La pandémie de la Covid-19 a ouvert une brèche pour une véritable révolution du monde du travail. Sous l'effet du progrès technologique et digital, le télétravail s'est imposé comme la meilleure alternative pour la poursuite de l'activité économique. Sauf qu'aucun texte réglementaire n'existe à propos de ce mode de travail appelé à durer et même à devenir un atout de compétitivité des entreprises. La dernière réforme du Code du travail marocain remonte à 16 ans et de l'eau a coulé depuis sous les ponts. Un texte sclérosé, vieux et en déphasage avec l'évolution rapide du monde de travail. L'avènement fatidique cette année de la Covid-19 vient s'ajouter aux griefs que l'on peut faire au cadre régissant la relation contractuelle entreprise-salarié mais aussi compliquer une situation déjà inextricable. En effet, cela fait des années qu'une « rumeur » (plus qu'une volonté) de réforme du code du travail est sur toutes les langues. Mais la Covid-19 à elle seule, nécessite un travail en profondeur sur le texte de loi puisqu'elle a chamboulé la relation contractuelle entre entreprise et salarié dans ce contexte de pandémie inédit mais qui ne sera probablement pas le dernier. Nous en avons évoqué quelques aspects d'ailleurs, notamment la nécessité de clarifier les dispositions relatives à la modification ou la rupture du contrat de travail pour motif économique, le chômage partiel, la flexibilité des contrats, le cas de force majeure, etc. Mais le propos ici concerne une révolution qui se fait en douceur mais en profondeur : celle du recours au télétravail ou travail à distance. Cette alternative censée être circonscrite dans le temps commence à s'éterniser en l'absence totale d'un cadre réglementaire qui gère la relation entreprise-salarié dans le contexte actuel. En effet, malgré le déconfinement partiel, plusieurs activités se poursuivent depuis bientôt 9 mois à distance. Et les entreprises n'ont aucune visibilité sur une reprise normale d'activité. Le choix du télétravail en plus d'être sûr, est économique. En effet, les autorités, du moins au début du déconfinement, avaient imposé des mesures sanitaires strictes pour les entreprises en activité ou en reprise d'activité durant la pandémie. Des mesures sanitaires qui ont un coût estimé à 8 % du CA d'une entreprise, selon le président de la CGEM. Mais pas seulement, le télétravail permet aux entreprises de réduire leurs charges, (consommations d'eau, électricité, internet, fournitures) et réduire l'amortissement du matériel... en plus de réduire le risque de contagion et par conséquence la perte de jours de travail pour cause d'arrêt maladie. Mieux encore, certaines entreprises ont décidé d'adopter ce mode de travail soit totalement, soit en laissant le choix au salarié de travailler en présentiel ou en distanciel en dehors de cette période de pandémie. Le cas de l'activité de la relation client. D'où l'importance d'étendre le champ d'application du Code du travail pour y inclure le télétravail. Cherche réglementation désespérément Dans ce panorama que nous décrivons, il n'y est fait nulle mention dans le Code du travail marocain. C'est ce qui explique aussi bien la colère du patronat que des syndicats, dans un contexte économique rude où entreprises et ménages se battent pour la survie. En cas de souci, il faudra en effet attendre la jurisprudence car aucun article ne fait référence au travail à distance au Maroc, encore moins tel qu'il est pratiqué, alors que sous d'autres cieux, des lois existent et sont modifiées régulièrement pour s'adapter au fonctionnement des entreprises. Pour ne citer que la loi El Khomri adoptée en juin 2016 en France ou le droit de déconnexion actuellement en débat au sein du Parlement européen. En effet, en l'absence d'une grille d'horaire précise et de modalités du droit à la déconnexion bien définies, le salarié peut être en proie à une importante charge mentale (appels téléphoniques en dehors des horaires de travail, mails professionnels, sms de relance durant les jours de congé...). Pour sa part, l'entreprise doit gérer la productivité à distance, certes c'est possible, mais quid de prouver une faute professionnelle grave ou un manquement de la part d'un salarié ? Aussi, doit-elle établir de nouveaux indicateurs de performance pour mieux récompenser et motiver ses RH. Au Maroc, rien de tout ça ! Et en l'absence de l'équivalent d'un conseil de prud'hommes, tout cas de litige non résolu devra passer par le long parcours judiciaire. Et pourtant, aujourd'hui des milliers de salariés continuent à travail à distance sans aucune protection juridique ni assurance. Rien que ce dernier point est problématique à plusieurs niveaux et l'inspection du travail devrait sensibiliser et contrôler les polices d'assurance des entreprises (encore faut-il qu'elle ait cette possibilité avec le code actuel). En effet, les entreprises ayant naturellement des contrats d'assurance annuels devraient les modifier avec les compagnies d'assurance pour englober les risques inhérents au télétravail. La tutelle ne doit pas perdre de vue cet aspect inhérent à la sécurité des employés, ainsi que celui de la médecine du travail en temps de Covid et présence du mode de télétravail. Et réformer le CGI dans la foulée Le changement qu'implique le télétravail est également à prendre en considération sur un plan purement fiscal. Là encore, le régime fiscal est calqué sur le mode présentiel, ce qui implique de revoir le traitement ou le régime fiscal à appliquer au mode distanciel. Et donc d'y inclure de nouvelles dispositions spécifiques aux salariés et entreprises concernés par le télétravail. Pour ne prendre que le cas du bulletin de paie et les indemnités non imposables ou exonérés et qui servent surtout à optimiser les charges fiscales et sociales relatives aux salaires du personnel ; il y a lieu de citer l'alinéa 1 de l'article 57 du Code général des impôts (CGI) : « Sont exonérées de l'impôt « les indemnités destinées à couvrir des frais engagés dans l'exercice de la fonction ou de l'emploi, dans la mesure où elles sont justifiées, qu'elles soient remboursées sur états ou attribuées forfaitairement ». Il s'agit particulièrement des indemnités de représentation (qui ne concernant pas tous les salariés), de transport et d'habillement... autant d'indemnités qui ne cadrent pas avec le télétravail. Et qui figurent pourtant dans les bulletins de paie de milliers de salariés en télétravail ces derniers mois. Les pouvoirs publics doivent ainsi prévoir des indemnités pour l'équipement, le matériel ou tout autre subterfuge qui évite à l'entreprise une surcharge fiscale, surtout dans le contexte que nous savons, et impacter négativement la rémunération qui atterrit dans le compte bancaire du salarié. Aussi, la carotte fiscale doit-elle être mise à contribution pour encourager ce mode de travail moins énergétivore donc avec une moindre empreinte sur l'environnement, apprécié des salariés qui gagnent en temps et en charge sur les déplacements, entre autres. Les entreprises y gagnent également avec un gain de coût et charge de gestion, en gestion des RH (donc moins de conflit) mais aussi et surtout car cela leur permet de recruter sans devoir trop investir pour le développement et l'extension de leurs activités. Ce ne sont pas que quelques aspects d'un vaste sujet en perpétuel mutation. En tout état de cause, la tutelle doit prendre les devants et ne pas attendre d'avoir des dossiers sur les bras pour réagir. Il est admis qu'en période de crise économique, les relations contractuelles sont particulièrement délicates. Autant éviter une raison de plus de nature à les envenimer voire essayer de les détendre pour le bien-être des salariés et la pérennité des entreprises.