Voilà trois mois jour pour jour que Marrakech a été secouée par l'événement de l'Argana. Afin de bien comprendre le contexte actuel, faisons un point sur ce premier semestre de l'année 2011 avec My Rachid El Maarouf, Directeur général de l'hôtel La Renaissance à Marrakech. -Finances News Hebdo : Vous avez bouclé une année depuis la réouverture de l'hôtel La Renaissance. Qu'est-ce qui a changé entre l'avant et l'après-réouverture de votre établissement ? -My Rachid El Maarouf : Tout Marrakech attendait la réouverture de l'hôtel ; sa fermeture même durant 9 ans était un événement en soi. L'hôtel est emblématique, il est chargé d'histoire. Il a toujours représenté un lieu incontournable pour tous les Marrakchis, les Marocains et les Français. Un an après l'ouverture, La Renaissance suscite toujours de l'intérêt, car nous avons su lui apporter une touche de renouveau tout en lui conservant son cachet d'antan. Nous capitalisons sur l'existant ! La Renaissance est une vraie valeur ajoutée pour la ville ocre. Construit en 1952, c'est une figure incontournable de Marrakech : La Renaissance fût le premier hôtel du quartier moderne de Guéliz. Aujourd'hui, tout le quartier a retrouvé un peu de son âme. Ce qui n'a pas changé en revanche c'est toujours le passage obligé pour tous, les jeunes et les moins jeunes. Tout en modernisant les lieux, nous avons voulu faire perdurer la mémoire du bâtiment et les souvenirs qui y sont enfouis. L'an prochain nous nous préparerons ainsi à fêter les 60 ans de la demoiselle... Nous nous adaptons aux innovations tout en assurant une continuité dans notre quotidien envers nos hôtes. Ce qui a changé c'est notre approche de l'autre. Aujourd'hui plus qu'hier, il y a un moyen de communication à ne pas négliger surtout : bouche-à-oreille. C'est ainsi que nous avons appris à pratiquer l'empathie en nous montrant très à l'écoute et bons managers vis-à-vis de nos invités. Nous mettons en place une démarche de proximité par une présence dynamique et personnalisée alliant authenticité et modernité. Le client «roi» ressent ce type d'attention. Nous jouons aussi le rôle de guide et de conseil auprès de nos touristes. Sans oublier le côté gustatif qui a su évoluer avec le temps, aujourd'hui, nous offrons une prestation de restauration digne de ce nom en alliant la cuisine française, marocaine et méditerranéenne. -F.N.H : Quel bilan d'activité faites-vous de cette première année après la réouverture ? -M. R. E. M. : Essayer de faire un bilan précis serait très difficile. L'année a été assez chaotique et secouée par des évènements géopolitiques importants. Quoi qu'il en soit, La Renaissance s'est imposée de part sa qualité de service, la particularité de ses prestations, le design de ses chambres. L'activité de l'hôtel a connu une nette augmentation de 97% de son taux d'occupation à fin juin 2011 en comparaison avec juin 2010. Notez par ailleurs que nous avons une capacité de 45 unités entre chambres et suites et que nous entamons seulement notre seconde année d'activité. Il faut souligner que l'offre en hébergement est très importante à Marrakech et que la concurrence est rigoureuse mais peut-être souhaitable ! Toujours en comparaison avec le premier trimestre 2010, il est vrai que ce début d'année semblait prometteur en enregistrant une augmentation du nombre des nuitées. Mais «le Printemps arabe» fut le premier évènement déclencheur d'annulations sur le mois de mars, puis un ralentissement des réservations s'est fait sentir sur les mois d'avril, mai, juin et juillet. Bien qu'une hausse ait été enregistrée au mois d'avril, elle ne peut être considérée comme une surperformance. -F.N.H : Aujourd'hui, il s'est passé trois mois jour pour jour depuis le triste événement de l'Argana à Marrakech, un certain 28 avril. Quel en a été l'impact sur le plan touristique ? Avez-vous noté un ralentissement de l'activité et éventuellement certaines annulations de réservation ? -M. R. E. M. : Tout d'abord, je tiens à affirmer que Marrakech se porte bien. Et que nous, Marrakchis et professionnels du tourisme, restons sereins. Trois mois après ce triste évènement nous ressentons toujours les dommages collatéraux, mais nous ne nous sentons pas en danger pour autant. Les conséquences de l'attentat du 28 avril ont été immédiates : annulations, gel des réservations, … et un réel manque de visibilité sur les mois à venir. Un exemple marquant : à fin mai 2011, Marrakech affichait une baisse de 4% en termes de nuitées, en comparaison avec 2010 qui n'est cependant pas ce que l'on pourrait appeler une année de référence (contrairement à 2006 ou 2007). N'oublions pas que les caprices du volcan islandais avaient paralysé le pays pendant plusieurs semaines. En revanche, nous n'avons pas eu à gérer de départs anticipés au lendemain de l'attentat et aujourd'hui trois mois après, jour pour jour, nous constatons une légère reprise sur les mois de juillet et août, principalement grâce à une clientèle MRE et marocaine. -F.N.H : A moyen et long termes, quel impact pourrait avoir un tel évènement sur la destination de manière générale, sachant que la ville ocre a déjà été secouée (événement d'Atlas Asni) ? -M. R. E. M. : Marrakech ne sera pas ternie à vie par cet attentat. Rappelez-vous Londres, Bali ou New-York mais surtout remémorez-vous, dès le lendemain du 28, la ferveur de la population et des professionnels à faire oublier ce drame. Les médias du monde entier ont d'ailleurs bien relayé l'ensemble des manifestations ainsi que la venue de Sa Majesté sur les lieux. Vous avez su contribuer à revaloriser la destination à votre façon et nous vous en remercions. Les différents organismes étatiques et semi-étatiques ont fourni un bel effort vis-à-vis des médias et des TO, il faut le souligner. -F.N.H : Le mois sacré survient une fois de plus durant la saison estivale. Comment comptez-vous vous y adapter ? -M. R. E. M. : Ramadan correspond à la haute saison estivale pour la seconde année consécutive. Pour compenser le manque à gagner des touristes étrangers, nous ciblons le tourisme local avec des offres «Ramadan». La cible locale représente un réel renfort financier susceptible de nous éviter toute dépendance à l'égard de la conjoncture internationale. Il faut tenir compte du touriste marocain! Ce marché national représente à lui seul 23% du volume global de l'activité touristique: c'est le deuxième marché le plus important en termes de nuitées après le marché français. Une offre tarifaire différente peut être mise en place pour l'attirer à nous; mais attention à ne pas se retrouver dans une situation de dévalorisation de notre produit. Nous sommes un très bon 4 étoiles et nous ne devons pas nous déprécier, car notre offre reste la même. Ramadan étant synonyme de festivités : animations et traditions seront donc au rendez-vous pour les soirées ftour. Malheureusement, face à toutes ces ambiguïtés et ces incertitudes, une grande partie des hôteliers proposent des prix d'appel très bas au risque de dévaloriser la marque «Marrakech». Ces baisses de tarifs, voire cette «guerre» des prix, ont un impact lourd, pénalisant automatiquement les hôtels de catégories inférieures. Dans l'hôtellerie de luxe, nous avons observé une baisse allant jusqu' 60% sur les tarifs affichés : il n'est pas forcément bon de s'amuser à casser les prix alors que les prémices d'une reprise se font sentir à la mi-septembre. Il serait donc préférable d'un commun accord de les maintenir et de se concentrer davantage sur de nouvelles activités à offrir au client. -F.N.H : Indépendamment de la crise financière, du risque terroriste ou encore du mois sacré, Marrakech, en tant que première destination au Maroc et l'une des plus prisées au monde, est en train de perdre de la vitesse. En tant qu'expert, quelle stratégie jugez-vous utile d'adopter pour repositionner la destination ? -M. R. E. M. : Marrakech comme l'ensemble du Maroc reste et restera une destination de prédilection pour des vacances réussies, et ce en dépit de la conjoncture difficile marquée par cette crise généralisée. Oui, la concurrence est rude entre les destinations?touristiques,?mais Marrakech demeure une des marques favorites ! Je parle de marque et donc d'un repositionnement image. Il faut recrédibiliser et redynamiser la destination et cela doit se faire en étroite collaboration avec les organes-clés comme le CRT, l'ONMT, la RAM, les élus, les autorités locales et les représentants des ministères de tutelle. Plusieurs scenarii et dispositifs sont envisageables, mais tous devront être dirigés par une stratégie de communication bien ficelée. En un mot, il faut axer tous nos efforts à communiquer vers nos principaux marchés émetteurs : la France, l'Espagne et la Grande-Bretagne et, en particulier à destination de nos partenaires tour-opérateurs et média internationaux sans oublier la zone Mena. D'ailleurs, c'est en ce sens que nous nous rendrons prochainement à Top Resa avec une approche dynamique et un état d'esprit différent… Pour nous repositionner il faut innover en vendant la destination et en mettant en place une offre nationale à part entière: proposer au Marocain un nouveau circuit touristique adéquat. Il faut prendre en charge notre clientèle marocaine, la chouchouter, la conseiller et l'introduire dans les circuits touristiques existants. Au-delà d'un simple plan Kounouz biladi : il faudrait proposer un kit complet et faire dans le sur-mesure. La demande est là, l'offre attend, elle se matérialise encore ! Encourageons ce secteur par l'implication des corporates, par exemple ! Ces derniers sont très dynamiques, prenez l'OCP et la BMCI, ils encadrent les vacances de leurs employés en mettant à leur disposition une nouvelle façon de découvrir le Maroc, à la carte. Chacun dans son domaine de compétence devra évoluer : nos responsables doivent sortir des sentiers battus et avoir une vision globale sur le plan du territoire et une vision touristique bien décentralisée. Enfin, et c'est indéniable, la marque Marrakech qui reste une destination d'exception, séduit depuis de nombreuses années les touristes du monde entier de par la diversité des séjours qu'elle propose, la beauté de ses paysages et le caractère chaleureux et accueillant de ses habitants : nous ne pouvons qu'être optimistes, rassurés et rassurants.