27 Ecrit par Imane Bouhrara | C'est vraiment la cerise sur le gâteau. Alors que l'année 2023 démarre en eaux troubles, voilà qu'un vent de panique souffle sur le secteur bancaire mondial avec la faillite de la Silicon Valley Bank et Signature Bank aux USA, les déboires du Crédit Suisse... existe-t-il des canaux de transmission de cette nouvelle onde de choc au reste du monde à l'instar de la crise des subprimes ? Quid du Maroc ? En somme, faut-il craindre un scénario à la 2008 ? Faut-il céder à la panique ? La faillite de la Silicon Valley Bank serait-elle le début d'une vague qui va précipiter les marchés financiers et l'économie mondiale vers une crise à l'instar de celle de 2008 ? D'emblée l'économiste Omar Bakkou tempère, il n'y a pas de commune mesure entre Lehman Brothers qui a fait faillite en septembre 2008 laissant derrière elle une ardoise de 600 milliards de dollar et la Silicon Valley Bank. Cette dernière qui a mis les clés sous le paillasson en raison du risque de taux non couvert face à une hausse des taux directeurs, dispose d'un portefeuille essentiellement composés des startups dans le secteur des NTIC et comptait 209 milliards de dollars d'actifs et environ 175,4 milliards de dépôts à fin 2022. « L'ampleur est nettement moins que l'onde de choc de 2008, en raison d'abord de la taille de la Silicon Valley Banque qui est 16e banques, tout en étant un établissement à vocation régionale (donc pas banque universelle) spécialisé dans le secteur des TIC. Donc cette faillite est nettement moins importante en volume comme elle ne touche pas tous les secteurs économiques. Alors que la crise des subprimes elle, touchait le secteur immobilier qui existe dans le portefeuille de toutes les banques affectant ainsi tous les actifs », explique-t-il. L'autre élément qui plaide en faveur d'un moindre impact et d'effet domino sur le reste du monde est « la réactivité extrêmement importante de la banque centrale américaine, qui s'est engagée non seulement à garantir les déposants comme le stipule la loi dans un certain plafond, mais à rembourser la totalité. La FED s'est même engagée à offrir des liquidités aux banques en cas de retraits de dépôts », poursuit Omar Bakkou. Donc l'ampleur est plus faible qu'en 2008 en raison de l'envergure de la banque et en deuxième point, grâce à la forte réactivité de la banque centrale américaine. Donc le risque systémique est très peu probable dans le cas d'espèce, estime l'économiste. Mais, il souligne toutefois qu'il n'y a jamais de phénomène qui ne laisse pas de trace toujours est-il que le mouvement de panique à l'annonce de la faillite de la SVB et Signature Banque a eu plus des effets comptables que des effets réels. « D'où l'importance de la communication de la part de la banque centrale pour rassurer et tasser ce mouvement de panique », . Le Maroc dans tout ça ? Même en présence d'un tout petit risque pour les marchés financiers mondiaux, comment une faillite outre-Atlantique peut-elle impacter le Maroc ? Puisqu'en 2008, et bien que les établissements financiers marocains ne détenaient pas d'actifs toxiques, ont été impactés par la transformation de la crise financière en une crise économiques. La débâcle de SVB peut-elle être contagieuse ? Omar Bakkou énumère deux types d'effets à scruter, un impact financier et impact réel. Commençons par le marché financier, qui est d'ailleurs le plus inquiet particulièrement le marché des capitaux national et sur l'éventuelle existence de vecteurs de transmission ou d'importation d'une crise étrangère vers le secteur financier national. « Sur ce marché nous avons deux principaux acteurs, les banques, qui sont les acteurs majeurs du marché des capitaux et l'Etat. Au final, les banques marocaines sont connectées au marché mondial par le biais des positions de change, parce qu'elles détiennent des devises et elles ont le droit de les placer à l'étranger. Toujours est-il que ce placement doit répondre aux dispositions de la circulaire de BAM qui fixe les modalités de gestion ou de placement de ces devises, notamment dans des actifs sûrs, des obligations publiques ou des actifs notés AAA. Ainsi les banques n'ont pas le droit de placer les devises qu'elles détiennent dans fonds d'investissement ou dans des fonds spéculatifs. C'est de la gestion presque passive, ou dans des BDT », analyse Omar Bakkou. La circulaire de BAM relative aux positions de change des établissements bancaires dispose que toute position dans une devise donnée enregistrant une perte de change de plus de 3 % doit immédiatement être déclarée à Bank Al-Maghrib, laquelle précise à l'établissement bancaire concerné s'il y a lieu ou non de procéder à la liquidation d'une telle position. Cette circulaire impose aux banques et établissements de crédit de remettre à la banque centrale un état quotidien sur leurs positions de change. Ces boucliers rassurent quant à la vigilance de la banque centrale sur tout ce qui est de nature à fragiliser le secteur financier marocain. « Il y a aussi l'effet volume, puisque la limite de la position de change est fixée à 4 Mds d'euros que les banques marocaines n'atteignent jamais. Ce qui est de nature à prémunir les banques », rassure Omar Bakkou. La rigueur imposée aux banques et établissements de crédit est la même pour les intermédiaires agréés à effectuer des opérations de placement en devises à l'étranger. Et même plus puisque seules les émissions effectuées dans les pays de l'Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE), de l'Union Européenne et de l'Union du Maghreb Arabe (UMA), sont permises. De même, les dépôts monétaires doivent être effectués auprès des institutions installées dans lesdits pays. Du côté du passif, les ressources monétaires des banques peuvent-elles être affectées ? « On ne reçoit pas les dépôts à terme de l'étranger, la réglementation l'autorise mais nous n'avons pas des entités non résidentes qui font des dépôts au Maroc. Restent les dépôts ou transferts des Marocains résidant à l'étranger. Vont-ils être affectés ? Ce n'est pas probable », estime Omar Bakkou. Si le secteur bancaire se retrouve pour l'instant hors zone de turbulences, quid de l'Etat qui se finance sur le marché international ? « Même en cas de grand choc ou de crise, le Maroc s'est immunisé avec la ligne de crédit modulable pour un montant équivalent à 3,7 262 milliards de DTS (environ 417 % de la quote-part du Maroc, soit 5 milliards de dollars). Une fois accordée c'est un engagement du FMI à débloquer cette ligne », rappelle l'économiste. Néanmoins, malgré toutes ces assurances d'une résilience du secteur financier marocain, la contagion peut se faire par l'intermédiaire de l'économie, comme ce fut le cas en 2002. Là encore, Omar Bakkou tempère. « Même en cas de crise avérée avec des réactions systémiques en chaînes et des Etats réagissent, la croissance au Maroc a ses propres spécificités. L'économie marocaine est vulnérable à trois sources de choc. D'abord, la pluviométrie puisque la volatilité de la croissance nationale dépend de cet élément. Il y a ensuite, l'impact de la volatilité des prix des produits énergétiques sur les marchés mondiaux. Le troisième canal en cas de crise économique mondiale, est celui des exportations dans certains secteurs particulièrement l'automobile, le textile et le tourisme. Comme ne nous sommes pas dans une économie qui repose sur les exportations, ces dernières représentent 30% du PIB et les 70% ne sont pas exposés. Et ça a été avéré durant la crise de 2008 », analyse Omar Bakkou. Les inquiétudes qu'a suscitées la faillite de SVB n'ont pas eu le temps de s'atténuer que ce lundi encore, on démarre la semaine à surveiller un autre éléphant au pied d'argile. Le Credit Suisse, avec l'accord de rachat par UBS pour un peu plus de 3 Mds d'euros, prend en tenaille un secteur financier mondial bien secoué. Là, c'est un tout autre scénario puisque sur les 40 premiers actionnaires de la banque, on retrouve des établissements financiers de plusieurs pays, comme l'Arabie Saoudite, le Qatar, la Norvège, l'Allemagne, la France, les Etats-Unis ou encore des compagnes d'assurance comme Allianz... avec des participations très minimes certes, mais qui ont eu l'effet d'un tsunami dans les marchés boursiers de ces pays, où les valeurs bancaires ont piqué du nez en raison de la peur d'un effet domino. Reste à savoir si le rachat précipité de Credit Suisse par UBS, va rassurer un monde déjà épuisé par tant de crises ces dernières années.