L'Afrique du Nord, 2ème zone la plus vulnérable aux aléas climatiques. Sur les 276 désastres naturels recensés depuis vingt ans, 120 ont eu lieu pendant les cinq derrières années. 3 types d'action recommandés par la Banque mondiale pour atténuer ces risques. Payer pour les erreurs des grands. Tel est et sera le cas des pays méditerranéens, notamment ceux situés en Afrique du Nord, pour ce qui est des risques climatiques auxquels ils sont exposés. Alors qu'ils ne sont pas les pires pollueurs, ces pays vont subir les conséquences de la dégradation environnementale que connaît actuellement le monde. Ce malheureux constat ressort d'une étude récemment publiée par la Banque mondiale selon laquelle le littoral de l'Afrique du Nord serait la deuxième zone la plus vulnérable face aux effets du changement climatique. Cette étude vient tirer la sonnette d'alarme. Elle démontre que les pays de la région Mena (Afrique du Nord et Moyen-Orient) sont fortement exposés à des catastrophes naturelles de type inondations et érosion côtière qui ont des effets de plus en plus dévastateurs, particulièrement dans les villes. Ces dernières, à forte croissance démographique, font face à des risques concrets qui s'intensifieront au cours des prochaines décennies, à mesure que les conséquences du changement climatique se manifesteront davantage. En effet, la région Mena souffre d'une augmentation du nombre de désastres naturels. La moyenne annuelle de trois catastrophes dans les années 1980 a atteint le chiffre de quinze en 2006. Sur les 276 désastres naturels recensés depuis vingt cinq ans dans la région, 120 ont eu lieu pendant les cinq dernières années. Cette étude se concentre sur quatre zones urbaines : Alexandrie en Egypte, Tunis en Tunisie, Casablanca et la vallée du Bouregreg au Maroc. Cette étude met en évidence les vulnérabilités de ces bassins de population peuplés actuellement par 60 millions de personnes, mais qui dénombreront 90 millions d'habitants dans 20 ans. Or, c'est précisément dans 20 ans que l'Afrique du Nord devrait faire face à des effets du changement climatique bien plus importants qu'aujourd'hui. L'étude prévoit une hausse de quatre degrés de leurs températures moyennes et une baisse de 70 % des précipitations dans les années à venir. Certaines parties de la région sont les plus chaudes et les plus arides du monde ; la quantité moyenne d'eau disponible au Moyen-Orient et en Afrique du Nord est la plus faible à l'échelle mondiale avec environ 1.200 m3 par an et par habitant, contre une moyenne mondiale de 7.700 m3. Les auteurs de l'étude tablent sur une élévation du niveau de la mer, liée au changement climatique, de 20 cm à l'horizon 2030, avec des épisodes orageux beaucoup plus violents. Tunis, sans doute la ville la plus exposée, va voir les risques d'instabilité des sols et de submersions marines passer de moyens à élevés, ceux d'inondations et d'érosion côtière d'élevés à très élevés. Casablanca est principalement concernée par l'érosion côtière et les inondations, Alexandrie par la submersion marine, la pénurie d'eau et l'érosion côtière. Les clignotants vont passer à l'orange ou au rouge dans la vallée du Bouregreg en matière de submersion marine et d'inondations. Au total, entre 2010 et 2030, chacune des trois villes sera exposée à des pertes potentielles d'un coût largement supérieur à un 1Md de dollars alors que le projet d'aménagement de la vallée du Bouregreg au Maroc mettra en danger ses habitants, si les risques identifiés ne sont pas pris en compte. Plus grave, toutes les données scientifiques prévoient une augmentation significative des conséquences du changement climatique pour 2050 et au-delà. La situation ne fera donc qu'empirer. Par ailleurs, le réchauffement climatique dans les pays arabes est d'environ 50 % supérieur à la moyenne mondiale. Un grand nombre des plus grandes villes de la région sont situées sur les côtes et sont exposées à la fois à l'élévation du niveau de la mer et à l'augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes, en particulier à Bahreïn, en Egypte, au Koweït, au Maroc, au Qatar, en Tunisie et aux Emirats arabes unis. Aussi, selon une étude publiée par le Centre national américain de recherches atmosphériques (NCAR), les régions du pourtour méditerranéen risquent de connaître une sécheresse «presque sans précédent» au cours des trente prochaines années, si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas réduites. Les changements climatiques menacent notamment les ressources en eau et en énergie, l'agriculture et le tourisme. Leurs effets risquent d'entraîner la perte des gains obtenus jusqu'ici sur le plan économique et en matière de réduction de la pauvreté. Que faut-il faire pour éviter le pire ? La réduction des risques passe par trois types d'actions à mettre en œuvre simultanément. Pour commencer, prendre en compte l'évolution de la situation climatique dans les plans d'urbanisme. Deuxièmement, améliorer l'information du public, les systèmes d'alerte rapide et de communication, et le fonctionnement des institutions responsables. Enfin, réaliser des infrastructures urbaines de protection et de drainage. Les deux premières séries de mesures s'avèrent les plus efficaces et les moins gourmandes en investissements. En revanche, les dernières supposent des enveloppes budgétaires souvent très lourdes. Leurs coûts peuvent même s'avérer plus élevés que ceux des dommages qu'elles permettent d'éviter. «Cependant, ces mesures peuvent pourtant se justifier, par exemple, en termes de valeur du patrimoine situé dans les zones concernées», précise l'étude. C'est ici que devraient intervenir à la fois les dirigeants des pays concernés et la Banque mondiale pour l'allocation de fonds importants. «Notre travail a bien été réalisé en collaboration avec les autorités nationales de chaque pays», affirme Anthony Bigio, urbaniste et rédacteur du rapport de la Banque mondiale. «Il a impliqué une dizaine d'agences par pays.Les intervenants nationaux doivent s'approprier cette étude pour passer à l'action, en sélectionnant les interventions prioritaires. La Banque mondiale pourrait alors jouer un rôle de partenaire technique et financier». D'après Shamshad Akhtar, vice-présidente de la Banque mondiale pour la région Mena, «alors que la communauté internationale peine à trouver un accord mondial sur le changement climatique, il y a beaucoup à faire partout dans le monde et en particulier en Méditerranée. La région méditerranéenne, qui est devenue un pôle de premier plan pour les énergies renouvelables, offre de nombreuses opportunités et solutions technologiques en matière d'investissements et d'activités écologiques». Outre les ressources qu'elle consacre à des initiatives relatives au changement climatique au niveau mondial, la Banque mondiale a alloué à la région concernée plus de la moitié de ses financements sur la période 2005-2010 pour des initiatives concernant le changement climatique, dans le but de contribuer aux efforts d'adaptation et d'atténuation. Cette démarche vise à promouvoir les stratégies d'adaptation et d'atténuation, et à tirer parti des opportunités et des connaissances disponibles pour faire face aux enjeux du changement climatique. Les règles doivent être appliquées L'urbaniste Anthony Bigio, rédacteur du rapport en question, insiste sur l'urgence d'adopter de nouvelles règles d'urbanisme qui devront être appliquées pour que la croissance urbaine à venir prenne en compte ces risques. Les Etats doivent maîtriser leur espace urbain et sanctionner les abus. D'autres leviers, comme la construction d'infrastructures de transport, permettent également de détourner l'urbanisation d'une zone dangereuse et l'orienter vers des zones sûres. Ils sont particulièrement efficaces pour des villes très étalées comme Tunis, Casablanca ou Alexandrie. Les décisions finales reviennent aux gouvernements. L'étude exprime aussi une perplexité relative à certaines opérations où visiblement des intérêts privés l'emportent sur l'intérêt public. Quand elles existent, les règles d'urbanisme restent souvent lettre morte. En 2010, les villes côtières de la région accueillaient une population d'environ 60 millions d'habitants. Elle dépassera probablement 100 millions en 2030, exposant ainsi aux risques de plus en plus d'habitants et d'activités économiques. Alexandrie, Casablanca et Tunis, dont les populations totalisaient environ 10 millions d'habitants en 2010, abriteront 15 millions de résidents en 2030. De ce fait, «les décideurs vont devoir opérer des arbitrages entre ne pas construire dans des zones sensibles, ou bâtir en se protégeant contre les risques naturels et climatiques», estime Anthony Bigio. «Tout reste possible techniquement, mais il ne faut pas oublier que les infrastructures de protections ont un coût, généralement financé par la collectivité. Il convient également de savoir où placer la barre. Faut-il protéger les quartiers concernés d'évènements intervenant tous les dix ans, cinquante ans, cent ans ? Tout est question de rapport coûts/bénéfices. Pour un développement urbain tout neuf et de haut standing, comme dans la vallée du Bouregreg, une protection centennale apparaît judicieuse. Sur des zones urbanisées, cela mobiliserait des budgets trop importants. A Casablanca, par exemple, mettre la barre à vingt ans constituerait déjà un progrès considérable».