Derrière la simple opération de rachat du Pôle passager de la Comanav (COMANAV FERRY) par Comarit se cachent des enjeux stratégiques. Cette branche de la filiale du groupe français CMA-CGM, qui a failli basculer dans le giron des Espagnols, rétablit l'équilibre du transport maritime dans le Détroit en faveur du Maroc. Un fonds de commerce, des lignes de navigation juteuses sur le Détroit, des immobilisations sous forme de locaux et une vieille flotte de 5 ferries (âgés de plus de 20 ans). La compagnie marocaine Comarit, appartenant à l'homme d'affaires marocain Ali Abdoulmoulah, n'a pas hésité à investir 80 millions d'euros (soit un peu moins d'un milliard de DH) pour s'offrir le Pôle passager de son ex-concurrent, la Comanav, filiale du groupe français CMA-CGM. « Pour des raisons de survie, Comarit ne pouvait plus se permettre de ne pas avoir la taille suffisante pour empêcher les Espagnols de verrouiller le détroit de Gibraltar. A travers cette nouvelle acquisition, Comarit pourra désormais faire face au rouleau compresseur des opérateurs espagnols, qui bénéficient des subventions de leur Etat, ce qui fausse toute la concurrence sur le Détroit », analyse Najib Cherfaoui, Ingénieur des Ponts et Chaussées et expert portuaire. Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir essayé : les Espagnols ont bien tenté de faire main basse sur le pôle passager de la Comanav. En effet, l'opération de rachat par Comarit n'a été rendue possible qu'après le capotage de l'alliance de CMA-CGM avec l'opérateur espagnol Balearia. En 2008, les deux opérateurs avaient annoncé la création d'une joint-venture entre les branches ferry de Balearia et de la Comanav. Un projet qui n'a pas fait long feu, même si l'Espagnol y tenait vaille que vaille. La joint venture devait prendre en gestion les lignes ferry de la Comanav entre le Maroc et l'Europe, en plus d'hériter de tout le réseau commercial de la Comanav ainsi que de sa flotte actuelle de ferries. Ce rapprochement devait permettre à CMA-CGM d'acquérir un associé expérimenté pour la gestion d'un métier nouveau pour elle, en l'occurrence le transport de passagers. Car l'activité passager n'est pas le cœur de métier de CMA-CGM. Equilibre des forces C'est donc un nouvel équilibre des forces qui se met en place sur le Détroit. A travers sa nouvelle acquisition, Comarit fait ainsi face à Balearia, qui a déjà entamé des mouvements de concentration en 2007. Le transporteur espagnol avait alors racheté Buquebus, un autre Espagnol opérant sur la ligne Sebta-Algésiras. Leur principal concurrent reste Acciona-Trasmediterranea, qui disposerait de près de 67 % de parts de marché sur cette ligne. C'est en effet ce dernier qui a ouvert le bal des acquisitions en 2007, en procédant à l'achat d'Euroferrys. Celui-ci opère aussi sur la ligne Tanger-Algésiras. « En privatisant la Comanav, le gouvernement avait fait l'erreur de céder le pôle passager, qui constituait une flotte de sécurité pour le pays. En reprenant cette branche, Comarit permet à nouveau au Maroc de disposer d'une flotte de sécurité », souligne Najib Cherfaoui. Au-delà, le Maroc dispose désormais, aux yeux de cet expert, d'une force de négociation dans la perspective du futur Port Passager de TangerMed (bis) où les Européens, notamment les Espagnols, étaient bien partis pour être seuls sur le site et dicter leurs tarifs. Le marché du Détroit reste potentiellement rentable, eu égard au nombre important de MRE qui y transitent chaque année (plus d'un million de personnes). Comarit a de quoi faire face aux Espagnols. Le Pôle ferry qu'elle a repris à la Comanav est constitué de cinq bateaux en propriété desservant les lignes de Tanger vers Algésiras, Sète et Gênes, et Nador vers Sète et Almeria. La capacité totale est de 7.400 passagers et 2.200 voitures. Avec cette acquisition, Comarit se place comme le premier opérateur de transport de passagers sur le Détroit avec une dizaine de navires. Reste à savoir si elle va engager un programme de rénovation de cette vieille flotte fraîchement acquise.