Si la fusion pourrait prendre entre 18 mois et 2 ans à être finalisée en raison des contraintes réglementaires et concurrentielles qu'elle entraîne, l'opération entre les deux groupes privés de médias français est saluée par le marché parisien ce mardi. Mis en vente depuis le début d'année par son actionnaire allemand Bertelsmann, le groupe M6 veut fusionner avec TF1 pour former une entité contrôlée par Bouygues. Mais ce processus sera soumis à de fortes contraintes réglementaires sur la concentration des médias. L'offre de TF1 s'est distinguée des multiples prétendants et semblait tenir la corde ces dernières semaines. « Une fusion avec TF1 s'inscrirait dans notre stratégie de poursuite active de la consolidation du marché. Cependant, il existe des obstacles réglementaires », disait fin mars le PDG de Bertelsmann, propriétaire de M6. Nicolas de Tavernost, dirigeant de la chaîne depuis ses débuts et qui deviendra PDG de l'ensemble si le processus aboutit, s'était positionné contre une « vente par appartements », ce qui compliquait le choix d'un repreneur. Depuis une modification en 1994 de la loi Léotard, seules sept autorisations pour diffuser sur les ondes hertziennes terrestres (la TNT) peuvent être accordées à un même groupe de télévision. Le nouvel ensemble pèsera 75% du marché publicitaire télévisuel Les mécanismes légaux anti-concentration spécifiques aux médias visent à « satisfaire l'objectif constitutionnel de respect du pluralisme des offres via la présence d'une diversité d'opérateurs » et « assurer l'indépendance des médias vis-à-vis du pouvoir politique et d'acteurs privés influents », rappelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Le groupe M6 détenant déjà cinq fréquences (sa chaîne éponyme, W9, 6ter, Gulli et Paris Première), un rachat par TF1 également propriétaire de cinq canaux (TF1, TMC, LCI, TFX, TF1 Cinéma Séries) impliquerait la cession de trois chaînes. Des limites légales existent également pour la radio, un ensemble de stations ne pouvant émettre pour plus de 150 millions d'auditeurs cumulés. Avec 114 millions d'auditeurs fin décembre 2019, les trois stations de M6 (RTL, RTL2 et Fun Radio) ne pourraient, à titre d'exemple, pas intégrer ensemble le groupe NRJ (124 millions d'auditeurs) ni le groupe Altice, propriétaire de BFM Bourse (les stations RMC et BFM Business de NextRadio cumulent 58 millions d'auditeurs). TF1 n'est en revanche pas présent dans la radio. Le point décisif sera le feu vert des autorités anti-trust. Le mariage de la première et de la troisième chaîne du paysage audiovisuel français ferait en effet émerger un acteur géant de la télévision dépassant France Télévisions avec plus de 30% de part d'audience et représentant les trois quarts du marché publicitaire sur le média. Election présidentielle Ainsi, l'Autorité de la concurrence ne pourrait autoriser l'union qu'en élargissant la définition de marché pertinent applicable à la télévision, pour en diluer le poids du groupe. Les chaînes demandent l'intégration dans cette définition de la publicité numérique, au moins vidéo, arguant de la convergence croissante entre offres de publicité à la télévision et sur internet, mais la question n'a pour l'instant pas été tranchée. D'un point de vue boursier, la loi empêche enfin un actionnaire de détenir plus de 49% d'un groupe de télévision. Bouygues détiendrait 30% du groupe, Berteslmann garderait 16% et le reste serait coté en Bourse. Le marché applaudit en tout cas vivement ce projet de consolidation dans les médias français, les titres des deux groupes occupant, à 9h45, les deux premières places du palmarès de l'ensemble du SBF 120 avec des gains de 9,3% pour TF1 et 7,6% pour M6. Le premier cité renoue ainsi avec un niveau plus exploré depuis août 2019 quand le second efface seulement ses pertes du début du mois de mai – mais affiche néanmoins une progression de plus de 40% depuis le 1er janvier (contre près de 30% de hausse pour TF1 sur la période). Le groupe dirigé par Nicolas de Tavernost jouit ainsi d'une valorisation légèrement supérieure à celle de son concurrent, à 2,3 milliard d'euros contre 1,9 milliard pour TF1. Selon un observateur des médias, la mise en œuvre d'une telle acquisition pourrait prendre de 18 mois à 2 ans, sachant qu'un projet doit être déposé au CSA pour renouveler l'autorisation d'émettre de M6 en 2023, qui, s'il est accepté, bloquera tout projet de cession pendant cinq ans. « Plein de régulations n'ont plus de sens, mais les changer maintenant, à un an d'une élection présidentielle, paraît très complexe. C'est donner des arguments pour dire que le gouvernement est pieds et poings liés avec le grand capital », estime cet observateur.