Depuis des années, le modèle économique de Glovo était pointé du doigt. En Espagne, les autorités ont revu le statut de ces pilotes du risque. Cette décision ouvrira-t-elle le chapitre de la régularisation des coursiers au Maroc ? Depuis quelques années, l'apparition des plateformes de livraison a totalement bouleversé le métier de coursier. Les livreurs à domicile, à vélo ou en scooter, et munis d'une glacière isotherme aux couleurs des start-ups de la « FoodTech », ne passent guère aujourd'hui inaperçus. Et derrière ces différents soldats exerçant sous le couvert du statut d'auto-entrepreneur se trouvent de grands opérateurs étrangers. Et il faut dire que l'émergence de ce nouveau modèle de collaboration, baptisée « économie du "gig" », a inventé un tout nouveau business : l'ubérisation. Lire aussi | Oscar Pierre, Président de Glovo : «Le Maroc nous a accueillis les bras ouverts et ces six ans ont été remarquables» Ce nouvel entrant a ainsi permis l'utilisation de services permettant aux professionnels ainsi qu'aux particuliers de se mettre en relation directe et instantanée à l'aide de plateformes conjuguant données pertinentes et algorithmes performants. Et depuis quelques années, ces petites silhouettes jaunes, arborant les grandes voies des grandes villes, luttent pour le changement de leur statut. Au terme d'un long bras de fer avec les autorités, la plateforme de livraison à domicile Glovo a annoncé ce lundi changer de modèle économique en Espagne, où ses coursiers, qui exerçaient jusque-là comme travailleurs indépendants, disposeront désormais de contrats de travail. Ce changement de modèle met un terme à l'« incertitude juridique » décriée depuis des années par les associations de coursiers. Fondé à Barcelone en 2014, Glovo est aujourd'hui présent dans 25 pays, dont le Maroc. Du côté du Maroc, le phénomène de l'ubérisation demeure également en vogue. Les couleurs jaune vif défilent à chaque instant sur les différentes routes de Casablanca. Depuis son arrivée dans les artères de la capitale économique, en juin 2018, Glovo, la plateforme catalane, a envahi le marché de la livraison au Maroc avec un large réseau de villes allant de Tanger à Agadir, en passant par Rabat, Mohammedia, Casablanca, Fès et Marrakech. Le groupe espagnol compte plus de 50.000 utilisateurs dans le pays avec un total de plus de 1.800 coursiers. Le prix de notre confort... Bien vrai que cette nouvelle forme de collaboration dispose d'arguments pertinents, en l'occurrence celui de la création d'emploi et le fait de faciliter en quelque sorte la vie du client (confort), cependant celle des livreurs paraît moins reluisante. Aujourd'hui, même si les acteurs du secteur essayent d'aller vers l'amélioration du statut de ces oubliés du système, le sombre nuage de la précarité salariale demeure toujours suspendu au-dessus d'eux. Selon plusieurs coursiers avec qui nous avons pu discuter, la rémunération est calculée sur la productivité. Par conséquent, les coursiers les plus actifs gagnent le plus. Et dans cette course effrénée (du chiffre), ces derniers peuvent excéder les 8 heures de temps de travail, sans oublier les risques d'accident. Lire aussi | Les locaux de Glovo au Maroc inspectés suite à une enquête du Conseil de la concurrence « Je n'arrive pas à finir mes mois. Nous n'avons pas le choix », raconte Soufiane, un jeune livreur. Son collègue Abdallah, quant à lui, apporte plus de détails. « Tu peux venir toute la journée et ne pas faire de course. Et pas de course, pas d'argent. » Et de poursuivre : « Je travaille avec mes propres moyens. Chaque livreur doit avoir son vélo ou sa moto, son smartphone, payer les frais de carburant et réparer sa moto en cas d'accident. » Côté rémunération, les pourboires pèsent beaucoup dans la balance. Pour certains, c'est très motivant car ça leur permet de joindre les deux bouts », explique un coursier. Au niveau de leur salaire moyen mensuel, ils restent cependant insatisfaits... En attendant, faut croire que ces derniers pourront dans l'avenir se constituer en syndicat comme c'est le cas en Europe pour défendre leurs droits. Aujourd'hui, au Maroc, à la lumière des récentes actualités du côté de l'Espagne, il est clair que le contexte marocain des livreurs risque de se régulariser. Pour une de nos sources juristes « cela pourrait fortement conduire à un changement de réglementation ». Aujourd'hui, les capuchons jaunes du Maroc sont livrés à eux-mêmes. Nous avons pu constater qu'aucune association ne représente ces derniers face au vide juridique dans lequel ils baignent. Ni assurance, ni rien, ces derniers ne peuvent que porter leur croix pour le moment dans ce secteur en croissance. Même si Jumia Food, le concurrent direct de Glovo, a plié bagage, le secteur demeure pour autant très concurrentiel. Livry, Kaalix, Kooul, Delivery, Uber Eats, Yassir… Ils poussent comme des petits champignons. Plusieurs acteurs (Petit Coursier, CallCoursier, Le Coursier, MagiCourses, Le Remplaçant, MyColis) ont choisi de recentrer leurs activités sur un nombre de spécialités moins concurrencées (B2B administratif), au détriment d'autres segments largement dominés par des opérateurs étrangers plus conquérants, en l'occurrence Glovo. Contacté par Challenge, l'avocat d'affaires Saad Mernissi nous explique qu'au Maroc, pour changer la situation de ces coursiers, il faut une requalification opérée par un juge. « Sur le papier, leur statut est dit indépendant, mais quand on voit de plus près l'exécution, on peut se rendre compte qu'on est dans un schéma de travail où il y a une véritable dépendance économique », explique l'expert. Et de poursuivre : « L'esprit du droit du travail marocain est protecteur du salarié et je pense qu'on est très proche de ce qui s'est produit en Espagne récemment. » Selon l'expert, si les coursiers veulent changer ce statut, ils n'ont qu'à se constituer en association et demander, au travers de leur avocat, une requalification auprès d'un juge.