emploi a aussi pris un certain nombre de dispositions en matière de formation professionnelle, afin de mieux adapter les compétences acquises aux besoins économiques. Pour faire face au nombre de chômeurs, les initiatives pour la promotion de l'emploi, mises en place par l'ANAPEC, constituent un cadre destiné à faciliter la création d'emplois au travers de services d'intermédiation et de programmes actifs pour l'emploi pour les jeunes diplômés. Cependant, leur couverture est assez modeste et les non-diplômés, qui représentent la grande majorité des chômeurs, n'étaient jusqu'à très récemment pas couverts. Le ministère de l'Emploi est en train d'élaborer un nouveau plan sectoriel de promotion de l'emploi pour 2012-2016 qui devrait s'ancrer sur une analyse robuste du marché du travail. Sur le plan des réformes en matière d'emploi, quelques questions mériteraient d'être approfondies. Tout d'abord, le «coin fiscal» (l'écart entre la rémunération nette des employés et le coût total de main-d'œuvre pour l'entreprise) qui compte au Maroc parmi les plus élevés de la région MENA. Or, un coin fiscal élevé risque d'abaisser le niveau de l'emploi et d'entraîner un glissement de l'activité économique vers le secteur informel. Il faut donc réformer le régime des retraites afin de mieux maîtriser le coin fiscal, mais aussi assurer la stabilité financière et lutter contre la fragmentation du régime d'assurance sociale. Plusieurs institutions gèrent des régimes d'assurance sociale qui diffèrent selon les catégories de la population active, et cette fragmentation peut entraver la mobilité de la main-d'œuvre. D'autre part, l'amélioration de la compétitivité de l'économie marocaine reste cruciale pour mettre en œuvre une stratégie de création de l'emploi durable et crédible. Au cours des dernières années, le Maroc a réalisé d'importants progrès en matière d'amélioration du climat des affaires, mais davantage reste à faire pour que les entreprises marocaines soient compétitives, à la fois sur le plan national et international. La réforme prévue dans le cadre de la nouvelle loi sur la compétitivité représente un pas positif vers l'avant. Enfin, des politiques axées sur un développement inclusif devraient être encouragées. L'INDH, par exemple, a pris en compte cette dimension inclusive en ciblant différentes catégories de bénéficiaires (femmes, jeunes), à travers la création d'activités génératrices de revenu qui, rappelons-le, ont pu créer 40.000 emplois lors de la première phase de l'INDH. - F. N. H. : Comment le Maroc, pays importateur de 95,5% de ses besoins énergétiques de l'étranger et pays proche du Conseil de Coopération du Golf, peut-il tirer profit de la croissance forte des pays membres du CCG ? - C. F. : Le Maroc pourra principalement tirer profit de son adhésion au Conseil de coopération des pays du Golfe, en attirant davantage d'investissements en provenance de ces pays. Ceci pourrait alors avoir un impact positif en termes de création d'emplois au Maroc. Propos recueillis par Imane Bouhrara