En renforçant son partenariat avec Wafacash vers cinq nouveaux pays africains, en plus du Maroc et du Sénégal, WorldRemit poursuit son offensive pour freiner les transferts informels. Mais des difficultés persistent en Afrique, notamment les lois trop rigides face à l'essor des nouvelles technologies. Eclairage de Ahmed Ismail, fondateur et CEO de WoldRemit, leader du transfert d'argent en ligne.
Finances News Hebdo : Tout d'abord, rappelez-nous la genèse de ce partenariat entre WorldRemit et Wafacash ?
Ismail Ahmed : Le début de ce partenariat date d'août 2016 et s'est déployé aussi bien au Maroc qu'au Sénégal. Et suite au succès de cette première expérience, le souhait a été formulé pour déployer ce modèle sur d'autres pays de l'Afrique de l'Ouest. C'est ainsi que cinq nouveaux pays seront adressés dans les prochaines semaines, que sont le Cameroun, le Bénin, le Burkina Faso, le Niger et la Côte d'Ivoire.
F.N.H. : Mais qu'en est-il du transfert d'argent en ligne au Maroc, notamment avec la nouvelle loi bancaire qui ouvre la voie au développement des Fintechs dans le Royaume. Existe-t-il chez vous une ambition de développer vos solutions sur le marché national ?
I. A. : Actuellement, les clients de WorldRemit, notamment les Marocains de l'étranger, peuvent envoyer de l'argent d'une cinquantaine de pays vers le reste du monde, notamment vers leur pays. Nous travaillons sur le développement du transfert électronique intra-marché dans des pays comme la Malaisie, qui a récemment proposé de faire un projet test afin de voir la possibilité de déployer les solutions de transfert d'argent électronique. Pour revenir au Maroc, le pays figure parmi les marchés qui présentent un fort potentiel et une opportunité intéressante pour étendre nos solutions. Nous sommes confortés en cela par le cadre législatif, notamment la nouvelle loi bancaire qui ouvre la possibilité à des sociétés comme la nôtre d'étudier la faisabilité d'un déploiement au Maroc. Aussi, il ne faut pas perdre de vue que votre pays est des plus importants du continent avec un flux de transferts de fonds important et en nette croissance. C'est dire le potentiel de ce marché.
F.N.H. : Le constat actuel est que la communauté africaine résidente aussi bien à l'étranger qu'au Maroc est dans l'obligation d'envoyer de l'argent à ses pays d'origine par le circuit informel. Dans quelle mesure le partenariat avec Wafacash permettra-t-il d'endiguer ce phénomène ?
I. A. : Entre le transfert d'argent par les voies classiques coûteuses ou informelles toutes aussi coûteuses que dangereuses, WorldRemit propose une solution rapide, accessible et sécurisée. Elle permet aux personnes dans une cinquantaine de pays où elle est implantée de ne pas se déplacer en effectuant les opérations de transfert en ligne vers 140 destinations. Notre objectif est d'ajouter une cinquantaine d'autres pays à notre réseau en tant qu'émetteurs, notamment le Maroc. Cela offrira une autre alternative aux clients de ces pays et limitera par conséquent le recours à l'informel.
F.N.H. : En attendant, peut-on avoir une idée sur le manque à gagner que constitue l'informel pour le secteur du transfert d'argent ?
I. A. : En ayant travaillé au sein des Nations unies en tant que chercheur spécialisé dans la lutte contre les flux financiers illégaux, je peux vous dire qu'il y a un avant et un après 11 septembre 2001. La réglementation était tellement souple en matière de transfert d'argent que l'activité s'effectuait à hauteur de 60 à 70% par le circuit informel. Après les attentats du World Trade Center, la réglementation a extrêmement durci. Toujours est-il que si l'on considère cas par cas, le flux des transferts informels varie selon les régions et les pays du monde. Si l'on prend par exemple la France, environ 50% des transferts vers l'Afrique passent par le circuit informel (C'est pratiquement la même tendance dans les pays méditerranéens comme la Grèce ou l'Italie); ce taux tombe à 10% dans les pays nordiques. C'est pour dire qu'il s'agit non seulement de réglementation mais d'une question de culture du cash. La conséquence de cela est bien évidemment la difficulté de traquer le blanchiment d'argent, la fraude ou le financement du terrorisme. C'est ce qui a incité l'Organisation des Nations unies et ses instances à sommer les banques dans le monde à veiller à une traçabilité des transferts. Il y a lieu de signaler tout de même qu'un think tank présidé par l'ancien Secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, avait conclu aux prix prohibitifs appliqués par Western Union et Money Gram qui n'encouragent pas le recours au transfert d'argent formel. Cet état de fait a profité à WorldRemit qui a servi près de 150 pays par une application qui ne nécessite pas le déplacement physique pour effectuer un transfert à un prix très accessible et sécurisé. En quelque sorte, nous aidons à recruter des clients pour le secteur formel grâce au service proposé, notamment en Afrique. Autant dire qu'à ce jour le manque à gagner est énorme !
F.N.H. : Justement pour revenir à l'Afrique, et le Maroc entre autres, dans quelle mesure la rigidité des régimes de change dans ces pays peut-elle constituer un frein au développement du transfert d'argent en ligne ? De nouveaux opérateurs peuvent-ils investir ce créneau face au fort lobby bancaire ?
I. A. : Jusqu'à présent, les lois en la matière sont extrêmement rigides en Afrique pour la simple raison que les pays n'ont pas essayé de faire évoluer les textes en vigueur au même rythme de développement des nouvelles technologies. Le changement est venu dans d'autres pays africains par les entreprises, le Kenya est un cas d'école avec le mPesa. Ce pays a réalisé une véritable révolution en la matière qui s'est étendue à d'autres pays. Le cas de l'Ouganda mérite également d'être cité en exemple, puisqu'aussi tardivement que la révolution technologique s'est produite, ce pays a choisi de miser, non pas sur le secteur bancaire, mais sur les opérateurs télécoms pour mener le chantier de la monnaie électronique. Concernant le lobby bancaire, je vais vous raconter une anecdote : au Kenya, le secteur bancaire est des plus forts en Afrique. Il a fait des mains et des pieds pour freiner le déploiement du mPesa, en utilisant des campagnes médiatiques au prix fort. Pourtant, cela n'a servi qu'à renforcer le mPesa (aidé par la Banque centrale kenyane) et au final, les banques se sont rendu compte de tout le potentiel d'affaires qu'a créé le mPesa. ■