En cas d'instauration de tarif américain sur l'automobile en Europe, le Maroc risque de perdre deux points de croissance économique. Le point avec Stéphane Colliac, Economiste chez Euler Hermes. EcoActu.ma : Aujourd'hui, une multitude de risques plane sur la croissance économique mondiale (Brexit, protectionnisme américain, ralentissement de la croissance dans la zone Euro, digitalisation...). Quels sont les risques qui menacent directement l'économie marocaine ? Stéphane Colliac : La défiance envers le libre-échange plane effectivement en tant que risque parce que l'administration américaine parle d'une menace relative à l'instauration des tarifs douaniers sur l'industrie automobile européenne. De par l'importance du secteur automobile en Allemagne et en France, les effets de rétroaction de la tarification douanière américaine sur l'Europe prévaudraient sur le monde entier. Parce que l'industrie automobile européenne est très intégrée et le Maroc est aujourd'hui une zone de sous-traitance et de production pour beaucoup de constructeurs européens, essentiellement français. En cas d'instauration de tarif américain sur l'automobile en Europe, partenaire principal, le Maroc risque de perdre deux points de croissance économique. Elle pourrait passer des 3% prévus en 2019 à 1%. Dans le même sillage, le passage à la voiture électrique, qui va engendrer de nouveaux investissements, pourrait peser sur les constructeurs automobiles au Maroc qui seraient astreints à revoir leurs modèles de production. Il y a d'abord un premier risque à court terme qui crée beaucoup de coûts pour les constructeurs européens à savoir les nouvelles normes d'émission qui ont tendance à faire reculer la part du diesel consommé par les immatriculations européennes. Ces nouvelles normes d'émissions sont applicables à tout nouveau type de véhicule. Elles ne s'appliquent donc pas, dans un premier temps aux véhicules neufs qui ont déjà été homologués, ni aux éventuels véhicules restylés. Tous les véhicules seront concernés par cette nouvelle norme à partir du 1er septembre 2019. Cela se traduit bien entendu par des modèles qu'il faut écouler tout en sachant qu'à partir du 1er septembre, ces modèles seront tellement pénalisés en termes de malus écologique et deviendront plus chers. Les consommateurs seront ainsi amenés à acheter des modèles cohérents avec les nouvelles normes. Le deuxième risque plus global concerne le passage à la voiture électrique et tous les investissements qui peuvent en découler. Ajoutons à cela la concurrence qui ne fera que s'amplifier. Le fait que certains constructeurs vont y parvenir et d'autres pas, les coûts financiers associés à ces mutations… sont autant de facteurs qui risquent d'entraîner une limite aux dépenses d'investissement qui sont effectuées pour d'autres motifs notamment de capacité, d'internationalisation et de sous-traitance. Donc le développement du secteur automobile marocain peut-être à risques pour des raisons d'asphyxie citées ci-dessus. Depuis l'entrée en vigueur de la flexibilité du Dirham, on remarque une quasi stabilité du DH aussi bien par rapport à l'euro qu'au dollar. Quelles appréciation faites-vous de la politique de change au Maroc ? D'un côté, c'est une bonne chose parce que la stabilité rassure. La réforme a été maintes fois reportée justement à cause du risque d'une dépréciation conséquente. Aujourd'hui, on remarque qu'il n'y a pas d'accélération d'inflation. Toutefois, le fait que le taux de change bouge et qu'il soit flexible, est un élément important parce que derrière il y a un risque. Les entreprises se couvrent contre un éventuel risque de dépréciation forte. En cas de stabilité, on remarque un certain endormissement. Aussi, un taux de change stable par rapport à l'euro et au dollar, est un taux de change haut par rapport aux devises émergentes. Sur le plan compétitivité, ce n'est pas convenable à l'avenir si l'on souhaite continuer à développer la spécialisation industrielle. En matière de délais de paiement, le Maroc occupe le dernier rang sur le plan international. Aujourd'hui, des efforts sont déployés de la part de l'Etat. Jusqu'à quel degré peuvent-ils remédier à la situation ? Aujourd'hui, il faut passer aux actes. Ces actes viennent de l'exemplarité des acteurs publics mais également des grandes entreprises qui sont souvent en situation de monopole ou d'oligopole. Ce qui veut dire qu'elles ont un pouvoir sur leurs partenaires et qu'elles peuvent imposer des délais longs. Ces entreprises doivent comprendre qu'avec une relation équilibrée avec leurs partenaires, elles vont les aider à survivre et même leur développer des débouchées. Aussi, faut-il que les grandes entreprises arrêtent de demander aux PME-TPE qu'elles connaissent mal des délais zéro (paiement cash) parce que le gap entre le paiement à 83 jours et celui à zéro jour est le pallier infranchissable qui fait qu'on va vers la défaillance de l'entreprise.