Le 13 décembre 2018 est une date qui doit retenir l'attention des utilisateurs des nouvelles technologies de communication et en particulier ceux des réseaux sociaux. À compter de ce jour, chacun doit bien réfléchir avant de prendre des photos, de tourner des vidéos ou de les échanger avec les tiers. Tout dépassement est dorénavant sévèrement sanctionné par le Code pénal. Le législateur a mis à profit le passage du projet de loi relative à la lutte contre les violences faites aux femmes pour ajouter trois articles au Code pénal, dont l'objet est l'introduction dans l'arsenal juridique marocain d'un dispositif de répression des violations de la vie privée par le biais de l'usage des nouvelles technologies de communication. Ces dispositions sont en vigueur depuis le 13 de ce mois, c'est-à-dire six mois après la publication de la loi au Bulletin Officiel et ce, en conformité avec l'article 18 de ladite loi. À cette occasion, le président du Parquet a fait une sortie bien remarquée en adressant une circulaire à l'ensemble des procureurs et procureurs généraux placés sous son autorité. Tout en donnant une lecture détaillée des nouvelles dispositions, il leur demande de leur réserver « une application sévère et juste » en conformité avec l'esprit de la Constitution qui dispose dans son article 24 que « toute personne a droit à la protection de sa vie privée ». Il en ressort donc que la protection pénale de la vie privée se trouve bien renforcée lorsqu'il s'agit de l'usage des nouvelles technologies de l'information. Certes, le droit pénal marocain comporte déjà quelques dispositions relatives à la protection de la vie privée, mais elles ne sont pas bien adaptées au cas spécifique des infractions commises par l'usage des nouvelles technologies. Les dispositions contenues dans le Code de procédure pénale, le Code de la presse et la loi sur la protection des données à caractère personnel restent de portée générale ne répondant pas exactement aux menaces générées par l'usage massif des nouvelles technologies de communication. Par contre, les trois articles ajoutés au Code pénal apportent des réponses à des faits qui se posent dans la vie quotidienne des citoyens. D'une manière générale, les nouvelles dispositions du Code pénal ratissent très large pour embrasser l'ensemble des comportements susceptibles de porter atteinte à la vie privée des personnes. Le premier aspect protégé porte sur les « paroles et les informations ». Ainsi, se trouve puni d'un emprisonnement de six mois à trois ans et d'une amende de 2.000 à 20.000 DH, toute personne qui procède par tout moyen, y compris les systèmes informatiques, « à l'interception, à l'enregistrement, à la diffusion ou à la distribution de paroles ou d'informations émises dans un cadre privé ou confidentiel, sans le consentement de leurs auteurs ». Le deuxième aspect protégé concerne les photos et les vidéos. Le Code pénal retient la même sanction contre les personnes qui procèdent « par tout moyen à la capture, à l'enregistrement, à la diffusion ou à la distribution de la photographie d'une personne se trouvant dans un lieu privé, sans son consentement ». À ce niveau, on doit retenir que les actes ne sont passibles de sanctions que lorsqu'ils se déroulent dans un lieu privé (maison, salle de fête, lieu de travail, voiture…) et sans le consentement des personnes concernées. Donc, le consentement préalable est indispensable avant toute prise de photo, de tournage de vidéos dans un lieu privé et leur diffusion. L'autre aspect, et qui s'explique pas les possibilités qu'offrent les nouvelles technologies pour le traitement parfois frauduleux du son et de l'image, se rapporte au montage composé de paroles ou de la photographie d'une personne. Et à ce niveau, le législateur opte pour une sanction plus lourde puisque le nouvel article 447-2 du Code pénal punit d'un emprisonnement d'un an à trois ans et d'une amende de 2.000 à 20.000 DH, toute personne qui procède par tout moyen, y compris les systèmes informatiques, à la «diffusion ou à la distribution d'un montage composé de paroles ou de la photographie d'une personne, sans son consentement ». La même sanction s'applique en cas de diffusion ou de distribution de fausses allégations ou de faits mensongers, en vue de porter atteinte à la vie privée des personnes. Et pour protéger la vie privée au sein de la famille, le législateur retient la sanction la plus lourde (allant jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 50.000 DH d'amende) lorsque l'infraction est commise par un époux, un conjoint divorcé, un fiancé, un ascendant, un descendant, un kafil ou un tuteur. En conclusion, si l'ajout de ces dispositions était nécessaire pour mettre la protection de la vie privée des citoyens au diapason avec l'évolution technologique, il n'en reste pas moins que leur application doit tenir compte de l'évolution des mœurs et de la société en général. De même, la vie privée mérite d'être approchée à la lumière du statut de la personne concernée ; la vie privée des hommes publics ne doit pas être appréciée de la même manière que quand il s'agit de la vie privée d'une personne ordinaire. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, la liberté d'expression ne doit pas être limitée par la protection de la vie privée « si l'information en question contribue à un débat d'intérêt général ». Une autre question et pas des moindres, ces nouvelles dispositions seront-elles appliquées avec la même rigueur promise quand la violation de la vie privée des personnes est le fait des grandes multinationales d'internet ?