Le Qatar est un pays qui a commencé à s'intéresser de plus en plus au Maroc. Un méga projet a été initié dans la région du Nord par Qatari Diar. D'autres gros investissements pourront-ils suivre? Laïla Sbiti, adjointe au directeur des Investissements, fait le point sur les échanges entre les deux pays. Challenge Hebdo : le Qatar est-il un grand investisseur au Maroc? Laïla Sbiti : les investissements en provenance du Qatar sont relativement faibles. En effet, durant ces dernières années, ce ne sont que quelques personnes physiques qataries qui ont choisi d'investir au Maroc dans le secteur de l'immobilier. On constate également que les investissements en provenance du Qatar ne dépassent pas les 500 millions de DH pour la période 2000-2007. Cependant, Qatari Diar, bras armé en matière immobilière du Fonds souverain de l'Emirat du Qatar, a projeté d'investir plus de 3 milliards de DH au nord du Maroc dans un complexe résidentiel et touristique. Ce projet a fait l'objet d'une convention d'investissement avec l'Etat marocain en date du 7/12/2006. Pour plus de détails, les fonds souverains ou Sovereign Wealth Funds (SWF) du Golfe disposent aujourd'hui de plus de 1.400 milliards de dollars. À la tête d'un patrimoine estimé à 900 milliards de dollars, l'Abou Dhabi Investment Authority (ADIA), est l'un des fonds souverains les plus puissants au monde. Le Qatar, lui, est l'un des plus grands exportateurs mondiaux du Gaz Naturel Liquéfié (GNL). Pour pallier la dépendance des hydrocarbures, il a institué son fonds souverain, le Qatar Investment Authority ou QIA en 2003, sous la présidence de l'actuel Premier ministre. Les réserves de ce fonds sont estimées, à fin juin 2008, à plus de 50 milliards de dollars. Avant le 11 septembre, les principaux placements des fonds du Golfe s'effectuaient dans les bons du trésor américains, très rémunérateurs. Actuellement, pour recycler ses « pétrodollars », QIA vise des acquisitions immobilières et financières à haut rendement en achetant des actions de sociétés cotées en Bourse en Europe (principalement au Royaume-Uni et en France), en Asie et dans certains pays émergents (Brésil, Inde, Chine notamment). Pour le reste des placements, dont le Maroc, la «part du gâteau» s'en trouve extrêmement réduite. Jugez-en vous-même. Pour la seule année 2008, le QIA n'a procédé qu'à des acquisitions en Europe : - Acquisition de 30,4% de la prestigieuse société touristique monégasque « Bains de Mer de Monaco (SBM) » pour 627,9 millions de dollars. - Acquisition de 25 % dans Sainsbury, troisième chaîne de supermarchés britannique pour 10,5 milliards de livres sterling. - Participation à hauteur de 8% dans la banque britannique Barclay's acquise pour près de 4,6 milliards d'euros. Alors que pour 2007, QIA détenait déjà des portefeuilles également européens : - 24% de la bourse de Londres, la London Stock Exchange et 9,98% de OMX, bourse suédoise. - Près de 2% du Crédit Suisse pour 500 millions de dollars : - 6,09% dans Lagardère France. Dernier exemple en date, le Qatar est actuellement en négociation exclusive pour finaliser l'acquisition du groupe d'ingénierie électrique encore européen, le français Cegelec. Il aurait été préféré à Vinci, à Eiffage et à Pamplona, un fonds russe. Qatari Diar aurait proposé entre 1,7 et 1,8 milliard d'euros à LBO France, qui a acheté Cegelec en mars 2006 pour 1,1 milliard d'euros. Enfin, le fonds souverain du Qatar s'intéresserait toujours à l'Europe et viserait la Royal Bank of Scotland. Il se dit disposé à investir de 10 à 15 milliards de dollars dans le secteur bancaire. QIA reste donc à l'affût d'opportunités sur le marché européen et souhaite consacrer 20 % de son portefeuille à des actifs libellés en euros. En dehors de l'Europe, QIA investit principalement dans les secteurs de l'immobilier et dans le tourisme. Dernièrement, QIA aurait décidé, selon Bloomberg, de convertir 40% de son portefeuille dédié à l'immobilier pour des projets en …Asie. Quelque peu présent à Oman, en Egypte et en Libye (investissement prévisionnel de 2 milliards de dollars), on ne peut pas dire que le Qatar s'intéresse vraiment aux pays arabes et encore moins au Maroc. Pour le seul investissement « d'envergure », celui de Qatari Diar prévu à Tanger, on est encore très loin du compte… C. H. : comparativement aux autres pays du Golfe, quelles sont les spécificités des Qataris en termes d'investissement ? L. S. : comparativement aux autres pays du Golfe, les investissements de ces pays proviennent essentiellement de fonds souverains ou Sovereign Wealth Funds (SWF). Les fonds souverains du Golfe disposent aujourd'hui d'une réserve estimée à plus de 1.400 milliards de dollars. Le fonds souverain de l'Emirat d'Abou Dhabi, Abu Dhabi Investment Authority (ADIA), est de loin le fonds le plus important avec une part estimée à près de 900 milliards de dollars. Il est suivi par celui de l'Arabie Saoudite avec près de 350 milliards de dollars de fonds d'investissement, puis celui du Koweït avec plus de 250 milliards de dollars. Le Fonds souverain du Qatar, le QIA, ne dispose « que « de 50 milliards de dollars. Après avoir longtemps investi en bons du trésor étrangers, notamment nord-américains, les fonds souverains ont récemment changé leur politique de gestion… Jusqu'alors très conservateurs, ils ont évolué vers des stratégies plus agressives, s'intéressant aux entreprises cotées de la finance et de l'immobilier des grands pays occidentaux. Et ce n'est pas le QIA qui va déroger à la règle. Toutefois, l'appétit des fonds souverains pour la zone euro risque néanmoins d'être mise à rude épreuve. Outre la faiblesse du dollar, ils risquent d'avoir à composer avec des législations de plus en plus sourcilleuses, comme c'est le cas avec ce qui se prépare en Allemagne. C'est à ce niveau que nous devons déployer plus d'efforts pour encourager ces fonds à venir chez nous plutôt que d'aller plus à l'Est, vers les pays d'Europe centrale et orientale. C. H. : les relations avec les Qataris pourraient-elles, à votre avis, être affectées du fait de certains incidents : retrait de l'autorisation d'émettre d'Al Jazeera, interdiction de construire le siège de l'ambassade sur la route des Zaërs ? L. S. : je ne pense pas que de telles mesures puissent affecter l'attraction des investissements qataris chez nous. Vous savez, les mouvements de capitaux, quelles que soient leur nature, se dirigent naturellement vers des zones à fort potentiel de profitabilité. Et ce n'est pas une petite turbulence qui va empêcher un flux de capitaux d'atterrir dans notre pays. Désormais, c'est à nous de faire plus d'efforts pour promouvoir les opportunités dont recèle le Royaume pour attirer davantage ces investisseurs chez nous.