Ecrit par Soubha Es-Siari | Face à un amenuisement des ressources financières de l'Etat, les Collectivités locales sont appelées à être des acteurs de développement à part entière. Les crises se succédant ont à chaque fois resuscité le rôle de l'Etat comme premier acteur. D'où la question sur la légitimité ou pas d'une fiscalité locale. Les rapports entre l'autonomie fiscale et le développement territorial ont fait l'objet d'un débat sous la thématique : « Autonomie fiscale locale et développement territorial : Diagnostic et Etat des lieux » initié samedi dernier par Fondafip et la TGR. Il faut dire que depuis quelques années, la question relative à l'autonomie fiscale refait surface à la lumière de l'évolution du contexte macroéconomique et de l'émulsion des crises que nous connaissons. D'où la question lancinante qui se pose : l'autonomie fiscale est-elle une clé nécessaire au développement territorial ? Dans son discours d'ouverture, le Trésorier Général du Royaume, Noureddine Bensouda a tenu à rappeler que le Maroc est en quête d'un développement optimal de décentralisation. Un tel modèle doit, selon ses propos, prendre en considération les besoins en termes de subsidiarité tout en gardant la centralité du pouvoir de l'Etat. Le but étant d'assurer un développement local en parfaite symbiose avec l'élan du développement national. C'est d'ailleurs toute la complexité de l'équation. Mais pas que. La complexité devrait tenir également compte des grandes disparités entre les collectivités locales en matière de capacité de gestion, de disponibilité de ressources... Noureddine Bensouda annonce par ailleurs que même pour les économies les plus avancées, la recherche d'un meilleur modèle de décentralisation est un exercice en continu. Dans un premier temps, les conférenciers se sont interrogés sur l'utilité de l'autonomie fiscale pour le développement territorial dans les temps qui courent. A ce titre et pour mieux expliciter cette interrogation, le professeur Michel Bouvier, président de Fondafip a tenu à rappeler le contexte dans lequel a émergé le développement des collectivités territoriales, un contexte où les théories économiques les plus libérales prônaient le développement des collectivités locales à cause de leur proximité avec la population. C'est aussi dans ce contexte que les finances locales étaient considérées comme principal instrument pour permettre le développement local. Dans le droit fil de cette théorie libérale, l'autonomie fiscale fût considérée comme essentielle car elle est un moyen de responsabiliser les Collectivités et les libérer de la tutelle de l'Etat et d'en faire des acteurs à part entière dans le système économique. Toutefois, le professeur Bouvier a attiré l'attention sur le fait que le rôle des Collectivités locales suscite, malgré certaines avancées, toujours le débat. Il argue ses propos par le fait qu'au cours des quatre dernières décennies et à l'aune des crises se succédant, les Collectivités locales sont considérées tantôt comme une solution et tantôt non. Et c'est l'Etat qui est considéré comme la solution voire l'acteur principal pour démonter la crise. La crise des subprimes de 2008, celle du Covid de 2020 et aujourd'hui la crise russo-ukrainienne placent de nouveau l'Etat comme un acteur de premier plan. D'ailleurs la question lancinante que se posent les plus avertis est la suivante : les collectivités peuvent-elles faire face à ces différents chocs ou faut-il laisser faire l'Etat ou encore est-il déterminant de continuer à plaider pour une autonomie fiscale ? Pour une cohérence du système fiscal local En parlant de fiscalité locale, le professeur Bouvier ne s'est pas empêché d'attirer l'attention sur la fiscalité locale qui s'est complexifiée au cours des dernières années et est devenue source de disparités et d'insécurité juridique. « S'interroger sur le bien-fondé d'une fiscalité locale peut paraître surprenant. La légitimité de la fiscalité locale n'a jamais été ouvertement contestée mais c'est tel ou tel impôt qui est contesté. En revanche, ce qui fait l'objet de critiques les plus sévères, c'est l'existence d'un principe de l'autonomie fiscale », explique Bouvier. La légitimité de la fiscalité locale comporte un caractère éminemment politique puisqu'elle renvoie à la problématique centralisation et décentralisation. Autrement dit les CL sont-elles pertinentes pour piloter les situations de crise de plus en plus fréquentes ? Et d'enchaîner : « Dans le premier cas, il est primordial de définir l'autonomie fiscale et en quoi l'impôt local est légitime. Un tel préalable est indispensable. La fiscalité locale (autonomie de décision) ne risque-t-elle pas d'être une source de pression fiscale ? Comment faire en sorte que le système fiscal soit globalement cohérent pour que la complexité de ce système n'évolue pas vers le désordre, l'implosion ? » Dans un second temps, si on estime non légitime une autonomie fiscale qui serait le fondement d'une autonomie locale, il suffit de développer un processus de transformation des impôts locaux en dotations ou bien de créer un ou plusieurs impôts nationaux ou encore d'allouer une part du produit d'impôts d'Etat aux CL. Cette solution aurait l'avantage d'une part d'une certaine homogénéité de l'espace et d'autre part d'une neutralité qui ne peut exister dans le cadre de la décentralisation fiscale. Quoiqu'il en soit du choix politique entre centralisation et décentralisation, ce débat révèle un enjeu essentiel celui de l'essoufflement du modèle financier local et plus largement du modèle financier public. De la résolution de cet enjeu dépend la réponse à la question essentielle du pilotage du développement économique et social par l'Etat ou par les Collectivités locales. « A l'aube d'un changement radical, d'un monde que la géopolitique qui fait violemment irruption dans notre actualité, nous amène à admettre qu'aucune solution favorable au bien-être des populations ne sera possible sans la présence, la maîtrise, la régulation d'un modèle financier public apte à permettre l'accomplissement des réformes nécessaires » conclut M. Bouvier. De son côté, le Trésorier Général du Royaume a annoncé que pour le cas du Maroc, nous avons observé ces dernières années un consensus de la part des politiques pour une décentralisation fondée sur le principe de subsidiarité, selon lequel la décision doit être prise par le niveau d'autorité publique le plus proche des usagers. « Toutefois, ce consensus ne se reflète pas dans la réalité, en ce sens qu'un décalage temporel s'est installé entre le discours et l'action. En effet, si tout le monde s'inscrit dans la logique de décentralisation, et donc dans le sens d'un partage de pouvoir entre l'Etat central et les collectivités territoriales, notamment dans le domaine financier, le pouvoir territorial demeure encore dépendant du pouvoir central », rappelle à juste titre N. Bensouda Dans son intervention, il montre que l'Etat central demeure le principal acteur du développement territorial (Chiffres à l'appui) et expose quelques propositions à même d'améliorer cette autonomie. En effet, l'analyse des ressources globales des collectivités territoriales hors recettes d'emprunt, durant la période 2002-2021, laisse apparaitre trois principales tendances : Une prédominance des ressources transférées par l'Etat, y compris les subventions, qui représentent en moyenne 61,6%, avec un pic de 66,5% en 2019 et un minimum de 55,9% en 2006 ; Une tendance haussière des ressources des collectivités territoriales entre 2002 et 2021, sauf en ce qui concerne les années 2012 et 2020 qui ont enregistré un recul des recettes ; Les ressources encaissées durant chaque année ont généralement permis de couvrir les dépenses globales de la même année, sans recours aux excédents des années antérieures. Prédominance des transferts de l'Etat Selon N. Bensouda, après plusieurs réformes de la fiscalité locale depuis 1976, les collectivités territoriales continuent de dépendre de l'Etat dans leur financement. En cause, les recettes provenant de la fiscalité gérée directement par les collectivités territoriales durant la période 2002-2021, n'ont constitué que 9% en moyenne, avec un pic de 12% en 2013 et un minimum de 4% en 2003. Par contre, les transferts de l'Etat, composés des parts des collectivités territoriales dans le produit de la TVA, de l'Impôt sur les sociétés et de l'Impôt sur le revenu ainsi que du produit de la fiscalité locale gérée par l'Etat pour le compte des collectivités territoriales (taxe d'habitation, taxe de services communaux et taxe professionnelle) assurent respectivement, 53,3% et 16,9% de leurs ressources globales. C'est pour dire que les recettes fiscales propres demeurent encore limitées pour permettre aux collectivités territoriales de participer pleinement au développement des territoires, comparativement à l'ambition consacrée par la Constitution de 2011. Bref pour que les CL soient des acteurs à part entière. Le hic est que les recettes fiscales de l'Etat, connaissent elles-mêmes un ralentissement sous le coup de plusieurs facteurs tant exogènes qu'endogènes tels que la globalisation, le commerce électronique, les crises mondiales, la sécheresse, les pratiques fiscales dommageables... « Face à cette situation, il s'avère nécessaire de refonder les rapports entre l'Etat et le citoyen, l'Etat et les territoires, une révision complète de notre façon de faire, une recherche permanente de cohérence et une adaptation de nos supports techniques, particulièrement sur le plan fiscal », annonce Bensouda. Aussi, la voie d'une administration professionnelle pour gérer la fiscalité locale semble-elle être la plus adaptée à notre environnement économique et social. C'est au demeurant, ce qui a été consacré par la loi n° 07-20 de 2020 qui a modifié la loi n° 47-06 de 2007 sur la fiscalité des collectivités territoriales. En effet, en vue d'une meilleure gestion des taxes locales, cette loi a confié l'assiette et le recouvrement de la taxe d'habitation et de la taxe de services communaux à la Trésorerie générale du Royaume, tandis que l'assiette et le recouvrement de la taxe professionnelle ont été confiés à la Direction Générale des Impôts. Last but not least, pour pouvoir consolider l'autonomie financière des collectivités territoriales, il est, selon le trésorier général du Royaume, nécessaire de procéder périodiquement à l'évaluation du système fiscal local et d'assurer un reporting régulier auxdites collectivités pour leur permettre de mieux piloter leur fiscalité.