Arrivés au Maroc en mai dernier dans la discrétion pour investir 25 milliards de DH dans le nord du Royaume, les Russes du géant immobilier Inteco ont vu leur élan stoppé par l'arrêt de leur premier chantier dès les premiers coups de pioche. Depuis, les commentaires vont bon train. Que reproche-t-on à ces investisseurs qui pouvaient prétendre à ce qu'on leur déroule le tapis rouge à leur arrivée dans le pays ? Qui sont-ils ? Comment sont-ils arrivés au Maroc ? 25 milliards de DH, c'est comparativement un peu plus du budget du ministère marocain de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Formation des cadres. C'est ce pactole que le mastodonte immobilier russe Inteco compte investir dans l'immobilier et le tourisme au courant des huit prochaines années. Ce n'est pas tous les ans que le Maroc reçoit un investisseur d'un tel calibre. Pourtant, quelques jours après le premier coup de pioche donné à leur premier projet sur la côte méditerranéenne, dans la région de Ouad Laou, près de Tétouan, celui-ci a été arrêté net par les autorités locales. Depuis, les commentaires vont bon train et les responsables du Groupe immobilier russe ont depuis également pris leur bâton de pèlerin et frappé à toutes les portes pour redémarrer leur chantier. «Notre premier chantier a été arrêté quelques jours après son lancement en août dernier. Depuis, personne ne nous a donné officiellement les raisons. Nous ne sommes pas les seuls promoteurs pour qui les projets ont été bloqués», souligne Assad Bargaz, directeur général de la filiale marocaine d'Inteco. Comment Inteco est-il arrivé au Maroc ? Une arrivée sur les chapeaux de roue ! A en croire le management de la filiale marocaine, tout a commencé en 2004 quand la maison mère a chargé son bureau d'études spécialisé de se pencher sur les opportunités d'investissement en Afrique du Nord dans le secteur de l'immobilier et du tourisme. A l'instar de leur étude de marché, le management d'Inteco affirme que la stabilité politique du Maroc, ainsi que la réussite de la libéralisation économique, auxquelles s'ajoutent les énormes potentialités existantes, sont à l'origine de la conviction qui l'a poussé à opter pour le Royaume, qui était en forte concurrence avec la Tunisie sur la liste des prétendants. Piloté de main de maître par l'épouse du maire de Moscou, Elene Batourina, le groupe Inteco a depuis quelques années des ambitions internationales. Et ce ne sont pas les moyens qui lui font défaut. Rien que pour l'année dernière, il a dégagé un résultat net de plus d'un milliard de dollars. En termes d'actifs financiers, Inteco dispose de 3 milliards de dollars, sans compter la valeur de ses actifs en Bourse qui atteint les 12 milliards de dollars. Toujours est-il que c'est en mai 2007 qu'Inteco est arrivé au Maroc. A l'époque, la presse nationale, relayée également sur l'international, parle d'une filiale du géant mondial gazier russe Gazprom. Mais aucun responsable de la filiale marocaine ne confirme cette information, si ce n'est que leur structure est tout simplement une filiale d'Inteco. C'est sans tapage médiatique que le groupe russe a pris pied dans le Royaume, en créant dans la foulée une structure juridique marocaine, «Kudla Group». Dotée d'un capital de 155 millions de dirhams (13,5 millions d'euros), cette filiale, installée à Tétouan, est composée de quatre sociétés (Kudla investissement, Kudla nord…). Il est prévu que chacune gère un projet : Paradise Golf Resort, la marina d'Aouchtam, Meloussa… En effet, le groupe Kudla a cinq projets pour l'instant dans le pipe. Chez Kudla Group, pratiquement tout le staff du groupe est constitué de Marocains. Si la gestion de leur premier projet dans le Royaume (Golf Paradise Resort) a été confiée à la société Amana Management Group par les Russes, ces derniers ont en revanche donné les travaux à Mak Yol, une société turque familiale fondée en 1965, qui est devenue l'une des plus importantes dans la construction et d'autres secteurs, toujours étroitement liés au bâtiment. Ce groupe turc, dont le principal partenaire au Maroc est le groupe Benomar, a déjà réalisé plusieurs projets du genre dans le Royaume comme l'hôtel Mövenpick. Les moyens du déploiement Difficile d'avoir une idée nette sur le tour de table de la filiale marocaine d'Inteco. Selon Assad Bargaz, la filiale marocaine appartient à 100% à Inteco. Mais, pour une source proche de la représentation économique de Russie à Rabat, la maison-mère ne détient que 65% du capital du Groupe Kudla, le reste revenant à des investisseurs locaux. Quoi qu'il en soit, près de 1.500 hectares sont nécessaires pour accueillir ces projets déjà identifiés. «Nous avons déjà acquis auprès de privés une grande partie de ce foncier. Cependant, pour le reste, nous sommes en phase de négociation avec les propriétaires», précise le directeur général du Groupe Kudla. Ainsi, les Russes vont investir 5,6 milliards de dirhams pour ériger d'une part à Aouchtam, dans les montagnes du Rif, un projet résidentiel «Paradise Golf Resort» sur 48 hectares avec 22 villas, un parcours de golf de neuf trous, un hôtel et un centre commercial, et d'autre part une marina et des projet immobiliers sur 58 hectares, entre Tanger et Tétouan. En outre, le groupe russe a un autre projet sur la Méditerranée à Azla, près de Tétouan. Ce site de 1.200 ha comprendra une marina de luxe, des hôtels, un golf et des complexes résidentiels de très haut standing. L'investissement est de l'ordre de 5 milliards de dirhams. C'est avec le «Paradise Golf Resort», dont l'investissement prévu s'élève à 3 milliards de dirhams, que le groupe Kudla a été arrêté dans son élan. À en croire une source proche de l'Agence urbaine de Tétouan, le projet du groupe Kudla est situé dans une zone non ouverte à l'urbanisation. «Non seulement, ils n'ont pas réalisé d'étude d'impact mais leur chantier se trouve dans une zone sensible et fragile, à savoir le littoral», affirme-t-on. Mais du coté des Russes, on affirme avoir bien déposé une demande de dérogation qui a été ensuite rejetée. Des rectifications ont été apportées, notamment au niveau du coefficient d'occupation du sol, de la hauteur des étages, ce qui avait abouti à un accord de principe qui a servi à instruire le dossier d'autorisation de construire accordée par la commune le 15 juin 2008. Toutefois, une autre source proche du CRI de la région explique la décision de la commission locale qui a statué par l'inexistence des autorisations de construire, en principe délivrées par les autorités locales, ainsi que par de nombreuses plaintes portées par les riverains du projet, accusant le groupe Kudla d'expropriation foncière illégale. «Notre grand problème est que depuis lors, nous n'avons pas reçu de justifications officielles concernant l'arrêt de notre chantier», lance Assad Bargaz. Ne voyant rien venir, les responsables de la filiale marocaine ont publié dans plusieurs organes de presse un communiqué générique louant l'excellence des relations entre le Maroc et la Russie et mettant en exergue leur important investissement. Peut-être une façon de rassurer les autorités locales et d'éviter de compromettre le reste des projets de la filiale d'Inteco au Maroc, d'autant plus que les idées reçues ça et là auraient tendance à associer les investissements russes à des activités illégales. Les Russes chez Boussaïd Il reste à savoir pourquoi le groupe Inteco n'a pas jugé nécessaire de signer une convention d'investissement avec l'Etat marocain, qui non seulement lui garantirait des avantages (foncier, importation de matériel exonéré, accompagnement des autorités tant au niveau central que local…). A en croire le management du groupe, leur intention était d'abord de montrer leur capacité sur le terrain avant de songer à un tel exercice. Après avoir mis à contribution le nouvel ambassadeur russe à Rabat (voir encadré) et saisi plusieurs ministères, les responsables du groupe Kudla tentent aujourd'hui de prendre le chemin prisé des grands investisseurs étrangers au Maroc. Ce mardi 14 octobre 2008, ils ont été reçus pour la première fois au ministère du Tourisme. A Mohamed Boussaïd et certains de ses collaborateurs, ils ont présenté leur plan d'investissement touristique avant d'introduire une demande pour la signature d'une convention avec le gouvernement marocain. «C'est notre premier contact avec ce groupe. De toute façon, c'est un groupe connu», estime ce Haut responsable du ministère du Tourisme. Depuis cette rencontre, les Russes, jusque-là cantonnés dans le Nord du Royaume, lorgnent avec beaucoup d'intérêt Dakhla. Rappelons que les projets touristiques que compte développer le groupe Kudla ciblent les touristes haut de gamme qui sillonnent la Méditerranée en yacht. Pour le volet immobilier, les fortunes russes sont visées. En effet, après avoir profité de la chute de l'URSS pour faire fortune grâce aux matières premières, les milliardaires russes ont tendance à s'installer discrètement dans des pays réputés calmes et stables. ◆