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Entretien : «Les voyagistes européens préfèrent annuler que changer de destination»
Publié dans Finances news le 18 - 02 - 2011

Le Maroc est toujours à la recherche d'une meilleure combinaison produit-prix-publicité-positionnement.
L'estimation des pertes dues aux violences en Tunisie avoisinent 1,6 milliard d'euros, environ 4 % du PIB.
Le point avec Cherki Khettab, General Manager, H-T-C Travel Casablanca.
- Finances News Hebdo : La Tunisie et l'Egypte ayant vécu des troubles ces derniers temps, pensez-vous que cela a impacté l'économie des pays, en général, et le secteur du tourisme, en particulier des dits pays ?
- Cherki Khettab : Je tiens à préciser avant tout que l'activité touristique est sujette à des facteurs clés et subordonnée à des situations de conjoncture délicates qui peuvent, à tout moment, la condamner à une crise fatal... Ces facteurs s'articulent autour de la paix, la sécurité, la stabilité et la santé.
Comment peut-on imaginer qu'un groupe de touristes puisse voyager vers une destination où sévissent des épidémies, des guerres, des révolutions, des tueries, des pillages, des grèves, du harcèlement...? Impossible de le penser même !
La programmation des destinations touristiques prend toujours, et en premier lieu, en considération ces facteurs déterminants surtout pour les voyages en groupe. Les informations qui sont dispensées par les voyagistes avant le départ pour chaque voyage et chaque destination sont très pertinentes. Les endroits de tension dans le monde sont des points noirs pour les voyagistes à éviter !
En individuel, les touristes ont tendance à s'aventurer, parfois en risquant leur vie, de partir vers des destinations de tension, surtout ceux qui partent en mission d'affaires tels les journalistes, les reporters et les médecins...
La vulnérabilité du secteur et la fragilité de la demande aussi sont dues au facteur d'insécurité des biens et des personnes...
En partant de ce point, on peut analyser la situation critique que connaissent la Tunisie et l'Egypte suite aux événements politiques, aux manifestations sociales violentes, aux marches de protestation et des troubles civils qui étaient accompagnés par des actes de vandalisme, de tueries, de pillages, d'incendies criminels qui ont causé des pertes en vies, de nombreux blessés et de lourds dommages matériels et ayant entraîné les deux pays dans une situation d'anarchie , de déstabilisation, de chute brutale et rapide de l'économie en raison de l'arrêt forcé de tous les services et rouages économiques.
En Tunisie, premier pays où ont été déclenchées les manifestations, l'estimation des pertes dues aux violences avoisinent 1,6 milliard d'euros, environ 4 % du PIB. L'éclatement de la révolte sociale en Tunisie a généré un krach boursier.
En effet, la Bourse tunisienne a enregistré en deux jours successifs une baisse brutale de 6,3%. La situation d'instabilité que traverse actuellement la Tunisie inquiète les milieux d'affaires européens, notamment français puisque quelque 1.250 entreprises françaises sont présentes sur le territoire tunisien dans l'industrie, la manufacture, la confection, le tourisme, la grande distribution, centres d'appels, informatique, télécoms, aéronautique. Les actes de saccages et de pillages ont également touché les succursales étrangères établies en Tunisie : plus de la moitié d'entre elles ont été endommagées et ne sont plus opérationnelles.
Tous les secteurs de l'économie du pays ont été affectés, notamment le tourisme, secteur clé de l'économie tunisienne qui emploie plus de 400.000 personnes et représente 8 % du PIB, et premier pourvoyeur de devises et grand régulateur du déficit commercial tunisien à hauteur de 60%.
En effet, même si la Tunisie occupe la deuxième place après l'Afrique du Sud en matière d'arrivées de touristes internationaux sur le continent africain, elle est néanmoins réputée pour ses belles stations balnéaires et ses sites touristiques.
La Tunisie s'est vidée de ses touristes depuis le déclenchement de la révolte du jasmin : la station de Hammamet a été touchée par les actes de pillage, de destruction et d'incendies, ce qui a suscité une certaine inquiétude parmi les nombreux touristes et aussi les voyagistes européens qui ont été contraints d'annuler leur programmation vers la Tunisie et d'écourter la durée de séjour de ceux qui sont en territoire tunisien, pour des raisons de sécurité ... La révolution tunisienne a généré une baisse nette d'arrivées de touristes, surtout en formule IT back-to-back «Inclusive tours In/Out» ( voyages tout compris en forfait ) .
La reprise risque d'être longue et difficile, surtout pour le regain de confiance de la Tunisie en tant que destination touristique sécurisée.
La crise tunisienne inquiète aussi les voyagistes français : la Tunisie, première destination des voyages pour les Français, vit en ce moment une grande instabilité, avec le risque de contagion réel ou perçu pouvant miner leur activité. Antoine Cochin, président du Directoire du tour opérateur français Fram, affirme que «c'est encore la basse saison en Tunisie, les grands enjeux sont pour les vacances de Pâques et d'été …
Les réservations sont presque au point mort, c'est inquiétant»…
Fram, qui a rapatrié plus de 1.600 touristes en trois jours depuis le déclenchement des soulèvements populaires en Tunisie, a choisi de les orienter vers les Iles Canaries ou le Maroc… Il y a ceux qui ont choisi l'Espagne, le Sud de l'Italie …
Les ventes de Fram vers la Tunisie représentent 18% du chiffres d'affaires. C'est son troisième marché après l'Espagne et le Maroc, tandis que les ventes sur l'Egypte représentent 5%.
Situation analogue pour l'Egypte, mais l'impact est très ressenti sur tous les secteurs de la vie économique vu sa superficie, le nombre de sa population, plus de 80 million d'habitants, et sa situation économique. Un pays confronté à d'énormes difficultés : la pauvreté, le taux de chômage élevé, sa dépendance vis-à-vis de l'aide extérieure en grande partie, sans parler de l'état d'urgence décrété dans le pays depuis l'assassinat de l'ancien président Anouar Saddate en 1981 par les frères musulmans...
Les manifestations violentes ont mené le pays vers un état de paralysie des différents secteurs de l'économie égyptienne.
Plusieurs entreprises étrangères ont fermé leurs portes pour une durée indéterminée comme le constructeur japonais Nissan, le brasseur néerlandais Heineken, le géant français Lafarge.
La Bourse et les banques aussi ont fermé. On assiste donc à un ralentissement brusque et rapide de la machine économique égyptienne.
Le tourisme, lui aussi, a été fortement touché. Ce secteur primordial représente un des moteurs de l'économie égyptienne en raison de sa forte valeur ajoutée : l'Egypte étant le 3ème pays africain après l'Afrique du Sud et la Tunisie en matière d'arrivées de touristes étrangers, ses apports en devises sont estimés à 11,5 milliards de dollars américains en 2010.
Les pertes dans ce secteur sont considérables : toutes les stations balnéaires réputées en Egypte ont été vidées de leurs touristes telles Sharm El Cheikh, Hurghada ...
Le tour opérateur français Marmara, qui envoie 80% de ses clients sur la Mer rouge, a suspendu tous ses départs à destination de l'Egypte depuis l'éclatement des manifestations pour des raisons de précaution…
René-Marc Chkili, président du CETO (Association des tour opérateurs), a affirmé qu'«en stoppant les départs, nous perdons chaque jour des millions d'euros car nous sommes pris en tenailles entre l'exigence de la sécurité de nos clients et la nécessité pour nous, comme pour les pays d'accueil, de faire revenir les touristes…»
De nombreux touristes ont été dans l'obligation de quitter le pays et de rentrer chez eux avant que la situation n'empire davantage, car la circulation et le déroulement normal des visites touristiques sont devenus impossibles face à l'éclatement des émeutes et des soulèvements populaires, et la présence militaire renforcée dans les rues.
L'augmentation importante du risque politique laisse entrevoir des perspectives défavorables en Egypte, a commenté l'agence de notation Moody's, et les réserves de change de l'Egypte risquent de fondre comme neige au soleil!
En définitive, le tourisme est comme un ballon gonflé par le vent, il suffit d'une petite épingle pour que tout saute et craque !
- F. N. H. : Croyez-vous que le Maroc peut en tirer profit, et comment ?
- C. K. : On peut dire, en guise d'analyse de cette situation de crise, que le malheur des uns fait le bonheur des autres ! C'est sûr, mais ça reste plus ou moins relatif car le recours au plan B par les voyagistes européens en cette conjoncture de troubles dans les pays concurrents du Maroc, étant partagé entre plusieurs destinations touristiques hivernales similaires, notamment les îles Canaries, la Turquie, le Maroc ou encore la République Dominicaine…
Les voyagistes européens, dans ce genre de situation, sont très prudents et préfèrent annuler que de changer de destination, comme ça a été le cas lors de la guerre du Golfe…
Le Maroc jouit de beaucoup d'atouts, certes, comme la proximité, la stabilité, la diversité, l'authenticité, la potentialités et l'hospitalité, mais il a beaucoup à faire en terme de qualité ...
Pour le cas de notre pays, il est à l'abri de ces troubles, mais il est toujours à la recherche d'une meilleure combinaison produit-prix-publicité-positionnement afin de pouvoir drainer des flux touristiques réguliers toute la saison touristique, le produit touristique marocain est riche, diversifié et prisé par les touristes mais en termes de qualité-produit et qualité -ressources humaines, il y a beaucoup à faire comme l'a annoncé le Souverain dans son discours durant les Assises du tourisme à Marrakech de 2002 !
Aussi, en terme de prix de vente, la concurrence des autres pays de la rive gauche de la Méditerranée est rude et sans merci.
Le taux de retour de ceux qui visitent notre pays, il faut aussi le prendre en considération dans la politique de positionnement du produit touristique national.
Autant d'éléments déterminants dans la politique commerciale du produit touristique marocain à l'étranger ...
- F. N. H. : En tant que professionnel du secteur du tourisme, quels constats faites-vous depuis le début des révoltes ?
- C. K. : Personnellement, en tant que professionnel du tourisme depuis 1987 et ayant géré et dirigé plusieurs agences de voyages à Casablanca, Agadir et Marrakech et ayant participé à plusieurs Salons du tourisme à l'étranger et concouru à la commercialisation du produit touristique national à l'étranger, je crois que le Maroc pourrait se positionner en tant que destination incontournable du tourisme dans le pourtour méditerranéen grâce à une stratégie touristique intégrée, globale, basée sur le professionnalisme, la cohérence et la rigueur, la maîtrise des exigences du marché touristique international et des normes de qualité de service reconnues à l'échelon mondial. Car les atouts touristiques du Maroc sont indéniables, mais les systèmes de gestion appliqués restent en dessous des exigences requises et des ambitions attendues... Un grand challenge nous attend, celui de la formation et de la qualification des ressources humaines et des compétences dans le domaine, au même titre que le développement des infrastructures touristiques adéquates et l'instauration d'un label qualité des prestations touristiques fournies…
Les efforts déployés par le ministère de tutelle, l'ONMT, les opérateurs touristiques privés, sont louables mais insuffisants, car il faut associer tout le monde dans une culture touristique nationale afin de réussir cette mission d'hospitalité, d'accueil, des traditions ancrées et réputées dans notre pays depuis des siècles et des siècles. Car à travers cela, on pourrait garantir la pérennité et le progrès de toute l'économie du pays et assurer un développement économique consistant, pour que notre pays, le Maroc, soit et demeure une destination touristique mondiale, comme a dit le Souverain dans un de ses discours sur le tourisme !


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