De gros conteneurs arrivent de Dubaï, avec des produits couplés à la contrefaçon. Un parfumeur peut, à son insu, acheter (et vendre) ce genre de produits. Les importateurs exclusifs des marques de cosmétique de luxe sont excédés par le phénomène de la contrebande, qui est parfois couplé à la contrefaçon. La moitié du chiffre d'affaires global du marché, estimé entre 800 millions et 1 milliard, serait réalisée par le secteur informel. C'est énorme. L'Etat est perdant parce que les contrebandiers ne paient ni Impôt sur les Sociétés (IS), ni TVA. Ils ramènent les marchandises de Sebta, Melilia et Gibraltar. Elles pénètrent le marché national via plusieurs canaux, à dos de mulet, par avion, voiture... Ces produits ne sont soumis à aucun droit de douane (le démantèlement douanier avec l'Europe les a ramenés de 30% à 0). Et lorsqu'ils arrivent chez les « parfumeurs », aucune TVA de 20% ne leur est appliquée puisqu'ils sont achetés et vendus au noir. Ce sont ces 20% (parfois un peu plus) qui constituent l'écart avec les produits vendus de manière formelle. Et de fait, beaucoup de clients, très sensibles au facteur prix, préfèrent les acheter. Les importateurs officiels perdent aussi du chiffre d'affaires (leur part de marché stagne alors) et le consommateur peut risquer sa santé (produits allergiques...). Cette contrebande, principalement des parfums, des crèmes de beauté et de maquillage, n'est pas un fléau nouveau, mais elle a considérablement augmenté depuis quelques années, et encore davantage en 2012. Les raisons ? « Nous constatons la multiplication des importations, par conteneurs, des produits cosmétiques provenant de Dubaï. Les importateurs, généralement des grossistes, achètent les produits hors taxe en très grande quantité et les proposent à des prix compétitifs. Ce sont souvent des produits, je dirais à 70%, couplés à la contrefaçon. Cela peut se faire à l'insu des parfumeurs qui achètent la marchandise », explique Nadir Benjelloun, directeur général de Cosmetica, importateur des marques comme Chanel et Paco Rabanne. Mais ce n'est pas tout. Pour les distributeurs de la place, la crise en Europe, et principalement en Espagne, a aussi accentué le phénomène. « Certains grossistes là-bas bradent leurs prix, font du dumping, dans le but de réaliser leurs objectifs commerciaux », avance Benjelloun. Des représentants officiels de grandes marques dans la péninsule ibérique s'y seraient mis aussi. Certains ont contacté des distributeurs exclusifs de grandes marques au Maroc pour écouler leurs marchandises pensant qu'il s'agissait d'opérateurs informels. Destructions des produits périmés Que valent alors ces produits de contrebande ? Sont-ils de qualité ? Lorsqu'ils ne sont pas mixés à la contrefaçon, ces produits peuvent ne pas être de mauvaise qualité, quoique. Des personnes peuvent s'approvisionner auprès de grossistes à l'étranger ou via le net au moment de grands déstockages. Ces articles (mascaras, fonds de teint, parfums..) peuvent avoir une date de péremption qui arrive à échéance. L'Union Européenne n'en veut pas parce que les normes en la matière sont très strictes. Mais certaines personnes n'ont aucun scrupule à les acheter pour les écouler sur le marché marocain ou d'autres pays africains, lorsque les quantités sont importantes. Les importateurs exclusifs des grandes marques au Maroc peuvent-ils en faire de même ? Pas question. Pour Ali Kabbaj, président d'Olka, distributeur des marques comme Dior, Clarins... les produits «périmés» sont automatiquement détruits. « Les produits de cométique ont une durée de vie. Nous ne pouvons pas nous permettre de jouer avec la santé des consommateurs. Nous avons des règles très claires et strictes avec les marques. A travers la Chambre de Commerce Française, et via des huissiers de justice, nous procédons à des destructions tous les six mois». Du côté de Cosmetica, ces produits sont repris par la maison-mère. La politique des distributeurs exclusifs est stricte en la matière. Mais malheureusement, sur le marché, on retrouve de tout. Il n'est pas facile pour un client de faire le distinguo entre les bons et les mauvais produits. Comment le prévenir? Le rassurer ? D'abord, il y a des endroits qui présentent d'office des gages de garantie de bonne qualité. Il s'agit des enseignes qui ont pignon sur rue comme les Galeries Lafayette, Marionnaud, Secret de Beauté... Dans celles-là, il n'y a, selon Nadir Benjelloun, aucun risque de trouver un produit de contrebande. « Nous faisons des sondages réguliers qui nous permettent de remonter l'information. Nous n'avons jamais trouvé dans ces points de vente un quelconque produit de contrebande ». Et il y a les revendeurs agréés de plus petite taille. « Ceux-là doivent avoir un certain standing, un environnement de marques, des présentoirs... On ne devrait pas y trouver des chouchous par exemple à côté des produits de marque », admet Ali Kabbaj. Il poursuit : « nous gagnerons à labelliser les dépositaires ou vendeurs agréés pour rassurer les clients. Nous allons par ailleurs mettre en œuvre plusieurs outils, fidéliser nos clients dans le réseau sélectif et former des conseillères beauté sur les points de vente... ». Les importateurs officiels contribuent à leur façon à la lutte contre ce fléau. Ils ont besoin d'un coup de pouce pour l'atténuer. Et ce n'est qu'avec une volonté et un courage politique que cela pourra se faire. Rien n'est impossible. La Tunisie a réussi à se protéger contre l'informel et les importations non conformes. Pourquoi pas le Maroc ?! Gharb, Nord, Oriental : tous les produits sont de contrebande Les produits cosmétiques de luxe ne sont pas vendus sur l'ensemble du territoire. « Nous n'avons aucun client par exemple dans la région du Nord», indiquent les distributeurs exclusifs des grandes marques. Plus encore, ils confirment ne pas écouler de produits dans toutes les villes qui se trouvent sur la carte au-dessus des villes de Rabat ou de Fès. C'est le cas également des « kissariates », souk...comme Derb Ghallef, kissariate Alsace ou Garage Allal à Casablanca où aucun produit provenant du circuit formel n'y est vendu. Premier consommateur, la classe moyenne supérieure Les clients de très haut de gamme n'achètent pas encore leurs produits cosmétiques de luxe au Maroc. Voyageant beaucoup, ils préfèrent s'approvisionner dans les Duty Free Shop (produits hors taxes) ou dans les villes en bénéficiant de la détaxe. Par contre, selon des études menées au niveau national, c'est la clientèle de la classe moyenne supérieure qui est consommatrice des produits ramenés par les importateurs exclusifs des grandes marques. Le chiffre 800 MDH Le marché des cosmétiques, tous produits confondus (de luxe, de masse, hair, care...) est estimé entre 800 MDH et 1 milliard de DH.