L'industrialisation d'un véhicule conçu exclusivement par un constructeur automobile marocain suit son cours. Quels sont les points forts dont dispose ce projet et quels sont les écueils à éviter de façon à assurer sa pérennité ? Khalid Qalam, Expert et Consultant Senior indépendant dans le secteur de l'Automobile et de la Mobilité, nous apporte à travers cet entretien son éclairage quant à la faisabilité et la viabilité d'un tel projet industriel en terre marocaine. Challenge : Que vous inspire l'industrialisation future d'un véhicule de tourisme marocain sur notre marché ? Khalid Qalam : Sur la base des seules informations qui ont été communiquées à ce jour, il est difficile de se prononcer définitivement sans avoir plus de détail sur le projet (segment, catégorie, design, prix du véhicule, etc.). Excepté les marques « Premium», l'industrie automobile et la rentabilité d'un modèle sont principalement basées sur des volumes élevés. Nous sommes visiblement sur un véhicule de niche commercialisé principalement au Maroc dans un marché relativement faible,soit 175 K véhicules commercialisés/an et très concurrentiel. A première vue, il s'agit d'un pari osé. Dans le domaine de l'industrie automobile, le Maroc ne part pas de rien. Lire aussi | Mercedes-Benz GLC : Version bonifiée Challenge : Selon vous, quels sont ses atouts pour un tel projet et quid des points faibles ? Kh.Q. : Le Maroc a effectivement connu un développement du secteur automobile impressionnant ces 10 dernières années, avec l'installation de deux constructeurs automobiles et le développement d'un panel d'équipementiers très important. Ce constructeur local pourra en conséquence s'appuyer sur une base de fournisseurs élevés et diversifiés, qui lui permettra de se fournir pour un nombre important de composants de son futur véhicule. Concernant les compétences, elles existent mais elles sont principalement présentes chez les deux constructeurs locaux Renault et Stellantis. La principale difficulté que rencontrera ce projet est relative au peu d'intérêt que génère un véhicule de faible volume chez les équipementiers, principalement les «Global Players». Lire aussi | Voitures neuves au Maroc. Les ventes ont chuté de 8% en 2022 [Vidéo] Ceci implique généralement des coûts de développement, de composants et d'investissements spécifiques très élevés, sauf s'il s'agit d'un véhicule CKD se basant sur des composants existants. En conséquence, le prix du véhicule pourrait-être impacté avec les risques liés à une faible (voire une non) rentabilité du projet. En sus, les objectifs de vente à 20K véhicules par an semblent optimistes, compte tenu de la taille du marché de vente de véhicule neuf au Maroc. Ceci équivaudrait à peu près à 12% de parts de marché, ce qui correspond à la taille de parts de marché de constructeurs généralistes (Ford, Nissan, Citroën, Peugeot) ayant un portefeuille de modèles larges avec des prix compétitifs, vu qu'ils ont des modèles fabriqués dans des volumes beaucoup plus importants. Lire aussi | Cupra, le nouveau fer de lance du portefeuille de marques de CAC Challenge : Sur quels leviers faut-il capitaliser pour pérenniser ce projet ? Kh.Q. : L'industrie automobile est une industrie de volume et très «capital intensive». Pour pérenniser le projet d'un constructeur local, il faudra probablement augmenter sensiblement la taille des volumes, via le développement d'autres modèles, et se tourner à l'export vu que le marché local est relativement faible, principalement vers l'Afrique, sachant le marché Européen très concurrentiel. Ceci nécessiterait des capitaux très importants. Aucun constructeur ne survit avec des faibles volumes de vente, excepté les marques de luxes. Regardez Tesla qui n'est pourtant pas le premier venu, il a dû attendre plusieurs années et écouler plusieurs centaines de milliers de véhicules annuellement et un prix moyen/véhicule supérieur à 50.000 US$ avant de générer ses premiers (faibles) bénéfices. Lire aussi | Nouveauté Audi A8. Du prestige et surtout du confort Challenge : Certains pays africains produisent déjà leur véhicule national. Quelles leçons tirer à ce jour de leur incursion industrielle dans le secteur automobile ? Kh.Q. : Ce sont des projets en CKD fabriqués dans des pays où il n'y a peu, voire pas de distribution de marques automobiles telle que nous le connaissons au Maroc. Le développement de micro-projet automobile au niveau de certains pays africains n'est pas viable au Maroc. Le Maroc est un pays où toutes les marques sont importées et distribuées, sans parler des nombreux modèles qui sont construits localement par les deux constructeurs (Stellantis et Renault). En ce sens, le Maroc est un pays où la concurrence bat son plein. Le Marocain est un amoureux de la « voiture », il suffit de jeter un coup d'œil sur le renouvellement du parc automobile ces dernières années. Il n'achètera un véhicule « Made by Morocco brand » que s'il est compétitif, fiable, et meilleur que ceux développés et fabriqués par les nombreux constructeurs actuellement présents au Maroc (via leurs modèles fabriqués localement ou de leurs distributeurs pour ceux fabriqués hors du Maroc).