Finalisé le 02 mars dernier, l'accord de libre-échange Maroc-Etats-Unis continue de susciter un grand intérêt... Le nouvel ensemble BCM-Wafabank a initié une rencontre sur l'avenir des relations entre le Maroc et l'Union Européenne après la conclusion de l'accord avec les États-Unis. Christian de Boissieu, professeur à l'Université Paris I, et président délégué du conseil d'analyse économique auprès du premier ministre français, a été interpellé pour faire part à l'auditoire de ses analyses et conseils. Cette conférence économique est la deuxième d'un cycle étalé sur l'année 2004, en partenariat avec le Cercle d'amitié franco-marocain. Son intervenant est Christian de Boissieu, professeur à l'université Paris I, et président délégué du Conseil d'analyse économique auprès du Premier ministre français. Il est, entre autres, auteur de nombreuses publications sur des sujets comme la monnaie, les taux d'intérêt et la problématique des marchés émergents. Étaient présents également des personnalités engagées dans le développement économique du Maroc: chefs d'entreprises, universitaires, prescripteurs économiques, représentants diplomatiques... Le but est de débattre les questions relatives à l'accord bilatéral entre le Maroc et l'Union Européenne, ainsi que les défis que le Maroc est appelé à relever pour que le partenariat avec les Américains soit réellement gagnant-gagnant. Dans le cadre de cet accord signé avec les États-Unis, le Maroc pourrait devenir une plate-forme d'exportation et de production, tournée non seulement vers le Nord et l'Ouest, mais aussi vers l'Asie. En effet, l'enjeu phare de cet accord est d'attirer les exportateurs européens et asiatiques, lesquels pourraient réexporter sur les États-Unis à partir du Maroc, en exonération des droits de douane. L'intervention de M. de Boissieu s'inscrit dans le cadre de la vision que le Maroc devrait avoir face à une économie mondialisée et face à la place qu'il peut occuper dans un monde décloisonné. Devant une salle archi-comble, de Boissieu, en tant qu'Européen, était un peu mal à l'aise de donner son avis sur l'accord Maroc-États-Unis. Cette gêne provient essentiellement des relations entre l'Europe et les Etats-Unis. Ces relations, difficiles à cause des considérations politiques et économiques, risquaient de biaiser l'interprétation de ses propos. Son intervention s'est ainsi déclinée en trois points: l'analyse de l'accord, la nécessité pour l'Europe de bouger et les principaux défis que le Maroc devrait relever en vue de réussir ses ancrages à la mondialisation. Analyse de l'accord M. de Boissieu a émis une remarque relative à la stratégie adoptée par les Américains, ces dernières années. Ces accords bilatéraux avec les pays arabes, dans le cadre d'une stratégie régionale, ne sont pas indépendants de l'échec de Seattle et de Doha. Ces stratégies bilatérales rendent ainsi impossible le succès de l'Organisation Mondiale du Commerce qui place toujours, au cur de ses négociations, la clause de la nation la plus favorisée. La conférence de Seattle, bien nourrie d'espoirs, n'est malheureusement, pas parvenue aux résultats escomptés. Les points de désaccord étaient nombreux : les Américains ont voulu placer l'agriculture au cur des négociations. Bien qu'impressionné par l'évolution du Maroc au cours de ces dernières années, M. de Boissieu a pointé du doigt le déséquilibre énorme existant entre le Maroc et les États-Unis. Les Marocains se rendront compte, avec le temps, que les périodes transitoires, dont ils bénéficient en ce qui concerne le volet agricole, ne sont pas suffisantes. De même, concernant le textile, il ne faut pas focaliser l'attention sur l'accord avec les États-Unis. Dans ce domaine, la concurrence s'annonce de plus en plus rude à cause de l'Asie qui ne cesse de s'accaparer des parts de marché. Les génériques, quant à eux, avec cette limitation de la production pour des raisons liées à la propriété intellectuelle, vont au-delà de l'aspect économique. L'enjeu est aussi social à cause de l'accès, de plus en plus difficile, aux médicaments pour la population à revenu faible. L'accord de libre-échange Maroc-Etats-Unis, devra être placé dans un cadre plus global, sinon il risque de se traduire par un véritable choc concurrentiel pour le pays moins avancé. Afin de pallier cette asymétrie, qui risque de coûter cher au pays émergent qu'est le Maroc, il faudra accompagner l'accord par des transferts. M. de Boissieu rappelle que l'Europe a accompagné le Maroc dans le processus de libéralisation (programme MEDA, BEI...). Or, du côté américain, rien n'est encore fait en vue d'encourager les investissements étrangers directs au Maroc pour limiter le chômage, véritable bombe à retardement. Le Maroc est aujourd'hui exposé à une véritable concurrence, notamment de la part de l'Asie, en matière de délocalisation. " Cet accord n'est pas l'OMC "plus", mais l'OMC "moins"", annonce M. de Boissieu. Et il s'empresse d'ajouter : " Les accords devront rester dans le cadre du multilatéralisme." L'Europe devra bouger ... Le second volet de l'intervention de M. de Boissieu, est que, dans cette nouvelle configuration qui se dessine, l'Europe est interpellée à bouger. A titre d'exemple, la dimension agricole Maroc-UE devra être intégrée dans le processus de Barcelone. En outre, il est temps d'accélérer les négociations et ne rien exclure du champ d'application. Il faut, selon lui, passer à la vitesse supérieure concernant la création de quelques institutions nouvelles et l'encouragement d'investissements directs étrangers. Il s'avère aussi important de créer des forums Euromed relatifs aux secteurs vitaux. Comment accompagner l'accord ? L'accord Maroc-États-Unis doit être une force puissante et dynamique capable de renforcer la coopération et d'accélérer la croissance et le développement. Riche en possibilités, il n'est cependant pas exempt de risques et de difficultés. Il est inégal et imprévisible. Mais, bien conduit, il permettra de jeter les bases d'une croissance équitable, autant que durable, à l'échelle nationale et internationale. A cet égard, toutes les questions, qui ont été posées, convergent vers la nécessité de relever un certain nombre de défis. Dans son système bancaire et financier, le Maroc subira la concurrence des banques étrangères implantées ainsi que celles des pays voisins. Chaque pan de l'industrie est désormais exposé à une rude concurrence. La Recherche et le Développement, conditions sine qua non de l'augmentation de la productivité et de la montée en gamme, ne devront pas être l'apanage des pays du nord. Le Maroc ne dispose pas encore d'une bourse performante; d'où la nécessité de mettre en place des instruments financiers attrayants. La surliquidité des banques, face à un sous-financement de l'économie, est un problème épineux qu'il faut résoudre. La volatilité du taux de croissance et sa dépendance de l'aléa climatique sont aussi à prendre en considération. Hormis son appartenance européenne, M. de Boissieu a présenté une analyse instructive à maints égards. Son scepticisme, bien qu'un peu exagéré, donne matière à réflexion. Les Américains sont appelés à aider le Maroc dans la gestion de cette transition pour éviter les dérapages socio-économiques inhérents. Le Maroc ne pourra vivre correctement sa globalisation, que s'il met en place des gardes fous, à même d'éviter le renforcement des disparités sociales. La toile de fond est, donc, de batailler fort sur tous les fronts permettant de relever les sentiers de croissance. Les efforts nationaux doivent être étayés, par une coopération internationale renforcée, si l'on veut inverser la marginalisation, parer aux risques, surmonter les obstacles et exploiter les possibilités offertes.