A l'heure où les marges de manœuvre de l'Etat s'amenuisent (les investissements publics), le secteur privé marocain est appelé à reprendre le flambeau de la croissance surtout post Covid-19. Mais le peut-il réellement ? La question a fait l'objet d'un rapport tripartite BAD-BEI-BERD. Le secteur privé peut-il être une carte maitresse dans la concrétisation des ambitions de croissance du Maroc ? « Le secteur privé marocain a une véritable carte à jouer dans la reprise économique du Royaume. L'inclusion financière, le développement des zones rurales et l'intégration du pays dans les chaînes de valeur mondiales sont les nécessaires ingrédients à une sortie de crise par le haut ». C'est la principale conclusion du rapport « Développement du secteur privé au Maroc : défis et opportunités en temps de pandémie de Covid-19 » présenté ce 23 septembre, devant un parterre d'opérateurs privés de premier plan. Fruit d'une collaboration entre la Banque africaine de développement, la Banque européenne d'investissement et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, cette première étude esquisse les défis à relever et les opportunités par les entreprises marocaines dans le contexte de crise actuel. « Ce rapport est la première collaboration du genre. Il balise la réflexion quant au rôle du secteur privé marocain dans la dynamique de croissance, de résilience et donc de relance économique. Cela pour contribuer à la mise en œuvre du nouveau modèle de développement du Royaume et consacrer sa triple ambition de développement durable, de progrès social et d'émergence que nous soutenons avec des opérations d'envergure », a affirmé, lors de son allocution d'ouverture, le responsable-pays du bureau de la Banque africaine de développement au Maroc, Achraf Tarsim. Dans un premier temps le rapport dresse un topo de l'environnement macroéconomique et s'intéresse à la question de l'essoufflement de la croissance. En effet, sur la période 2000-2019, bien que la croissance moyenne tourne autour de 4%, elle s'essouffle et devient plus volatile durant les cinq dernières années. Par ailleurs, le rapport note que malgré une pauvreté largement en baisse, le Maroc accuse un indice de développement humain inférieur aux autres pays de la région d'Afrique du Nord et enregistre un taux de chômage élevé, particulièrement chez les femmes et les jeunes. Aussi, le rapport soulève-t-il la baisse des déséquilibres extérieur et budgétaire mais une dette publique passant de 56,5% de PIB en 2012 à 65,8% en 2019. Une situation aggravée avec la crise covid-19 avec la première récession depuis plus de 20 ans en 2020. Selon le rapport, les projections anticipent un doublement du déficit budgétaire, passant de 4,1% du PIB en 2019 à 7,7% en 2020. Le ratio dette/PIB devrait retrouver une trajectoire baissière dès 2021 et atteindre 70% en 2025. Egalement, l'augmentation de la dette publique (de 65,8% du PIB en 2019 à 76,9% en 2020) limitera la marge de manœuvre budgétaire et l'investissement public. Dans un tel contexte, la dynamique du secteur privé s'avère primordiale. Sauf que le document relève notamment que les petites et moyennes entreprises (PME), qui représentent environ 90% du secteur privé marocain, ont été affectées par la crise. Elles connaissent de réelles difficultés à investir, à améliorer leur valeur ajoutée et à se développer pour créer des emplois durables. Pour renforcer la résilience de l'économie marocaine et réussir la sortie de crise, le rapport recommande de poursuivre l'inclusion financière, d'impulser une nouvelle dynamique de développement des zones rurales et d'approfondir l'ancrage du Maroc dans les chaînes de valeur mondiales (CVM). Dans cette optique, il appelle à accélérer la mise en œuvre de la Stratégie nationale d'inclusion financière en renforçant, notamment, le rôle clé des établissements financiers non bancaires comme les institutions de microfinance et les sociétés de crédit-bail. L'objectif est d'enrichir l'offre d'instruments financiers pour permettre aux entreprises de petite taille de financer leur projet d'investissement. Le rapport souligne, par ailleurs, la nécessité d'améliorer l'intégration économique et l'ouverture commerciale des zones rurales, avec un effort particulier à entreprendre sur l'inclusion des femmes, des jeunes et des personnes peu qualifiées. Cela doit se réaliser parallèlement au développement des chaînes de valeur locales et au soutien renouvelé dont devrait bénéficier le secteur privé en milieu rural. « Nous sommes ravis de présenter ce rapport conjoint et ses conclusions confirmant l'importance de soutenir le développement du secteur privé au Maroc, en facilitant l'accès au financement aux plus petites entreprises, notamment celles de l'économie rurale, pour accélérer le processus d'inclusion économique, financière et sociale de toute la population. Avec le soutien du plan économique et d'investissement de l'Union Européenne, la Banque européenne d'investissement est fortement mobilisée aux côtés de ses partenaires pour soutenir une reprise rapide, durable et inclusive pour tous », a déclaré la cheffe de la représentation de la Banque européenne d'investissement au Maroc, Anna Barone. Enfin, l'analyse indique qu'il est tout aussi capital que l'économie marocaine diversifie ses produits pour approvisionner de nouveaux marchés à l'export. Les entreprises contributrices aux CVM bénéficieraient ainsi de meilleurs débouchés à l'international et d'un plus large accès à de nouvelles technologies étrangères et aux meilleures pratiques de gestion. Facilitée par la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), une intégration commerciale plus approfondie en Afrique subsaharienne devrait également bénéficier aux investissements privés au Maroc. « Le rapport conjoint rejoint pleinement les conclusions du Nouveau Modèle de Développement : accélérer la transformation de l'économie marocaine vers un modèle durable et inclusif requiert une mobilisation accrue de l'investissement privé. La BERD avec son mandat de soutien au secteur privé souhaite pleinement y contribuer », a déclaré Antoine Salle de Chou, directeur du bureau de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement au Maroc. Avec ce premier rapport conjoint, la Banque africaine de développement, la Banque européenne d'investissement et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement soulignent tout le potentiel du secteur privé marocain pour devenir un acteur, encore plus essentiel, du développement du Royaume. La présentation du rapport a été suivie d'une discussion de haut niveau entre des personnalités du secteur privé, autour des représentants des trois banques multilatérales de développement et de la Commission européenne. Les échanges ont notamment porté sur les recommandations visant à protéger le secteur privé et à libérer son potentiel. Cela dans la perspective de soutenir une croissance forte, résiliente et inclusive au Maroc. Un débat sur lequel nous reviendrons dans nos prochaines éditions.