Malgré l'émoi suscité par les rappels massifs successifs de jouets nocifs fabriqués en Chine, le marché marocain des jouets poursuit son bonhomme de chemin. Pourtant, plus d'un jouet sur deux vient de Chine. Pourquoi autant de bruit pour des jouets que chacun est libre d'acheter ou pas? ». Au milieu de ses poupées, voitures, peluches, consoles de jeux (et la liste est longue), Hamid, commerçant au marché de Derb Omar fait fi de l'affaire Mattel, qui a vu ce géant mondial de fabrication de jouets, connu notamment pour ses marques Barbie et Fisher/Price, battre le rappel de 20 millions de jouets au plan mondial, fabriqués en Chine, au motif que ceux-ci présentaient des risques sanitaires pour les gamins. Une tournée auprès de certains commerçants et grossistes a permis de constater que cette affaire est passée inaperçue au Maroc mais aussi de réaliser l'étendue de la part des jouets fabriqués en Chine. Certains marchands interrogés n'ont pas eu vent de l'affaire. «Les gens s'en fichent pas mal de la qualité. Ce sont les prix qui tranchent », indique Mohamed, vendeur de jouets dans le célèbre quartier commerçant casablancais de Derb Omar. Selon les chiffres de l'Office des Changes, un jouet sur deux vient de Chine. Si on ajoute la part des voisins de l'Empire du Milieu (Taïwan, Thaïlande…), ce sont 62 % du marché marocain du jouet qui sont détenus par les producteurs asiatiques. Les produits « made in China » parviennent même à se trouver une place sur les étalages de quelques franchises européennes. « Nous allons bientôt recevoir un arrivage de produits asiatiques, dont le prix ne dépasse pas les 150 DH », affirme le vendeur d'une franchise française spécialisée dans le jouet à Casablanca. «C'est ce type de produits et cette gamme de prix qui marchent pendant les fêtes», ajoute-t-il en montrant une rangée de jouets au fin fond du magasin : des pistolets et des masques d'animaux pour les garçons, des ustensiles de cuisine en miniature pour les petites filles. Rappelons que les deux tiers des jouets présents sur le marché européen proviennent de Chine. Le coût, un facteur déterminant Toujours est-il qu'au Maroc, le coût est un facteur déterminant dans l'achat de jouets pour la majeure partie des clients. Dès qu'un article dépasse 40 DH, les parents hésitent, indique un vendeur de Derb Omar. Mais la production chinoise résout ce problème. La majeure partie des jouets et gadgets coûte entre 20 et 30 DH. «Une aubaine pour les parents», lance un détaillant. «Seulement pour ceux qui ne sont pas très regardants sur la qualité des articles et les dangers qu'ils peuvent représenter pour les petits», nuance la responsable d'une franchise de jouets qui a pignon sur rue. Quoi qu'il en soit, depuis l'émoi créé par l'affaire Mattel aux Etats-Unis, au Canada et dans les pays de l'Union européenne, les pouvoirs publics de ces pays ont renforcé leurs moyens de contrôle pour bloquer l'importation de produits dangereux. Mais qu'en est-il au Maroc ? Des enseignes commercialisant des produits Mattel se sont refusées à tout commentaire. Au Maroc, les jouets font partie des produits pour lesquels une attestation de contrôle de conformité aux normes obligatoires est exigée, selon une circulaire du ministère du Commerce et de l'Industrie. Du côté de la Direction de la Normalisation et de la Promotion de la Qualité relevant du ministère de l'Industrie et du Commerce, les mesures de contrôle ont été renforcées depuis l'éclatement de l'affaire Mattel. «Nous avons adressé une correspondance à tous nos laboratoires pour leur demander d'être plus vigilants», souligne Abdellah Nejjar, directeur de la Normalisation et de la Promotion de la Qualité. En dépit de ce contrôle normatif imposé aux importations, tous les jouets ne passent pas forcément par ce circuit à cause du phénomène de la contrebande. Abdellah Nejjar persiste à dire que les enfants n'encourent aucun danger car les jouets sont vérifiés suivant plusieurs critères dont la toxicité, la dangerosité des mouvements les composant et leur résistance à l'arrachement. «En ce qui concerne les jouets, nous avons une norme marocaine qui est internationale et pour chaque opération d'importation, nous prélevons un échantillon que nous faisons analyser dans des laboratoires spécialisés. Jusque-là, aucun cas particulier n'a été signalé», précise Abdellah Nejjar. En effet, l'importation de jouets est soumise à certaines règles. Pour chaque opération, l'importateur doit se rapprocher de ce service technique du ministère de l'Industrie et du Commerce. Ainsi, l'enlèvement des jouets ne se fait qu'après trois étapes : le contrôle documentaire, la vérification physique et, au besoin, le prélèvement d'un échantillon pour analyse. «Vu le caractère aléatoire des échantillons que nous prélevons, nous nous réservons le droit de re-contrôler les jouets qui font l'objet d'une plainte. Si cela se produit, des poursuites judiciaires sont enclenchées», explique M. Nejjar. Clients directs et indirects L'importation de jouets a connu, ces dernières années, une nette progression au Maroc. La vente semble attirer de plus en plus de commerçants avec leurs magasins attractifs. Selon l'observatoire de la franchise, le marché marocain des jeux et jouets (quasi exclusivement d'importation) est estimé à environ 800 millions de DH par an. Rappelons que les droits d'importation de jouets, par kilo de jouets, qu'il s'agisse de poupées, peluches ou de trains électriques s'élèvent à 10 DH. «Le développement que connaissent actuellement les enseignes de jeux et jouets au Maroc répond à une forte demande de la part des adultes et des enfants. En effet, les adultes sont à la fois clients indirects pour les jouets qu'ils achètent à leurs enfants, petits-enfants, etc, et clients directs pour tous les jeux de société, jeux de carte qu'ils achètent pour eux-mêmes», explique Khadija Mekouar, directrice de l'observatoire de la franchise. Ce qui fera dire, sur un ton ironique, à l'un des vendeurs rencontrés : «pas étonnant de voir un importateur de pommes de terre se lancer du jour au lendemain dans le jouet, notamment avec la demande qui augmente chaque jour, grâce aux prix qui sont à la portée de toutes les bourses». Jusqu'à très récemment, le marché marocain du jouet était caractérisé par une nette domination des détaillants spécialisés, qui s'orientent naturellement vers les pays d'importation les moins chers. D'où la prédominance des produits chinois. Aujourd'hui, le secteur des jeux et jouets est partagé en trois circuits de distribution. En supériorité numérique, les détaillants spécialisés n'ont pas de stratégie prédéfinie. Certains d'entre eux s'approvisionnent localement, d'autres importent les jouets d'Asie et d'ailleurs, d'autres enfin se fournissent tantôt au Maroc, tantôt à l'étranger. Les grandes surfaces généralistes (hypermarchés et supermarchés) dont le nombre augmente d'année en année, se sont lancées dans la bataille, non sans résultat. Elles prennent de plus en plus de parts de marché dans les ventes de jeux et jouets. Ces grandes surfaces importent directement d'Asie les produits bon marché et s'approvisionnent chez les importateurs locaux. À côté de ces deux circuits de distribution, opèrent les grandes surfaces spécialisées (Maxi Toys, La Grande Récré, Joupi, Joué Club etc.). Ces franchises spécialisées s'approvisionnent directement auprès des maisons-mères en Europe, essentiellement en France, en Espagne et en Italie, qui sous-traitent en Chine. En raison de prix plus élevés, ce marché reste assez restreint, mais parvient toutefois à grignoter le tiers des importations. Selon Khadija Mekouar, leur stratégie repose sur le développement d'un réseau à travers tout le Maroc, un large assortiment de produits et des prix compétitifs. Pour atteindre ce dernier objectif, ces nouveaux venus tirent parti des facilités d'approvisionnement dues à leur appartenance à de grands groupes (qui bénéficient souvent de centrales d'achat qui leur permettent d'avoir des prix variant entre 20 DH et 2.000 DH). Ces facilités font défaut aux distributeurs locaux. «L'attrait du Maroc pour les enseignes de jouet repose sur la jeunesse de la population, la part de plus en plus importante des loisirs dans la consommation des ménages et la tendance des parents à gâter toujours plus les enfants, sans compter la sensibilité de ces derniers aux influences des médias marocains et surtout étrangers», dit-elle.