Je voudrais tout d'abord vous manifester mon admiration pour les combats que vous avez menés durant toute votre vie. C'est ainsi que vous vous êtes engagé très tôt dans l'altermondialisme, et fait partie des membres fondateurs de l'association ATTAC en 1998. Pacifiste et antimilitariste, vous vous êtes opposé à l'extension du camp militaire du Larzac, et en 1995 à la reprise des essais nucléaires français. Syndicaliste agricole, vous avez pris la défense de l'agriculture paysanne et lutté contre les OGM. Dénonçant les excès de la mondialisation et du néolibéralisme, vous avez participé aux manifestations contre la PAC, le GATT, l'OMC et le G8. Défenseur de l'environnement, vous avez lutté pour le développement du transport collectif non polluant, et encouragé le développement des énergies renouvelables. Enfin, vous avez pris la défense de tous les opprimés de la terre : les banlieusards pauvres, les petits paysans, les mal-logés, les sans-papiers, et les Palestiniens en participant en mars 2002 à Hébron au «Jour de la Terre». Tout cela en prenant de grands risques y compris la privation de liberté. C'est à vous, député européen, que je m'adresse concernant l'Accord agricole Maroc-Union européenne. Je dois d'abord vous rappeler que le Maroc a signé son premier Accord commercial avec la Communauté économique européenne dès 1969, alors que Franco régnait en maître sur l'Espagne, qui n'a adhéré à l'Union européenne qu'en 1988. L'accord commercial de 1969 fût suivi par l'Accord de coopération de 1976 et enfin l'Accord d'association de 1996. En 2008, du fait de sa longue coopération exemplaire, le Maroc s'est vu accorder par l'Union européenne le Statut avancé, étant le seul pays sud-méditerranéen à avoir obtenu ce statut. Le Maroc a scrupuleusement respecté ses engagements vis-à-vis de l'Union européenne, et c'est ainsi que le 1er mars 2012, tous les produits industriels européens entreront sur le marché marocain en franchise de droits de douane. Ce n'est pas sans sacrifices que notre pays a consenti à cette libération des produits industriels, dont vont pâtir beaucoup d'entreprises marocaines. En contrepartie, et concernant les produits agricoles, l'Union européenne a adopté une politique restrictive vis-à-vis du Maroc, imposant des contingents, des prix minimum et des calendriers d'importations. Suite à de laborieuses négociations qui ont duré plusieurs années, un nouvel Accord agricole/Union européenne a été signé le 17 décembre 2009 et approuvé par le Conseil européen des ministres de l'agriculture le 13 décembre 2010. Ce nouvel accord n'accorde nullement le libre-échange des produits agricoles, qui restent soumis aux mêmes conditions de quotas, de prix minimum et de calendrier. Il ne fait qu'augmenter légèrement les quotas pour 8 produits agricoles marocains dont la tomate. Devant être ratifié par le Parlement européen du fait des nouvelles clauses du Traité de Lisbonne, ce nouvel accord a été rejeté par la Commission de l'agriculture du Parlement européen le 12 Juillet 2011, mais approuvé par la Commission du commerce international du même Parlement européen le 26 janvier 2012. Ce nouvel accord doit passer en séance plénière du Parlement européen à la mi-février 2012 pour la décision finale. Or, dans une interview accordée au journal marocain «L'Economiste» du 27 janvier 2012, vous avez déclaré mener campagne pour que cet accord soit rejeté. Les arguments que vous avez présentés sont que ce nouvel accord est mauvais pour les paysans européens qui vont voir les importations augmenter. Or, les importations de fruits et légumes d'origine marocaine ne représentent que 2,5% des importations totales extra-communentaires de l'Union européenne. En fait, depuis l'adhésion à l'Union européenne de l'Espagne, cette dernière s'est accaparé la quasi-totalité du marché européen de la tomate, et rechigne à voir le Maroc prendre une petite part supplémentaire du marché. Vous affirmez également que cet accord est mauvais pour les petits producteurs marocains qui sont spoliés par les grandes entreprises. Or les petits producteurs marocains regroupés en coopératives, ou dans la cadre du nouveau système d'agrégation prévu par le Plan vert, ont plus intérêt à vendre à l'export que sur le marché local, du fait d'un grand différentiel de prix. D'autre part, nous n'avons pas, à l'instar de l'Amérique latine, de grandes firmes multinationales qui interviennent dans le secteur des fruits et légumes. Ce sont le plus souvent des PME où des entreprises moyennes qui disposent de stations d'emballages pour l'exportation. Vous ajoutez qu'il faut 10 fois plus d'eau pour produire la tomate au Maroc qu'en Europe, or la quasi-totalité des producteurs marocains de tomates, surtout dans la région d'Agadir, produisent sous serre avec le système de goûte-à-goûte qui économise beaucoup d'eau. Je vous invite à venir passer quelques jours au Maroc pour vous rendre compte sur place des éléments énoncés ci-dessus. Je voudrais terminer cette lettre en indiquant le poids au Maroc de l'agriculture, qui représente 15 à 20% du PIB national et emploie plus de cinq millions de personnes. La population qui vit dans le monde rural représente 45% du total. Le Maroc suite au Printemps arabe, a connu un processus démocratique réel sans violence ni effusion de sang, mais qui doit être conforté pour le développement économique et social. Le Maroc a lancé un plan ambitieux de développement agricole dans le cadre du Plan vert qui consacre une large part à la promotion des petits agriculteurs. Aussi et au vu des arguments présentés, je vous conjure de réviser votre position et d'émettre un avis favorable pour la ratification de cet accord par le Parlement européen dans l'intérêt bien compris de l'Union européenne et du Maroc. Je vous signale que je m'adresse à vous au titre de la société civile, car je n'occupe aucune fonction officielle, et n'ai aucun intérêt dans le secteur agricole marocain. ■ (*) Président de l'IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)