Saad-Eddine Al-Othmani a fini par céder. Après cinq mois de blocage, le nouveau chef de gouvernement marocain, membre du Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste), a accepté que l'Union socialiste des forces populaires (USFP) fasse partie de sa future coalition gouvernementale. Son prédécesseur, Abdelilah Benkirane, l'avait jusqu'ici refusé.. Al-Othmani a surpris par la rapidité de son action. Nommé chef de gouvernement par le roi le 17 mars en remplacement de M. Benkirane, il a annoncé dès le 25 mars qu'un accord de coalition avait été trouvé. Celle-ci comptera six partis : le PJD et son allié, le Parti du progrès et du socialisme, auxquels s'ajoute un autre « bloc », constitué par le Rassemblement national des indépendants (RNI), l'Union constitutionnelle, le Mouvement populaire et l'USFP. A eux six, ces partis réunissent une majorité confortable de 240 sièges sur 395 au Parlement. M. Al-Othmani s'est maintenant donné une semaine à dix jours pour rendre publique la composition exacte de son équipe. Mais un pas essentiel semble fait : l'annonce d'une coalition met fin à cinq mois de crise et signe la reprise en main de l'arène politique par le palais royal. Un profil plus consensuel Arrivé en tête des élections législatives d'octobre 2016 – comme en 2011 –, le PJD avait été reconduit par Mohammed VI à la tête du gouvernement. Le charismatique et vocal secrétaire général du parti, Abdelilah Benkirane, était sorti renforcé du scrutin. Mais il s'était rapidement confronté aux premiers obstacles avec l'ascension politique d'Aziz Akhannouch, homme d'affaires proche du palais, parachuté chef du RNI, qui, en parvenant à constituer autour de lui un bloc de partis alliés, avait acquis un rôle clé dans les négociations. M. Akhannouch voulait imposer l'USFP, tandis que M. Benkirane souhaitait travailler avec le Parti de l'Istiqlal (Parti de l'indépendance). Au-delà des différences idéologiques ou de programmes – secondaires au Maroc lorsqu'il s'agit de constituer une majorité, puisque le palais garde la haute main sur les grandes orientations politiques du royaume –, il s'agissait d'un rapport de forces entre le PJD et son secrétaire général d'un côté, et le RNI, devenu figure de l'opposition à la formation islamiste, de l'autre. Après cinq mois de négociations laborieuses, Abdelilah Benkirane n'est pas parvenu à sortir de l'impasse. Le 15 mars, un communiqué royal annonçait qu'il était démis de ses fonctions et qu'une autre personnalité du PJD serait désignée chef de gouvernement. Alors que la formation islamiste devait se réunir deux jours plus tard pour parler de la situation et nommer un successeur à M. Benkirane (ou décider de rejoindre l'opposition), le roi a convoqué M. Al-Othmani et l'a nommé au poste de chef de gouvernement, rappelant son rôle d'arbitre au-dessus des partis. Numéro deux du PJD, le nouveau premier ministre a un profil très différent de celui de son prédécesseur : plus consensuel et diplomate, il ne devrait pas faire de vagues dans les médias. Cette nomination faite, la question était alors posée de savoir comment les négociations se poursuivraient : le message serait-il envoyé aux autres partis de revoir à la baisse leurs exigences afin de sortir du blocage ? Il n'en a rien été et, en acceptant l'USFP dans sa coalition, le PJD a, en apparence, fait une concession majeure. Pour le moment, il est difficile de savoir quelles conséquences ce retournement aura sur le parti et sur sa cohésion. « Une partie des militants et des dirigeants sont amers quant à la façon dont ça s'est passé : cinq mois de blocage balayés en l'espace de quelques jours », témoigne un journaliste politique marocain. Le PJD, qui a construit sa popularité en mettant en avant son « indépendance » dans le paysage politique marocain, voit son image de parti alternatif affaiblie. « Il traverse une crise : comment rester crédible quand on accepte aujourd'hui ce que l'on a refusé hier ? Mais il a toujours su les gérer », poursuit le journaliste. Discipline interne et pragmatisme Longtemps dans la clandestinité puis dans l'opposition, le PJD a affronté plusieurs moments critiques dans son histoire, comme lors des attentats de Casablanca en 2003, lorsque la formation avait été montrée du doigt et menacée de dissolution. Il s'en est toujours sorti par un mélange de discipline interne et de pragmatisme vis-à-vis de l'extérieur, l'objectif étant de se faire accepter sur la scène politique au même titre que les autres partis. Ce qu'il a obtenu, pour la première fois, en 2011, dans le sillage des « printemps arabes ». Confronté à des manifestations populaires exigeant plus de démocratie et de justice sociale, le roi Mohammed VI avait alors annoncé une vaste réforme de la Constitution et l'organisation d'élections législatives anticipées, remportées par le PJD. « Rester un parti gouvernemental est primordial pour lui », rappelle un observateur de la vie politique marocaine. Le politologue marocain Mohamed Tozy relativise, lui aussi, les conclusions de cet épisode : « On présente un gagnant et un perdant, mais c'est plus compliqué. Le PJD est toujours là. Il reste le premier parti. Celui qui est mis à l'écart, c'est Abdelilah Benkirane. Et encore reste-t-il en réserve. Il est parti sur un blocage, non sur un échec. » Le populaire chef de gouvernement, atout clé jusqu'ici pour la formation, est en retrait mais ne s'est pas retiré de la vie politique. Le PJD reste à la tête du gouvernement, comme le veut la Constitution de 2011, selon laquelle le roi nomme le chef de gouvernement dans les rangs du parti arrivé en tête des élections. « C'est une période d'apprentissage pour tout le monde, notamment des règles de négociations », souligne M. Tozy.