■ L'absence de publicité des décisions de Justice rend impossible toute tentative d'évaluer l'ampleur de la délinquance financière au Maroc. ■ Le CDVM ne peut unilatéralement retirer l'agrément à une société de Bourse, la liquider, lui interdire ou restreindre l'exercice de ses activités. ■ Explications de Kawtar Raji, avocate au cabinet Lefèvre Pelletier & associés. ✔ Finances News Hebdo : Quel regard portez-vous sur les cas de délits enregistrés sur le marché financier marocain ? ✔ Kawtar Raji : Les infractions sanctionnées par le CDVM et publiées sur son site sont de diverses natures : manquement aux règles déontologiques régissant la gestion de portefeuille, délits d'initiés, manipulation de cours, défaut d'information du public, non respect de l'obligation de connaissance de la capacité financière de la clientèle, de l'obligation de formalisation de la relation avec la clientèle, des règles prudentielles : tout cela est une parfaite illustration de la mission de «gendarme boursier» dévolue au CDVM dans le double objectif de protéger l'épargne publique et préserver l'intégrité des marchés. L'absence de publicité des décisions de Justice sanctionnant les délits financiers rend impossible toute tentative d'évaluer l'ampleur de la délinquance financière au Maroc. ✔ F.N.H : Quels sont les cas pour lesquels le CDVM pourrait choisir d'avoir recours à la Justice, au lieu d'appliquer les sanctions prévues par la réglementation ? ✔ K.R : Permettez-moi de rappeler tout d'abord que le CDVM exerce, en vertu de la loi, quatre types de prérogatives : réglementer, autoriser, surveiller et sanctionner. Le CDVM est, en effet, habilité à procéder à des contrôles et à des enquêtes (on y reviendra). Si les enquêtes diligentées par les agents du CDVM font relever des pratiques contraires aux prescriptions légales et réglementaires ou aux obligations professionnelles, le CDVM peut prononcer contre le contrevenant une sanction disciplinaire conformément à la loi. Toutefois, si les faits relevés paraissent constitutifs d'un délit, le CDVM est tenu de saisir le procureur du Roi afin que les juridictions compétentes se prononcent. Le CDVM n'a pas le choix. Son pouvoir de sanction est encadré par la loi. Ainsi, le CDVM peut adresser un avertissement ou un blâme contre une société de Bourse si un des faits prévus à l'article 69 de la loi 1-93-211 du 21 septembre 1993 relative à la Bourse des valeurs est relevé (notamment le non respect des obligations de communication et de publication, des règles prudentielles, etc.). En revanche, le CDVM ne peut unilatéralement retirer l'agrément à une société de Bourse, la liquider, lui interdire ou restreindre l'exercice de ses activités. Ces mesures relèvent de la compétence du ministre chargé des Finances en vertu de l'article 70 de la loi précitée. Le CDVM ne pourrait que proposer au ministre chargé des Finances de prononcer l'une de ces sanctions si le blâme, la mise en garde ou une injonction prononcée par le CDVM demeurait sans effet. De la même manière, si une infraction est de nature à porter atteinte aux droits des épargnants ou au fonctionnement du marché, le CDVM ne peut ordonner au contrevenant de mettre fin à cette irrégularité. Le CDVM peut seulement saisir la Justice conformément aux dispositions de l'article 25-4 de la loi 1-93-212 du 21 septembre 1993 relative au Conseil Déontologique des Valeurs Mobilières et aux informations exigées des personnes morales faisant appel public à l'épargne. Le juge des référés, s'il constate l'irrégularité dénoncée par le CDVM, en ordonnera la fin. ✔ F.N.H : En cas de délits, les sociétés ont-elle le droit de se défendre ou bien la décision du CDVM est-elle irrévocable ? ✔ K.R : La loi pose expressément les droits de la défense en imposant au CDVM de convoquer, dans les délais légaux, les contrevenants présumés. A titre d'illustration, le CDVM ne peut retirer l'agrément à un OPCVM que si le contrevenant a été dûment convoqué, au moins une semaine avant sa comparution devant le CDVM, afin d'être entendu. Le représentant de l'OPCVM concerné peut se faire assister du défenseur de son choix. Le CDVM doit lui avoir, au préalable, signifié les infractions relevées et communiqué tous les éléments du dossier, conformément aux dispositions de l'article 112 de la loi 1-93-213 du 21 septembre 1993 relative aux OPCVM. Le défaut de convocation ou de communication des éléments du dossier constitue un vice de forme susceptible d'entraîner l'annulation du retrait d'agrément. Quant au déroulement des enquêtes et contrôles diligentés par les agents du CDVM, un débat contradictoire s'instaure entre le contrôleur et le contrôlé, ce dernier pouvant communiquer au contrôleur tout document ou pièce de nature à établir des éléments de preuve à décharge. Enfin, toute décision du CDVM, en tant qu'autorité administrative, est susceptible d'un recours en annulation devant les tribunaux administratifs compétents. ✔ F.N.H : La plupart des délits enregistrés sont soit des délits d'initiés, des manipulations de cours ou encore la diffusion de fausses informations; n'y aurait-il pas, selon vous, d'autres délits pouvant être enregistrées ? Ne faudrait-il pas justement élargir le champ des délits ? ✔ K.R : Il faut préciser que le dispositif répressif au Maroc, instauré en 1993 et amélioré depuis, ne se limite pas à la répression des seules infractions dont la sanction est publiée à la discrétion du CDVM. Le CDVM n'est pas tenu de publier toutes les sanctions qu'il prononce. Néanmoins, la publication des sanctions, il faut le reconnaître, consacre le droit des marchés (et des épargnants) d'être informés, contribue à renforcer la transparence du dispositif de sanctions et leur caractère dissuasif. Ceci étant, il est tout à fait possible d'améliorer davantage l'efficacité de notre dispositif de surveillance (périmètre des marchés surveillés, quantum des sanctions, indemnisation des préjudices subis par les épargnants et les investisseurs victimes de manquements boursiers, transaction, dénonciation par les tiers, etc.). Enfin, il ne faut pas perdre de vue que la surveillance des marchés et l'efficacité des dispositifs de contrôle et de répression exigent des moyens renouvelés et adaptés à une industrie financière en perpétuelle évolution. La transformation du CDVM en une autorité administrative indépendante qui sera appelée Autorité Marocaine du Marché des Capitaux, devra s'accompagner par la mise à la disposition au profit de cette autorité des moyens matériels, humains et techniques nécessaires à l'accomplissement de ses missions avec une meilleure efficacité opérationnelle. ■ Propos recueillis par W. Mellouk