La relance économique en Europe a lancé le débat de la relocalisation. Certains pays en l'occurrence la France ont déclaré leur volonté de reconquérir leur champions notamment dans des secteurs stratégiques pour le Maroc comme l'automobile. Pour répondre à la question d'un éventuel risque de relocalisation des entreprises étrangères présentes au Maroc, nous avons interpellé Larbi Jaidi, enseignant-chercheur en sciences économiques, Senior Fellow au Policy Center For the News South (PCNS) et membre de la la Commission spéciale sur le modèle de développement. EcoActu.ma : La relance économique est désormais la priorité de toutes les nations. Toutefois dans cette course à la reprise, la question de la relocalisation des entreprises refait surface. Pensez-vous que le Maroc risque-t-il une vague de relocalisation des entreprises étrangères notamment dans les secteurs de l'automobile et de l'aéronautique ? Larbi Jaidi : Non, il n'y a pas de risque immédiat. Et pour cause, la décision de relocalisation ne peut pas s'improviser et ne peut donc se faire dans un délai court puisqu'elle dépend de plusieurs facteurs qui relèvent des Etats concernés et des politiques d'incitation de relocalisation qui ne sont pas simples à mettre en œuvre. Aussi, cette décision ne dépend pas uniquement des Etats mais également des stratégies des entreprises notamment dans l'automobile et l'aéronautique qui ont des visions, des objectifs, des actionnaires... Et du coup, convaincre les actionnaires de prendre une telle décision nécessiterait des politiques très incitatives qui requièrent un coût très important. Pour le cas des secteurs de l'automobile et l'aéronautique au Maroc, il ne s'agit pas uniquement de l'installation d'un constructeur mais de tout l'écosystème à savoir les entreprises de premier et deuxième niveau. Ce qui rend la décision du retrait du leader de l'écosystème plus compliquée puisqu'il ne sera question de relocalisation que d'une partie de la chaîne. D'autant plus, les sociétés de 1er et 2ème rang sont de nationalités diverses. Une relocalisation dans l'immédiat ne peut se faire que si les Etats recapitalisent ces entreprises ce qui n'est pas possible aujourd'hui puisque relocalisation ne veut pas dire renationalisation. Donc premièrement il y a des écosystèmes, deuxièmement il y a les décisions des firmes internationales qui dépendent des conseils d'administration et troisièmement pour inciter la relocalisation, les Etats doivent mobiliser beaucoup de ressources et de moyens. Pensez-vous que les Etats, en l'occurrence européens nos principaux partenaires, vont basculer dans cette voie de relocalisation pour relancer leur économie ? Il faut avoir une analyse plus fine dans la mesure où il faut analyser la traçabilité des chaînes de valeur qui n'est pas la même en fonction des secteurs, de la taille des entreprises, de la proximité de marché... Par traçabilité, je fais référence à la localisation des activités qui se développent en fonction d'un certain nombre de facteurs d'incitation et d'attractivité du marché. Donc partant de l'idée que certaines entreprises étrangères chercheront à se redéployer en dehors de la Chine en raison de la distance, des risques ou de l'indépendance de l'Europe pour certaines activités vis-à-vis de la Chine, qui devient une grande puissance industrielle, je pense que la situation n'est pas identique pour toutes les entreprises et tous les pays. Preuve en est, seuls quelques pays européens, en l'occurrence la France, qui parle aujourd'hui de souveraineté industrielle. L'Allemagne par exemple ne parle pas de relocalisation parce qu'elle a un tissu industriel solide, bâti sur une relation d'entente entre les groupes et les entreprises intermédiaires. Contrairement à la France qui a un tissu industriel fragile. Cela dit, dans le contexte actuel, l'Etat français va certainement chercher à convaincre les champions français dans différents secteurs (automobile, pharmaceutique, mécanique...) à se redéployer sur le territoire français. Mais ce n'est pas sûr que l'Etat français parvienne à le faire notamment dans cette conjoncture internationale très difficile. Tout dépendra des négociations avec les entreprises. Avec cette crise mondiale, le Maroc peut-il devenir une alternative pour les entreprises qui chercheront des plateformes plus compétitives et donc attirer des investisseurs plutôt que d'en perdre ? Pour répondre à votre question je pense que les opportunités viendront des entreprises, plus précisément françaises, qui décideront de se relocaliser dans le cercle de proximité par rapport à leur emplacement en Asie. Encore faut-il que ces entreprises ne soient installées en Chine par exemple pour des raisons de proximité au marché. C'est une dynamique à multiples déterminants. Aussi, le Maroc doit être en mesure de garder son attractivité acquise grâce à la politique industrielle construite sur des facteurs d'attractivité (incitations fiscales, formations, disponibilité du foncier industriel...). A noter également que l'approche des écosystèmes n'est pas uniquement destinée à accueillir les nouveaux métiers mondiaux (automobile, aéronautique...) mais elle doit être appliquée à toutes les composantes de l'industrie notamment la mécanique, l'agroalimentaire, le pharmaceutique, la transformation minière... Cette approche de l'écosystème basée sur une vision commune entre l'Etat et les acteurs et bâtie sur un certain nombre de facteurs d'incitation, est un déterminant essentiel d'attractivité et de la capacité d'attirer les IDE.