Qui mieux que des traders marocains expatriés aux quatre coins du monde, qui vivent au quotidien une angoisse galopante, peuvent le mieux nous renseigner sur les changements que la finance mondiale est en train de subir en ce moment ? De Londres principalement, ils livrent des « confidences » assez touchantes. Ces jeunes trentenaires, qui ont sciemment choisi de travailler dans le cœur névralgique de cette finance internationale, sont choqués par ce qui se produit sur les marchés. Mais ils arrivent quand même à garder les pieds sur terre. Ils sont, dans leur majorité, ravis de vivre ces moments historiques qui pourraient constituer un cas d'école. «On doit nous envier pour cela», lance l'un d'eux. Pourquoi ? La réponse est simple. Cette crise les forme sur tous les plans. Ils apprennent à mieux gérer les produits qu'ils manipulent. Elle les pousse à chercher de nouvelles formules, à innover en quelque sorte. Elle les pousse à se concentrer sur davantage de détails, et aussi à réfléchir sur eux-mêmes, à pousser les limites de leurs capacités. Ces jeunes traders, qui vivent scotchés devant leur écran 24/24h, continuent leur bonhomme de chemin, espérant ne pas perdre leur emploi (donc leur super bonus). Aucun d'entre eux ne songe à changer de métier. Par contre, certains n'hésitent pas à réfléchir à un éventuel retour au pays. Encore faudrait-il que le marché y soit développé, sophistiqué, afin qu'ils s'y sentent comme des poissons dans l'eau. Ils sont nombreux ces jeunes talents marocains, issus des grandes écoles, qui se sont rués massivement durant ces cinq dernières années sur les métiers de la finance. « Matheux » dans l'âme, ils ne pouvaient mieux s'y sentir. Depuis, cette élite marocaine essaime les places financières internationales comme Wall Street, Londres, Dubaï, Singapour … Cependant, c'est La City, capitale londonienne de la finance, mais aussi digne rivale du Wall Street new-yorkais, qui s'est depuis logiquement imposée comme destination favorite de ces Marocains hautement qualifiés, assoiffés par l'innovation de produits financiers complexes. Mais tout ça, c'est sans compter aujourd'hui avec la crise financière mondiale qui a déprimé les grandes places financières internationales. «Personne ne prévoyait de crise d'une telle ampleur. C'est une crise inédite. Bear Stearns, la 5ème banque d'affaires, au bord de la faillite, qui se fait racheter en dernière minute par J.P. Morgan; Lehman Brothers, la 4ème banque d'affaires, obligée de déclarer faillite…et le même jour, Merrill Lynch qui se fait racheter par Bank of America. Personne n'envisageait de tels bouleversements», lance Nabil Marhaoui qui travaille chez JP Morgan à Londres. À l'instar des 300.000 financiers (dont 60.000 Français) venus des quatre coins du monde qui opèrent dans ce temple européen de la finance, ce sentiment est largement partagé au sein de la communauté financière marocaine à Londres, qui compte pas moins de 300 jeunes cadres, représentant des compagnies aussi importantes que JP Morgan, Goldman Sachs, HSBC, Barclays ou la défunte Lehman Brothers. «Si je comprends bien, vous voulez consacrer un dossier au credit crunch», nous glisse l'un des golden boys contactés dans le cadre de cette enquête. Credit crunch. L'expression, qui désigne au départ un resserrement du crédit, s'est galvaudée pour devenir synonyme de crise financière. Depuis le début de l'été, elle est sur toutes les lèvres dans la capitale britannique. Les petits et grands acteurs financiers de la City ont l'impression qu'avec la crise des subprimes, aussi inattendue qu'interminable, c'est le ciel qui leur est tombé sur la tête. Les traders, structureurs, analystes, hedge funders (tous ceux qui « manipulent » l'argent) s'inquiètent du montant de leur bonus 2008 (pour ceux qui ont encore un job) et réfléchissent aux moyens de réduire leur train de vie sans trop meurtrir leur ego. En effet, s'ils sont privés de cette prime, c'est tout l'équilibre de leurs finances personnelles qui s'effondre. Reconfiguration du système financier D'après plusieurs estimations réalisées par des agences britanniques, l'activité dans la finance à la City va se comprimer d'environ 50 % cette année. Ce qui va obliger les entreprises à réduire leurs coûts et leurs effectifs. Le cabinet d'études CEBR estime qu'à elle seule, la City va perdre 62.000 emplois en 2008 et 2009. Jusque-là, les cadres marocains de la City ne semblent pas touchés par ce vent de dégraissage qui souffle sur le temple européen de la finance. Mais à les entendre évoquer les péripéties de la crise financière, l'on a tout de même l'impression qu'ils ont aussi peur de perdre leur emploi et leur niveau de vie, intimement lié au « fameux » bonus. Ce n'est pas une mince affaire de retrouver un emploi perdu dans ce microcosme de la haute finance en ces temps d'incertitude. Les retours au Maroc et en France n'existent pas encore malgré la gravité de la crise. Toujours est-il que certains ont tout simplement migré vers d'autres places financières, particulièrement Dubaï, en attendant de retrouver un jour Londres, l'eldorado de l'argent facile pour les golden boys marocains. Est-ce à dire qu'ils n'ont pas vu cette crise se profiler à l'horizon ? Paradoxalement, tous affirment avoir détecté les signes avant-coureurs dès 2007. Selon Zineb Ayouch, qui exerce au sein de Royal Bank of Scotland, malgré certains signes précurseurs apparus début 2007, la crise ne s'est réellement installée qu'à partir de l'été 2007 lorsque Bear Stearns (jusqu'alors 5ème banque d'investissement à Wall Street), fut contrainte de fermer deux Hedge Funds exposés au financement hypothécaire américain. «La tendance s'est confirmée lorsque BNP Paribas a suspendu les retraits dans des fonds «subprime» de sa gestion d'actifs. Les marchés ont alors réagi brutalement, contraignant les banques centrales à injecter des liquidités dans le système interbancaire », dit-elle. Va alors suivre, à en croire Zineb Ayouch, une période de perte de confiance et une cascade de mauvais résultats pour les banques et autres établissements financiers. Le système financier mondial est touché dans son intégralité. Une réunion du G20 est prévue ce 15 novembre. Des changements devraient normalement être décidés. Un nouveau Bretton Woods bis devrait voir le jour. Au Maroc, on devrait s'attendre à recevoir l'onde de choc. Il est vrai que le marché est encore très limité comparativement aux produits complexes qu'ont à gérer les traders à l'international. Mais un jour ou l'autre, il faudra bien que notre économie s'ouvre à toute cette innovation. Et là, les gouvernements devront s'aligner sur les nouveautés. C'est dans ce sens qu'il est très intéressant de suivre de très près ce qui se produit aujourd'hui à l'international. Les différentes faillites ou quasi faillites, les dérapages de certains traders ayant entraîné des pertes colossales pour leur établissement… ont poussé les gouvernements à mettre en place des plans de sauvetage et les dirigeants à revoir leur stratégie tant sur le plan des ressources humaines que sur la composition de leurs portefeuilles clients… Les règles et les normes appliquées jusqu'à aujourd'hui semblaient pourtant efficaces pour éviter ce qui se passe sur les marchés. Eh non. A chaque cycle de la finance mondiale, il s'avère qu'il faut refaire encore un pas supplémentaire et repousser encore et encore les limites à ne pas franchir. A tout cela, on l'aura compris, le Maroc n'échappera pas. Des enseignements sont donc à tirer. Les pays les plus développés ont été touchés de plein fouet. Des pays émergents, comme le Maroc, subiront l'effet de la crise mais sur le plan de leur économie réelle. Pour nous préserver des mauvaises surprises, il faudra alors apprendre des erreurs de ceux qui nous ont précédés dans l'innovation financière. Placements : pensez au-delà de 5 ans A priori, il nous semble à travers les opinions recueillies ça et là, qu'il n'est pas vraiment judicieux d'investir aujourd'hui en bourse. Mais attention, il faut nuancer. Il n'est pas intéressant de vendre car forcément, les plus-values seront moindres. Par contre, pour les investisseurs, particuliers ou personnes morales qui misent leur argent sur du moyen ou long terme, cette crise est une occasion rêvée, car elle leur permet d'acheter des actions à très bas prix. Une aubaine qu'ils n'auraient pas pu avoir il y a quelques années. «Les marchés actions aux niveaux actuels commencent à être de bons investissements à moyen et long termes. Mais il faut supporter l'importante volatilité actuelle des titres et l'éventualité de perdre à court terme. On est dans une période où le cash est roi. Je pense que le mieux en ce moment est d'avoir des liquidités pour pouvoir miser sur des valeurs sûres qui ont particulièrement souffert, mais tout ceci au cas par cas», confie un trader. La volatilité des marchés pousse nombre de personnes à s'interroger sur le lieu idéal où il fait bon investir. Les analystes, eux, sont quasi-unanimes pour avancer que des opportunités existent à travers un ensemble d'actifs (indices diversifiés d'actions et de matières premières) à condition d'avoir un horizon d'investissement supérieur à cinq années. «Il est aussi subtil de s'intéresser à des entreprises ou des secteurs qui sont faiblement endettés comme les industries pharmaceutiques ou la grande consommation», suggère un analyste. Ceci est valable pour tout ce qui touche l'international. Au Maroc, nos analystes pensent la même chose, sauf que pour certains d'entre eux, l'horizon à garder à l'esprit est moins élevé, entre deux et trois ans.