La passerelle entre le monde économique et celui du sport n'est pas encore mise en place. Le profil d'un marché économique existe, mais le défaut de culture entrepreneuriale des dirigeants constitue un grand frein. Moult managers venus du milieu des affaires tentent de venir au secours d'un sport national qui n'a jamais été aussi mal sur son terrain. Timidement, le sport national poursuit son rapprochement avec le monde économique sur un terrain parsemé d'une multitude d'obstacles. Pourtant, aujourd'hui, le sport marocain rêve plus que jamais d'affaires, comme ce fut le cas en février dernier avec l'arrivée d'un groupe select du milieu des affaires à la tête du FUS de Rabat. Depuis, le nouveau comité directeur du club fanion de la capitale du Royaume ne compte que des figures connues du monde des affaires, de l'économie et même des ministres. Le président du FUS, Mounir El Majidi (1), est assisté par une équipe de choc constituée, pour ne citer que ceux-là, de Mustapha Bakkoury (2), patron de la CDG, Mohamed Boussaïd (3), ministre du Tourisme, Ali Fassi Fihri (4), DG de l'Onep, Hassan Khyar, président d'Alstom Maroc et Abdelmajid Tazlaoui (5), patron d'Onapar, filiale immobilière de l'ONA. Du jamais vu dans l'histoire du sport marocain. Objectif: faire du FUS un grand club doté d'infrastructures adéquates pour ses 18 sections sportives et d'un budget digne d'un club de capitale. «Cette initiative vient à point nommé. L'esprit de management peine à s'imposer dans le milieu du sport marocain. Précarité et mauvaise gestion sévissent toujours. La structure organisationnelle du sport est inadaptée aux exigences du secteur économique», confie Najib Salmi, journaliste sportif qui suit depuis plusieurs années le sport national à Challenge Hebdo. En effet, plusieurs facteurs expliquent cette situation. Primo, les pouvoirs publics, au Maroc comme dans le reste des pays en voie de développement, n'affectent que peu de ressources financières à l'activité sportive. Un secteur relégué à un rang inférieur dans les priorités publiques. Secundo, le parc d'équipement reste médiocre. Les infrastructures disponibles ne répondent pas à la demande. Ainsi, la moyenne nationale est de 1,6 m2 de superficie sportive par Marocain, d'un terrain de football pour 160.000 personnes, une piscine pour 2 millions de citoyens et un gymnase pour 800.000 personnes. Tertio, la pratique sportive reste limitée. En dehors du cadre scolaire, elle ne fait pas partie des habitudes sociales. Difficile dans de telles conditions pour les sponsors et les investisseurs de s'engager. Résultat des courses : les associations et organisations sportives ne disposent pas de moyens conséquents pour offrir un spectacle de qualité. La pénétration du monde des affaires dans le domaine sportif a atteint des niveaux avancés dans les pays développés. Les clubs de sport sont devenus d'ailleurs des entreprises à part entière, où performances riment avec bénéfices. Face à la manne financière générée, les entités sportives se sont avérées un investissement rentable. Une raison qui explique par exemple la présence du groupe Canal+ à hauteur de plus de 50 % dans le capital du club de football français, Paris Saint-Germain, et l'acquisition du Milan AC par le magnat des médias italiens, Silvio Berlusconi, devenu Premier ministre de l'Italie. Il faut dire que la publicité et le marché des produits engendrent des revenus supérieurs à ceux de la vente de billets, sans compter le gros lot du marché des transferts. C'est dire combien le management est devenu une exigence indispensable à la réussite de la pratique sportive. «Les faux prétextes doivent à présent être dépassés. L'épanouissement du sport n'a jamais été tributaire du niveau de développement d'un pays. Elle dépend plutôt de la qualité des ressources humaines et de la pertinence de la stratégie préconisée», s'insurge ce membre du comité directeur du Wydad de Casablanca venu du monde des affaires. Pour l'heure, cette donne est encore loin d'être inscrite dans les moeurs. Dans la plupart de ces entités sportives, les dirigeants sont insensibles aux sirènes de la modernisation. Ils ne voient pas de liaison entre performances sportives et gestion financière efficace. Généralement, ces dirigeants sont d'anciens professionnels dont la nomination est une récompense à une carrière réussie ou bien encore des notables pour lesquels seul l'argent (parfois avec un chevauchement d'intérêts privés) justifie l'octroi d'une telle responsabilité. Aucune des deux catégories de dirigeants ne maîtrise les techniques de management. Le marketing, la gestion des ressources humaines ou la rationalisation des ressources financières équivalent à du «chinois». Le club est alors géré sans une vision claire de l'avenir et dans l'opacité. Un dysfonctionnement généralisé. Les questions budgétaires sont le seul point sur lequel porte leur attention. Difficile alors pour les sponsors de s'aventurer sur un tel terrain. Leurs investissements ne bénéficient pas de garanties. C'est au début des années 1980 que certains clubs de football ont commencé à se rapprocher de certaines entreprises. À l'époque, cette pratique était interdite car les associations sportives étaient considérées comme des entités amatrices. Mais en 1986, Kamal Lahlou, Président de New Publicity, qui, à la suite d'un voyage aux Etats-Unis, découvrit le sponsoring, décida de mettre en place une première passerelle entre le monde économique et celui du sport (voir article sur le sponsoring). Depuis lors également, le sponsoring sportif a perdu du terrain. Rares sont les entreprises qui accèdent à la demande des associations sportives. Des montants tenus secrets… Parmi les entreprises contactées par Challenge Hebdo, peu ont en effet accepté de divulguer les montants alloués aux clubs. Pourtant, ces clubs portent chaque semaine les sigles de ces entreprises. Pudeur naturelle sur les donations ou autre chose? Si les personnalités du monde des affaires sont peu enclines à investir aujourd'hui dans le sponsoring sportif, elles sont en revanche de plus en plus nombreuses à croire que le sport national devrait rompre avec le statu quo, et qu'il est nécessaire qu'une nouvelle équipe de managers prenne le relais. À en croire Najib Salmi, cela vient du fait que certaines entités sportives comme le Wac et le Raja ont pratiquement la taille de PME, parce qu'elles fonctionnent avec un budget annuel se situant entre 30 et 40 millions de DH. «De nombreux acteurs du monde économique ont débarqué ainsi dans les clubs, espérant changer les modes de gestion et mettre à contribution leur réseau dans le milieu des affaires», dit-il. C'est dire que les nouveaux dirigeants du FUS, bien introduits par ailleurs, trouveront sans difficulté des fonds pour le club rbati, dont le budget est estimé à seulement le tiers du budget des deux équipes phares de Casablanca. Rappelons qu'en moyenne, les budgets des clubs tunisiens et égyptiens sont respectivement de 55 et 90 millions de DH. Comment les personnalités du monde économique s'introduisent-elles dans les associations sportives ou les fédérations ? Pour plusieurs d'entre elles, ce sont les dirigeants eux-mêmes qui viennent les chercher, surtout à des moments critiques de faiblesse en termes de fonds ou de résultats. Après avoir soutenu le sport national sur le plan financier à travers le sponsoring de son groupe, Abdeslam Ahizoune (6) a fini par mettre directement la main à la pâte. Pressenti pour prendre les rênes de la Fédération Royale marocaine d'Athlétisme, le patron de Maroc Telecom n'a pas longtemps tergiversé. Depuis lors, il consacre une bonne partie de son temps à la restructuration de cette discipline, réussissant dans la foulée à réconcilier la légende marocaine de l'athlétisme, Saïd Aouita, avec son pays. Il y a deux semaines, Amine Belkhouya (7), patron de KIA, prenait à son tour la tête de la section de cyclisme du Wydad de Casablanca. Amoureux de la discipline, Belkhouya, qui serait en passe de constituer son équipe, serait d'un atout considérable pour le club casablancais. Non seulement KIA est l'un des rares groupes à encore miser sur le sponsoring, mais son patron, connu pour sa rigueur dans la gestion, pourrait en faire profiter le Wydad. Toujours est-il que c'est le football qui attire le plus les personnes ressources du milieu économique. Du côté de Tétouan, Abdelmalek Abroun (Président du MAT) et son fils Mohamed Achraf (vice-président), propriétaires de la marque Goldvision, sont quasiment «devenus» les propriétaires de l'équipe fanion de Tétouan. Leader sur les récepteurs numériques avec 80 % de parts de marché, le groupe familial, qui compte aussi des pôles immobilier et logistique (plus de 750 millions de DH de chiffre d'affaires), géré d'une main de fer par le fils, dirige le club comme une entreprise. Ce n'est pas un hasard s'il ambitionne d'en faire la première entreprise sportive du pays. Au Kawkab de Marrakech est apparu Benrami, un promoteur immobilier qui préside le club de la ville ocre. Le WAC n'est pas non plus en reste. Abdelhila Akram (8), propriétaire de l'agence de voyages Plein Ciel et de l'agence de location de voiture Soft Car, dirige la section football du Club. Des entrepreneurs de divers horizons Idem pour Hassan Derhem (9), propriétaire de plusieurs entreprises opérant dans les secteurs de la pêche, de l'immobilier, de l'agroalimentaire, du pétrole dans le Sud du pays, et Abderrzak Sebti, textilien, qui président respectivement la Jeunesse sportive de Massira et le Wydad de Fès. Le premier, même s'il n'est pas entièrement impliqué dans la gestion du Club, soutient l'équipe phare de Laâyoune, contrairement au deuxième, un jeune qui remue ciel et terre pour réaliser le retour de l'équipe chez les grands. À côté des managers portés à la tête des fédérations et associations sportives, d'autres essaiment dans les bureaux exécutifs ou les comités directeurs. C'est ainsi qu'on retrouve Driss Benhima (10), PDG de Royal Air Maroc, Othman Chérif Alami (11), président du groupe Atlas Voyages et Hassan Bernoussi (12), ex-directeur des investissements, au sein du WAC. Ce n'est pas un hasard si les dirigeants du WAC travaillent actuellement à un nouveau projet, dont l'objectif est la transformation de leur association sportive en société anonyme. Quoi qu'il en soit, aux yeux de nombreuses personnalités du monde des affaires, la tendance ne pourra être renversée qu'avec l'adoption d'un nouveau cadre juridique et de textes définissant le statut des dirigeants, de l'entraîneur et de celui des joueurs. Chacun saura de la sorte la mission dont il est investi. Il faut dire que moult personnalités du monde économique ont jeté l'éponge à cause de ce flou après avoir tenté d'apporter quelque chose. ◆