Ecrit par Imane Bouhrara | L'agriculture est un secteur vital, pourtant se pose la capacité et les compétences de l'agriculteur à faire face aux différents défis qui s'imposent actuellement. Le schéma des formations aux métiers de ce secteur est-il réellement adapté aux besoins en compétences ? Les politiques publiques dédiées à ce secteur laissent-elles encore le choix à l'agriculteur ? Les différentes crises qui sont survenues ces dernières décennies ont rappelé le rôle vital du secteur de l'agriculture pour répondre aux besoins élémentaires des populations, donc assurer la sécurité alimentaire des Etats, en plus d'être le moteur d'un autre secteur tout aussi important celui de l'industrie agroalimentaire. Mais si les crises produisent en général des conditions extrêmes, il n'en demeure pas que les défis auxquels l'agriculteur fait et devra encore faire face le sont tout autant. En effet, l'agriculteur aujourd'hui est acculé à produire toujours plus à un prix accessible aux citoyens, avoir un revenu vulnérable dans un environnement en proie au changement climatique et un urbanisme rampant tout en employant plus et augmentant sa contribution au PIB. A ces défis s'ajoutent de nouvelles incertitudes. Il s'agit notamment des perturbations issues des tensions commerciales, de la propagation de maladies végétales et animales, de la résistance aux antimicrobiens, des nouvelles réglementations encadrant les techniques phytogénétiques et des événements climatiques extrêmes. Dans un tel contexte, se pose alors l'épineuse question de savoir si l'agriculteur est outillé face à ces différents défis, qui de la formation mais aussi le développement de métiers qui intéressent les jeunes et assurent ainsi la relève ! Ce sont tellement de questions qui ont été débattues lors d'un webinaire autour du thème « La formation agricole : quel modèle face aux enjeux climatiques et alimentaires ? », organisé le 27 septembre le cadre de l'initiative « Trait d'union », lancée par le groupe OCP, Leader mondial dans la production et l'exportation des phosphates. Il faut croire que ces défis se posent dans le monde et non uniquement au Maroc ou en Afrique, idem pour la question de la formation aux métiers aussi bien du secteur agricole qu'agroalimentaire. D'ailleurs les chiffres sont édifiants. Ainsi, seuls 8,5% des agriculteurs européens ont suivi une formation agricole. A contrario, le nombre d'étudiants des filières agricoles augmente, autour de 230.000 en France. Selon l'agroéconomiste et membre de l'Académie d'agriculture de France, Jean-Marie Seronie, le métier d'agriculteur tel que nous le connaissons est en train de changer, au moins pour deux raisons, d'un côté, le secteur jusque-là protégé s'inscrit désormais dans une économie plus ouverte et donc subi des variations plus importantes, notamment les prix des engrais qui ont doublé voire triplé ; et de l'autre côté des variations climatiques contraignantes alors que le secteur cherche plus de rendement. Pour ce dernier point, les agriculteurs doivent se préparer à la politique bas carbone et donc utiliser moins de produits chimiques et phytosanitaires. « Cela nécessite des compétences agronomiques et zootechniques plus larges, et un état d'esprit et un savoir-faire différent... la formation doit intégrer tous ces éléments », explique-t-il. Et pas uniquement pour le secteur agricole mais également pour le secteur agroalimentaire. Dans ce sens, Anastasia Boucheron, directrice des affaires sociales de l'Association nationales des industries agroalimentaires (ANIA), souligne qu'une diversification des métiers est nécessaires pour répondre aux défis aussi bien climatiques que technologiques au service d'une alimentation plus durable, plus saine et accessible à tous. « Les métiers actuels ne sont pas appelés à disparaître mais à évoluer », explique-t-elle. Et d'ajouter que les entreprises particulièrement de l'agroalimentaire, doivent œuvrer à rendre ces métiers plus attractifs. En Afrique, s'ajoute la pression démographique Alors qu'ailleurs on parle de smart agriculture, l'enjeu pour l'Afrique est encore plus grand. Non seulement le continent subit un changement climatique auquel il n'a contribué en rien, mais en plus de cela, il doit faire face à une pression démographique plus importante et une urbanisation plus importante. Comme le rappelle Bruno Gérard, professeur et chef de la bio-science de l'Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P), la population passe du simple au double chaque 20 à 30 ans en Afrique et au moment où la valeur ajoutée agricole n'est pas très importante, le défi est de produire mieux et plus (produire plus et polluer moins) et créer des emplois attractifs pour les jeunes. Pour cela, le monde académique se trouve face à une demande diverse et complexe. L'approche qu'il préconise, partant de son expérience, pour le monde académique est d'apprendre à travailler avec les autres et s'inscrire dans les dynamiques en place. Que ce soit pour les soft ou les hard skills, les besoins en formation sont énormes : nouvelles technologies, innovations, natures des sols ou compétences financières et sociales. Bruno Gérard souligne néanmoins que l'Afrique n'est pas monolithe et de ce fait, il faut la recherche en contexte. Les politiques publiques propices au changement ? Une chose est pourtant commune aux pays africains : une accélération démographique et urbanistique au détriment du monde rural, et un secteur agricole administré par l'Etat. L'Afrique, grenier du monde ? Pas si sûr puisque le secteur peut se développer bien évidemment selon les pays. En plus de cela, il fait face à des tendances lourdes, souligne Blaise-Pierre Ango, Président du réseau FAR et coordinateur du programme AFOP au Cameroun : la démographie et l'urbanisme. Que faire dès lors pour améliorer les compétences des agriculteurs dans le monde rural et surtout pour former des jeunes pour prendre la relève ? Autant dire que le travail doit d'abord porter sur la scolarisation et la lutte contre un décrochage scolaire de 60% après le primaire, soutient B.P. Ango. L'autre problématique qu'il soulève sont les débouchées d'une formation agricole : le public ou l'académique, en raison du fait que l'agriculture est un secteur administré. Donc, ces formations ne contribuent pas à l'émergence des métiers agricoles. Pour y remédier, cela se résout sur le plan politique pour permettre une rénovation du processus de formation pour développer les métiers agricoles, ce qui permettra le renouvellement des générations d'agriculteurs en Afrique et facilitera la reprise des exploitations. La question se pose également pour le Maroc, face aux mêmes défis et aux mêmes contraintes pour un secteur cadré par une politique publique. Certes, l'enseignement agricole au Maroc propose aussi bien la formation initiale que continue ainsi que la recherche scientifique pour former des cadres de haut niveau, mais quid du métier d'agriculteur 4.0, censé avoir des compétences plus larges ? Quid de cette classe moyenne agricole rurale ? Selon le discours royal du 12 octobre 2018, « Le secteur agricole peut être un pourvoyeur d'emplois plus performant et un instrument plus efficace pour assurer de meilleures conditions de vie et d'établissement en milieu rural ». Dans ce sillage, la nouvelle stratégie sectorielle Génération 2020-2030 ambitionne l'émergence d'une nouvelle génération de jeunes entrepreneurs, notamment à travers la mobilisation et la valorisation de 1 million d'hectares de terres collectives et la formation de 150 000 jeunes aux services agricoles et para-agricoles. Dans ce sens, il faudra suivre de près la feuille de route pour le développement de la formation professionnelle au service de cet objectif, en associant aussi bien le monde académique que celui de la recherche et le privé.