La décision de Bank Al Maghrib de maintenir le taux directeur à 2,25% n'a pas manqué de susciter ici et là des commentaires qui la considèrent comme défavorable au soutien de l'activité. L'argument mis en avant est que le desserrement des conditions de financement par la réduction du taux d'intérêt serait mieux approprié à la gestion de la conjoncture. Pour largement partagé qu'il soit, cet argument est sujet à discussion. D'une part, il suppose une adaptation rapide aux impulsions de la politique monétaire ignorant ainsi le pouvoir de marché des institutions financières. D'autre part, il élude le rôle que jouent les anticipations des entreprises et partant les interactions entre les contraintes de financement et les conditions de croissance. Asymétrie d'impact : la ficelle de Samuelson Quand il s'agit d'examiner les mécanismes de transmission de la politique monétaire, l'accent est souvent mis sur le coût de refinancement. En agissant sur ce dernier, la banque centrale entend influencer le taux du marché monétaire et par là les taux bancaires. Ces variations sont censées être transmises, en présence de rigidités des prix, aux taux d'intérêt réels affectant ainsi la demande globale. Une baisse (hausse) de ces taux incite les ménages à accroître (diminuer) leurs dépenses de consommation et les entreprises leurs dépenses d'investissement. Ce mécanisme, qui suppose que les titres de différentes maturités sont équivalents, exclut l'incertitude autant que la facturation de primes de risque. Ainsi que le propose Ben Bernanke (2005), l'intégration du canal du crédit dans la problématique du contrôle du taux d'intérêt est nécessaire à la saisie de la force des actions monétaires à travers les conditions d'offre et de demande bancaires. L'intensité de transmission des changements de politique monétaire aux taux bancaires est tributaire à la fois de l'évaluation de l'environnement macroéconomique, du degré de concurrence, du volume des liquidités comme de la réglementation prudentielle. Lente et incomplète, cette transmission est souvent asymétrique. Les banques répercutent sur les taux débiteurs plus la hausse que la baisse de leur coût de refinancement, a fortiori dans le cas de modifications de faible ampleur de celui-ci ou d'incertitude sur l'orientation future de la banque centrale. Ces réactions exercent un impact restrictif sur l'activité réelle. De ce fait, les impulsions monétaires manifestent plus d'efficacité au relèvement des taux directeurs qu'à leur réduction. Le crédit bancaire connait depuis 2008 une décélération qui s'est poursuivie en dépit de deux baisses successives du taux d'intérêt directeur auxquelles a procédé Bank Al Maghrib en vue de soutenir le financement de l'économie. Cette situation fait songer à la célèbre parabole d'Anthony Samuelson, « la politique monétaire est comme une ficelle, on peut l'utiliser pour tirer mais non pour pousser ». Pertinent à maints égards aujourd'hui, le propos de cette figure de proue de la science économique de la seconde moitié du XXème siècle, pointe les difficultés de transmission de la politique monétaire au système bancaire et de relance de l'activité. Etat de la confiance et croissance de l'activité Cette optique offre un cadre de compréhension de la ligne de conduite de la banque centrale. Dans le contexte d'une croissance atone persistante, le desserrement de la politique monétaire par révision à la baisse du taux d'intérêt n'entraîne pas une extension de la distribution de l'offre de financement et de la quantité de monnaie en circulation. Le canal du crédit semble déterminé moins en amont, par la transmission du maniement du taux directeur, qu'en aval, par les anticipations des firmes bancaires et les structures de leur marché. Les décisions de fixation du coût des emprunts comme la sélection des projets semblent dépendre de la perception des risques attachés à la conjoncture. Les perspectives de faible croissance élèvent la probabilité de défaut et renforcent l'intolérance aux comportements jugés risqués d'autant que la montée des créances en souffrance accentue la prudence, y compris envers les groupes ou entreprises ayant bénéficié de ressources peu onéreuses à des périodes de restrictions monétaires. Loin d'atténuer la réticence à accorder du crédit, l'assouplissement monétaire en durcit les conditions. L'anticipation de la déficience de la demande tend à exacerber les frictions financières en accentuant l'asymétrie d'information entre prêteurs et emprunteurs et la perception des risques de vulnérabilité et d'insolvabilité. Au vu de l'état de confiance, même la réduction du taux de réserves obligatoires peut être également inopérante lorsqu'elle conduit les banques à manifester une préférence pour la liquidité aux dépens de l'ouverture de lignes de crédit. Les rationnements de petites et moyennes entreprises à travers l'exclusion du financement de candidats acceptant les conditions de prêt marquées par le pouvoir de marché des banques est persistant malgré les dispositifs de garantie. Du côté de la demande de crédit, le désendettement des grands opérateurs, le non renouvellement de lignes de crédit autant que les comportements d'attente des entreprises se traduisent par une faible incitation à investir. Selon une enquête sur les obstacles à l'investissement, nombre d'entreprises estime que leur développement est contraint par les conditions en matière de collatéraux et le niveau élevé de la prime de financement externe. Ces collatéraux constituent un obstacle majeur à l'obtention de crédits : une proportion écrasante des prêts est soumise à des garanties dont la valeur moyenne se situe autour du double du montant du financement. Ces garanties, qui sont tenues par les banques pour un signal de qualité des projets, évincent les entreprises du crédit et les conduisent à recourir principalement, à l'autofinancement ou aux crédits commerciaux. Le ralentissement du crédit bancaire est de nature à générer des effets d'accélération du cycle économique en amplifiant les tendances à une croissance anémique. L'effet conjugué des restrictions d'accès au financement et de la prévision de la décélération de la demande de leurs produits conduit des entreprises à réviser leurs plans de production à la baisse créant ainsi les conditions d'interaction entre crédit et activité. Au total, les canaux par lesquels transitent les inflexions monétaires commandent la capacité de la banque centrale à agir sur l'économie réelle. L'examen des biais de transmission des taux directeurs présente d'autant plus d'intérêt que Bank Al Maghrib s'apprête à engager, dans le cadre de ses nouveaux statuts, une stratégie de ciblage de l'inflation, et à mettre en place de nouvelles mesures d'assouplissement du régime de change. Cette stratégie repose précisément sur l'utilisation du taux d'intérêt comme instrument destiné à agir à la fois sur l'évolution du niveau général des prix et de l'activité. Dans ce contexte, le maniement du taux directeur implique un arbitrage par rapport aux objectifs de maîtrise de l'inflation et de croissance. Comme ce maniement affecte la valeur externe de la monnaie nationale, l'arbitrage ne saurait être indifférent aux opérations de change sous peine de compromettre l'engagement statutaire afférent à la stabilité des prix. C'est pourquoi, comme le soutient Alan Meltzer (1995), «une connaissance théorique des mécanismes de transmission est nécessaire à l'interprétation des statistiques des variables réelles, des prix relatifs, du taux d'intérêt et du taux de change ». Rédouane Taouil est professeur de sciences économiques à l'universté de Grenoble.