Le modèle actuel de développement au Maroc est dépassé. C'est là un aveu officiel. Et après ? Existe-t-il aujourd'hui un modèle alternatif ? Il est plus qu'urgent de concilier le verbe à l'action. La récente contribution du Centre Marocain de Conjoncture est un premier pas pour essayer de scruter l'environnement économique en recueillant les attentes des opérateurs industriels. Comment construire un nouveau modèle de développement ? Quels en sont les principaux acteurs dans ce projet ? Ceux-ci ont-ils la possibilité d'exprimer leurs attentes ? Existe-t-il des oreilles capables d'écouter et de traduire les attentes en programmes ? Il est nécessaire de poser ces questions, car la genèse de tout nouveau modèle de développement dépend étroitement de la nature du processus qui pourra lui donner naissance. Plus ce processus est participatif, ouvert à toutes les forces politiques, économiques et sociales, plus l'adhésion sera forte au nouveau modèle dont la construction est nécessairement collective. Dans son enquête, le Centre Marocain de Conjoncture (CMC) a proposé des critères aux acteurs économiques consultés, critères basés sur la performance économique et financière, la capacité à contribuer efficacement au développement social, la qualité des institutions, la répartition de la richesse, l'équité et la justice sociale, la diversification des structures productives, le niveau de productivité et de compétitivité et la protection durable de l'environnement. Ainsi, au-delà du concept de croissance qui a constitué l'élément central du modèle de développement actuellement mis en cause, le concept de développement est abordé dans sa dimension globale, qualitative et complexe, où la croissance n'est plus qu'un aspect pas toujours déterminant. Le développement est nécessairement un processus global où les facteurs extra-économiques peuvent être déterminants. 97,5% des opérateurs économiques marocains consultés reconnaissent que le modèle actuel de développement a fait son temps, et qu'il est nécessaire et urgent de procéder à sa transformation en profondeur. Confronté à cette grande et ambitieuse attente, le projet de loi de finances en cours est d'une extraordinaire tiédeur : une «pincée» de social, la poursuite des «grands chantiers», des retouches au niveau fiscal et le maintien des équilibres macro-économiques. La quasi-unanimité des opérateurs ayant participé à l'enquête partage le même constat basé sur la persistance des inégalités sociales et territoriales, la faiblesse de la capacité de création d'emploi et l'aggravation du chômage, l'essoufflement de la croissance, la déficience du système de gouvernance, la faible diversification productive, l'insuffisance de la compétitivité et du secteur exportateur, la faible convergence vers les pays émergents, le manque d'attractivité et la faiblesse des rendements des investissements ainsi que la détérioration des équilibres financiers. Face aux premiers résultats de cette enquête, il est difficile d'accuser nos opérateurs économiques d'avoir été atteints eux-aussi par le phénomène de la sinistrose, voire de nihilisme, comme l'a récemment prétendu notre jeune et pragmatique ministre du Commerce et de l'industrie, toujours à la recherche de « quick wins », pour mieux « saucer » ses discours. Presque 86% des opérateurs consultés par le CMC déclarent opter pour une stratégie combinant le développement du marché intérieur et l'intégration des marchés internationaux. Actuellement, notre économie dépend étroitement des exportations, du tourisme, des transferts des MRE, de la pluie et du prix du baril de pétrole sur le marché international. Depuis plusieurs années, le marché intérieur a été quasi abandonné. Ce qui explique en grande partie le déficit structurel de notre balance commerciale. Or il a été bien établi dans toutes les expériences de développement, que le rôle du marché interne a toujours été important, voire même déterminant dans la dynamique économique de transformation pouvant donner naissance à une véritable émergence. En fait, la consultation du CMC a surtout permis de constater l'existence chez les opérateurs économiques marocains d'une vision constructive qui mérite d'être connue et partagée. Comme axes prioritaires dans la réussite de la stratégie de mise en place d'un nouveau modèle de développement, les chefs d'entreprises consultés, à 75%, optent pour le développement régional et la réduction des inégalités. Globalement, huit leviers ont été retenus par les opérateurs consultés pour pouvoir relever ce nouveau défi (voir encadré). Par ailleurs, pour 50% des opérateurs économiques consultés, l'Etat doit être un «acteur stratège», capable d'une vision globale et cohérente, alors que 23,8% des opérateurs optent pour un «Etat-développeur» ou «Etat-locomotive». Implicitement, les opérateurs économiques expriment leur ras le bol de l'économie de rente, de la corruption dans les marchés publics, du déficit de transparence et de la concurrence déloyale dans le domaine économique et financier. Le secteur industriel devrait être au centre de cette nouvelle dynamique de changement, en plus des activités de services. Il s'agit surtout des activités économiques à haute valeur ajoutée, à ne pas confondre avec les industries mondiales (automobiles et aéronautiques), partiellement délocalisées et dont l'enracinement local ne peut être que précaire, car dépendant de la stratégie de la maison mère. La nouvelle génération des opérateurs économiques n'oublie pas de mettre l'accent sur l'économie sociale et solidaire, l'économie numérique et l'économie verte, options stratégiques à privilégier dans une véritable stratégie de développement intégrant les dimensions humaine et environnementale.