Exerçant une forte influence sur le marché mondial du cacao, la Côte d'Ivoire et le Ghana se préparent à affronter une concurrence inattendue : celle de l'empire du Milieu ! Cette démarche suscite des interrogations quant aux relations sino-africaines, alors que certaines voix s'élèvent. « Rappelons-nous de l'affaire Mondelez, la société mère de Cadbury Australia, qui avait annoncé en 2013 un énorme investissement de plusieurs millions de dollars dans des essais de culture de cacaoyers », se souvient Samuel Mathey, économiste africain. Pour lui, cela a créé un précédent. Aujourd'hui, c'est au tour de la Chine de se lancer dans la production de cacao, avec des projets expérimentaux ayant déjà permis l'exportation de fèves vers la Belgique. Lire aussi | En Chine, Xiaomi met un coup d'accélérateur dans le monde de la voiture électrique En détail, cette initiative, qui perturbe l'écosystème de la culture du cacao, est dirigée par l'Académie des sciences agricoles tropicales de Chine (CATAS), située dans la province du Hainan. Avec près de 3300 chercheurs répartis sur trois campus, elle dispose de 4000 hectares de terres pour ses essais de culture sur toutes les plantes tropicales. L'étendue des recherches est particulièrement vaste et semble couvrir l'ensemble de ces plantes. « Le cacao est une matière première pour la fabrication du chocolat. Avec la demande croissante de chocolat, Hainan a élargi sa zone de plantation de cacao et a réalisé des avancées dans le développement technologique », a déclaré Hao Zhaoyun, chercheur à l'Académie, cité sur le site du CATAS. Et d'ajouter : « La Belgique étant surnommée 'le royaume du chocolat', les exportations vers le pays indiquent que nos normes de production de cacao ont été reconnues par la communauté internationale ». Lire aussi | Chine : un autre regard sur «l'éléphant qui entre dans la pièce» [Par Eric Besson] Aujourd'hui, il est indéniable que le partenaire africain a compris qu'il pouvait tirer parti de la fragilité du modèle africain en produisant suffisamment de fèves pour les vendre à l'Europe, afin de réduire son déficit commercial dû à l'importation de chocolat. Il envisage également de développer ses propres industries pour fabriquer des barres de chocolat et d'autres produits dérivés destinés à son marché intérieur (1,4 milliard de Chinois). Cependant, alors que la concurrence émerge, il convient de noter que les acteurs du secteur en Afrique font face à des contraintes internes. Selon les données du portail du chocolat, l'Afrique subsaharienne fournit actuellement 86 % de la production mondiale de fèves de cacao, les 14 % restants provenant du Brésil (12 %) et de Trinité-et-Tobago (2 %), mais elle ne touche que 5,35 % des revenus générés par l'ensemble de l'industrie (de la fève brute aux tablettes de chocolat). Cette faible marge de revenus s'explique par le fait que l'Afrique consomme elle-même peu de ses produits dérivés (avec seulement 1 % de la consommation mondiale). De plus, contrairement aux pays européens, elle n'a pas encore la capacité technique de mettre en place des modèles intégrés pour transformer la matière première en produits finis et gérer la chaîne d'approvisionnement. Depuis les indépendances, le continent est confronté à un véritable manque d'initiative dans le secteur agricole, ce qui constitue un véritable handicap en termes de compétitivité. Une industrie en sommeil « Depuis plus de 60 ans, ces pays n'ont pas encore réussi à déployer une chaîne de transformation du cacaoyer. C'est un véritable manque de volonté politique », déplore l'économiste de la FAFEDE. Et de poursuivre : « La Chine a 100 longueurs d'avance sur la Côte d'Ivoire et le Ghana. Elle dispose d'une véritable chaîne de transformation et d'un écosystème technologique développé ». Il convient également de noter que, outre le manque de processus de transformation, ces pays ont du mal à vendre leurs matières premières à des prix compétitifs. Lire aussi | Chine : un autre regard sur «l'éléphant qui entre dans la pièce» [Par Eric Besson] L'arrivée de la Chine sur ce marché pourrait réduire les prix de vente, puisque l'offre serait désormais plus variée. Cependant, même si certains experts décident de minimiser la présence chinoise dans le secteur du cacao en avançant l'argument selon lequel elle dispose d'une superficie de terres tropicales limitée (favorable à la culture du cacao), d'autres restent prudents. C'est le cas du Dr Samuel Mathey, qui craint un effet de mode. « Le monde est dynamique, et les intérêts des pays évoluent. Certains pays pourraient suivre l'exemple de la Chine, ce qui pourrait compliquer les choses pour nos acteurs africains ». Selon notre interlocuteur, « les Etats n'ont pas d'amis, mais des intérêts. Les Africains doivent rester stratégiques pour défendre leurs intérêts ». « Aujourd'hui, avec l'émergence du projet de la Zlecaf, des pays comme la Côte d'Ivoire pourraient développer des corridors de coopération avantageux dans le domaine industriel ». Rappelons que dans l'une de ses notes, le Dr Papa Demba Thiam, spécialiste du développement régional et expert en développement industriel, basé sur la chaîne de valeur, expliquait que « le Maroc est qualifié de locomotive pouvant créer une véritable émergence harmonieuse sur le continent ». Il y exposait « des éléments de stratégie qui pourraient aider à transformer le Maroc, potentiel corridor industriel, en plusieurs centres de croissance multipolaires diffusant des opportunités d'investissements intégrés et complémentaires entre l'Afrique et le reste du monde ».