Le Ministère de l'Economie et des Finances, en partenariat avec l'Association pour la Fondation Internationale de Finances Publiques (FONDAFIP) et avec le soutien de la Revue Française de Finances Publiques (RFFP), organise les 19 et 20 Novembre 2021 au siège de la Trésorerie Générale du Royaume, la quatorzième édition du Colloque international des finances publiques sous le thème « les grands défis des finances publiques du 21ème siècle ». Lors de la cérémonie d'ouverture le Trésorier Général du Royaume, Noureddine Bensouda, n'a pas manqué de rappeler la crise sanitaire qui a marqué le 21 siècle. Une crise qui a, certes, révélé plusieurs dysfonctionnements dont souffre notre économie. Mais il ne faut pas n'en plus tout mettre sur le dos de la crise sanitaire. « Nous avons des réformes structurelles à mener qui exigent de la volonté et du courage. Nous avons des défis à relever en priorité en matière de financement des systèmes de santé et de retraites. Faire face au handicap est également un des sujets qui mérite d'être sérieusement pris en charge. Comment les finances publiques peuvent soutenir et accélérer la croissance, contribuer à la réduction du chômage notamment celui des jeunes ? Quelles politiques envisageables afin de réduire les inégalités sociales et territoriales ? Ces inégalités portent atteinte à la cohésion sociale et pourraient s'avérer une menace pour les démocraties », a précisé N. Bensouda. Il a par ailleurs rappelé que la programmation budgétaire pluriannuelle doit figurer comme priorité. « Elle permet de déterminer des objectifs à réaliser sur des périodes plus ou moins longues et d'en évaluer le résultat obtenu. Cependant, la plupart des Etats se trouvent confrontés à un endettement public excessif dont les charges grèvent les budgets publics et minimisent les marges de manœuvre », a-t-il souligné. N. Bensouda a également rappeler qu'en temps de crise, tous les regards se tournent vers l'Etat, comme ultime rempart, devant intervenir en vue de minimiser les impacts sur les entreprises et les ménages et de soutenir la croissance à travers des plans de relance, comme cela s'est produit depuis 2020. « Le soutien de l'Etat est ainsi devenu urgent et nécessaire, même aux yeux des détracteurs de son interventionnisme. Mais avec une grande nuance, c'est l'Etat et le marché, c'est le public et le privé », a-t-il précisé. Le Trésorier Général du Royaume n'a pas manqué de rappeler le rôle du secteur privé en précisant que « la convergence entre l'Etat et le secteur privé étant actée, le vrai défi aujourd'hui est de passer à l'action et de faire en sorte qu'elle reflète fidèlement le discours ». Dans son intervention, N. Bensouda s'est limité à aborder deux défis qui, de son point de vue, sont prioritaires et risquent de mettre à mal la soutenabilité des finances publiques du 21e siècle, à savoir l'endettement et la mobilisation des ressources fiscales. « Lorsque les ressources ordinaires ne couvrent pas la totalité des dépenses, l'Etat est contraint de recourir à l'emprunt pour financer ce gap. Au Maroc, l'écart entre les recettes ordinaires et les dépenses du budget général a connu une augmentation substantielle, passant de 1,2% du PIB en 2008 à 8,1% en 2020, ce qui a eu pour conséquence, l'augmentation de l'endettement du Trésor qui a atteint 76,4% du PIB. Globalement, nous remarquons que les finances publiques ont subi l'effet de ciseau d'une baisse des ressources ordinaires et d'une hausse des dépenses. Le recours à l'emprunt est devenu un acte de gestion normal, dont les pays ne peuvent plus se passer. En principe, l'emprunt devrait être réservé essentiellement à l'investissement. Au Maroc, durant l'année 2020, l'endettement du Trésor aurait pu être plus élevé, si ce n'est la création d'un Fonds spécial pour la gestion de la Covid-19, conformément aux Hautes Instructions de Sa Majesté le Roi, et dont les recettes ont permis de faire face à l'impact de la pandémie », a-t-il précisé. D'autre part, Bensouda a rappelé que sans ressources financières suffisantes, il est difficile de faire face aux différentes crises, et de mettre en œuvre des politiques publiques à même de garantir la pérennité des biens et services publics. Entre 2010 et 2020, les taux de progression des recettes fiscales du budget de l'Etat ont été inférieurs à ceux enregistrés entre 2005 et 2008 et ils ont même été négatifs en 2013 et 2020 malgré les mesures prises pour augmenter le rendement du système fiscal. « Depuis 2013, nous n'avons cessé d'attirer l'attention sur la baisse tendancielle des recettes fiscales par rapport aux années précédentes. L'un des facteurs d'explication de l'essoufflement du rendement de l'impôt, est principalement le retour depuis 2010 à l'octroi d'incitations fiscales (dépenses fiscales), à l'esprit cédulaire de la fiscalité qui prend de plus en plus le dessus sur le système synthétique, en appliquant des taux proportionnels à certaines catégories de revenus, ainsi qu'aux changements fréquents des taux d'imposition notamment en matière d'impôt sur les sociétés », a rappelé N. Bensouda. Il a précisé qu'au Maroc, l'impôt sur le revenu est devenu proportionnel et moins progressif, alors que paradoxalement, l'impôt sur les sociétés est devenu progressif au lieu qu'il demeure proportionnel. Cette situation a pour origine le manque de maitrise de la fiscalité et de son histoire. « Parfois, certains, empruntant des raccourcis et recourant à un traitement simpliste des problématiques fiscales, pensent que le rendement de l'impôt proviendrait de la création de nouveaux impôts et/ou de l'augmentation de taux par un effet mécanique ou arithmétique, alors qu'il s'agit là de l'économique, du politique et du social... En d'autres termes, d'une pluridisciplinarité fondamentale lorsqu'on traite des politiques publiques. Ils oublient que l'homo economicus s'adapte à toutes les interventions de l'Etat dans différents domaines et intègre les changements qui s'opèrent, afin de maximiser son profit. Ce qui est légitime et rationnel ! », a-t-il précisé. Et d'ajouter « ainsi, le montant évalué des dépenses fiscales en matière de TVA, à titre d'exemple, est de 13,6 milliards de dirhams en 2021 (soit 46% des dépenses fiscales), avec un système fiscal de référence qui a été modifié dans le rapport sur les dépenses fiscales accompagnant le projet de loi de finances 2019 ». Lesdites dépenses fiscales éloignent la TVA marocaine du système idéal de la TVA, qui exige une « base large » et un « taux unique ». « Il est vrai que généralement les pays, comme le Maroc, ont opté dans une phase transitoire pour un système qui comprend un taux normal et des taux réduits avec quelques exonérations. Mais l'objectif à moyen et long terme était de supprimer progressivement ces taux et de réduire les exonérations », a fait savoir Bensouda. Rappelons qu'au Maroc, les dispositions fiscales prises ces dernières années ont contribué à l'essoufflement du rendement de la TVA notamment à l'intérieur, et à l'augmentation des arriérés de remboursement de la TVA qui ont atteint 42,2 milliards de dirhams à fin décembre 2020. Noureddine Bensouda n'a pas manqué de souligner les engagements du Maroc pour l'opérationnalisation des réformes majeures initiées par Sa Majesté le Roi, à savoir la mise en œuvre du nouveau modèle de développement, le plan de relance de l'économie, la généralisation de la protection sociale à tous les marocains et la réforme fiscale. « La mise en œuvre de ces réformes nécessite un Etat régulateur et stratège, capable de définir les priorités et les choix de société, de les traduire en politiques publiques et de les décliner en actions cohérentes et coordonnées entre les différents acteurs du secteur privé et du secteur public. L'implémentation de ces réformes requiert l'analyse d'impact de la règlementation, l'analyse coûts-avantages et un système d'évaluation permanent. La réussite de ces réformes exige des finances publiques assainies en vue de reconstituer des marges budgétaires qui permettront à l'Etat de construire l'avenir», a-t-il annoncé. Et d'ajouter « les finances publiques ont leur logique et sont pluridisciplinaires. L'ingénierie financière recourant, entre autres à la cession d'actifs, ne règle pas les questions économiques, politiques et sociales sur le long terme. Il s'agit là d'un sujet d'Etat qui nécessite la participation de tous les acteurs, avec une bonne coordination entre le secteur privé et le secteur public en s'appuyant sur un capital humain de qualité et en se fixant un cap clair et bien défini ». Aujourd'hui, une conscience collective se dégage que le temps est pour la solidarité. Cependant, Bensouda appelle à éviter les réformes dites « monotones » qui consistent à accorder, à titre d'exemple, des réductions d'impôts pour tous les revenus, avec des réductions plus importantes dont bénéficieraient les revenus les plus élevés. Et pour cause, la société est devenue plus exigeante, plus présente par le biais des réseaux sociaux, ses attentes sont diverses et elle aspire à être plus homogène. « A cette fin, l'idéal de justice sociale ne se résume pas à la seule justice fiscale, mais s'étend également à la justice des choix budgétaires. Nous pouvons dire que les défis du 21ème siècle exigent la justesse et la justice des finances publiques », a conclu N. Bensouda.