Mabrouk El Mostafa, (expert assermenté en finances et techniques bancaires, professeur universitaire des techniques bancaires et procédures collectives, explique les enjeux de Bâle III). - Finances News Hebdo : Où en sommes-nous dans la mise en place de Bâle II au Maroc ? - Mabrouk El Mostafa : Je crois qu'il faut faire la différence entre deux institutions au Maroc : les banques étrangères qui suivaient leur maison-mère dans toutes leurs décisions, avec un peu de retard pour le Maroc par rapport au centre, certes, mais elles le faisaient quand même. Il y a aussi les banques marocaines ou à capital marocain qui sont un peu en retard pour différentes raisons historiques; ce n'est pas facile que les banques se régulent à Bâle II. Pour cela, il leur faut des outils de notation interne, par exemple, ce qui n'est pas chose facile, et il faut aussi que les équipes soient formées. Cela dit, tout le monde arrivera au même stade et tout le monde saura s'adapter. Donc, il faut faire ce distinguo entre les banques étrangères et marocaines et faire intervenir le paramètre de la formation, qu'elle soit marocaine ou étrangère, car on aura toujours un personnel marocain qu'il faudra former, et établir une mise à niveau pour qu'il soit à la hauteur de sa charge. Personnellement, je trouve que les banquiers ne prêtent pas beaucoup d'attention à ce côté formation et surtout à la formation continue, ayant puisé leur part de promotions bien éduquées, bien formées au sein de grandes écoles ; ils pensent que la formation continue n'est pas nécessaire. Il y a un côté très technique de la banque qu'il faut revoir, surtout l'informatisation et je dirais même que l'informatisation a un côté très mauvais concernant la formation du personnel, parce qu'elle banalise le travail; c'est très productif et rentable pour la banque, mais qu'en est-il de la formation, de son personnel ? On laisse le soin à la machine de prendre en charge la formation de base, elle le fera avec exactitude, mais le personnel a tendance à prendre connaissance des mécanismes internes. Ce sont des paroles qui sortent d'un formateur à la banque. - F.N.H. : Croyez-vous que la mise en place du dispositif de Bâle III soit nécessaire pour les banques marocaines, alors que l'application des règles de Bâle II n'est pas encore achevée? - M. E. M. : En effet, Bâle II n'est pas encore achevé, mais que l'application soit achevée ou pas on est bien obligé de suivre un petit peu ce qui se passe à travers le monde, ou du moins s'en inspirer. Et si Bâle III apporte des améliorations à Bâle II pourquoi ne pas en profiter ? Effectivement, quand on pense aux capitaux contracycliques, on pense à renforcer encore les capitaux propres pour les banques pour qu'elles aient suffisamment de pouvoir afin de venir à l'encontre de toute crise possible. Le renforcement des capitaux propres est très important; en tout cas on est déjà en avance au Maroc puisque, concernant Bâle II, le coefficient des capitaux sur les trois risques a déjà atteint 10%, mais cela ne veut pas dire qu'on ne doit pas améliorer ce dispositif. Personnellement, je suis pour le renforcement équilibré; il faut que cela soit bien réglé, bien calculé en fonction des taux de risque au Maroc. Donc, je crois que même si on n'a pas encore appliqué complètement les règles de Bâle II, il faut s'inspirer de Bâle III et éviter ainsi la spéculation. Il faut que les fonctions de la Banque centrale se consacrent (c'est en cours d'ailleurs) à surveiller aussi le marché financier de la même manière qu'elle surveille le marché monétaire et avec la même rigueur. Donc tout dépend de ce que va pondre Bâle III qui n'est pas encore terminé. - F.N.H. : Quels seraient à votre avis les ajustements nécessaires afin de mieux gérer le risque de liquidité ? - M. E. M. : La gestion des risques de liquidité pour les banques est d'abord de respecter les règles prudentielles. En effet, il y a un coefficient de liquidité de 100% qu'il faut respecter. Dans une économie en pleine extension, les liquidités manquantes ne sont pas considérées comme mauvaises, il y a toujours les autorités qui vont venir les combler. D'ailleurs. Bank A-Maghrib fait aujourd'hui beaucoup d'efforts pour renflouer la trésorerie manquante pour les banques qui ont octroyé beaucoup de crédits. Mais le crédit est l'occasion la plus importante pour une banque de gagner de l'argent, donc on ne peut pas dire à un banquier de ne pas prêter, on ne peut que l'aider. Sinon, on lui dira qu'il y a trop de spéculation et qu'il faut arrêter d'accorder des prêts. Dans le cadre de Bâle III, on gérera mieux la titrisation qui est un moyen d'échapper au resserrement de la trésorerie, mais il faut que le marché puisse s'y prêter. Si tout le marché est en banque, c'est à dire dépendant de Bank Al-Maghrib, c'est que la trésorerie n'existe plus et que BAM doit intervenir. Autrement dit, quoi qu'on fasse, tout dépendra de la conjonction de l'action des banques : ces dernières doivent faire un effort pour collecter de l'épargne et il faut peut-être un taux de bancarisation supérieur et que toutes les banques se prêtent à ce jeu. Si une banque est mal gérée, c'est une autre histoire, car dans ce cas BAM a tous les moyens réglementaires pour réagir et redresser la situation. Le gouverneur de BAM a la possibilité de convoquer les actionnaires pour leur demander de redresser la situation ou présenter un plan de redressement. Donc les autorités monétaires ont un grand rôle dans le redressement de liquidité et la surveillance. Maintenant, il me semble que les liquidités ne sont pas suffisamment bien rémunérées, le public en compte sur carnet gagne : des poussières brutes et il faut peut-être que le solde créditeur soit un peu plus important. Les banques disposent de plus de la moitié de leur dépôts sous forme de dépôts à vue, ce qui n'encourage pas tellement les dépôts. Elles profitent d'une marge assez large, mais il semble qu'il y a quelque chose à revoir à ce sujet, il faut que quelqu'un défende les déposants pour encourager justement l'épargne. Pour conclure, effectivement, il y a un risque de liquidité, mais BAM est là pour ne pas laisser tomber les banques. - F.N.H. : Une analyse du FMI fait ressortir que le dispositif de Bâle III ne sera pas en mesure d'appréhender intégralement la dimension systémique du risque de liquidité; qu'en pensez-vous ? - M. E. M. : D'abord, la réflexion Bâle III n'est pas encore terminée, je ne peux pas dire que Bâle III est déjà là. Il y a une réflexion assez profonde pour voir dans quel sens vont aller les choses à ce sujet. On ne peut pas dire si Bâle III sera décisif pour le risque de liquidité ou pas, surtout que tout dépend de la conjoncture : si on est dans une conjoncture baissière ou si on est dans une conjoncture peu baissière, alors on ne peut pas dire d'avance ce que sera Bâle III. Personnellement, ce que je ne conseillerai pas à Bâle III, c'est daller trop réglementer, car si c'est le cas on va aller vers la récession et les banques vont avoir peur et ne seront pas encouragées. - F.N.H. : Pensez-vous que la mise en place de ce dispositif soit toujours une nécessité ? - M. E. M. : Bien sûr. La crise mondiale a bien démontré que c'est une nécessité d'aller vers Bâle III et de préciser Bâle II mais aussi de revoir les autorités monétaires et de les convaincre de se concentrer sur l'équilibre financier plutôt que monétaire. - F.N.H. : Quels sont les outils à mettre en place afin de remédier au mieux aux lacunes de ce dispositif ? - M. E. M. : Comme vous le savez, la crise est née de cette titrisation qui a pris l'allure d'une spéculation effrénée à travers le monde. Donc ces titres-là qui étaient notés excédentaires ont fini par crypter, parce que simplement les emprunteurs de base ont commencé à être défaillants. Il y a eu des millions de foyers aux USA qui ne pouvaient plus payer la révision de valeur de ces titres. Ce qui a fait que le marché financier a commencé à vendre plus qu'il n'injectait et c'est ce qui a produit le grand crash. Donc, ce qu'il faut mettre comme dispositif, la réflexion me dépasse en tant qu'individu, c'est au niveau international qu'on est en train de réfléchir. A mon avis, il faut éviter la spéculation par tous les moyens. Et cette spéculation est comme le cholestérol, il y a le bon et le mauvais. En effet, la spéculation a tendance parfois à trop se détacher du réel économique sur le marché financier. Donc il faut l'éviter pour présenter aux gens la véritable réalité de leurs risques, car quand il y a trop de spéculation, les gens n'ont plus l'idée du risque et s'engagent dans le circuit sans penser au risque. Il faut donc éviter les spéculations effrénées et les autorités régulatrices doivent réagir à temps et s'informer suffisamment du marché financier plus largement que le marché monétaire, tout en maintenant l'inflation modérée pour éviter la dépréciation de l'unité monétaire afin que les gens ne perdent pas leurs fortunes dans des processus inflationnistes. Propos recueillis par W. Mellouk