Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.
« L'Inde et le Maroc partagent une lecture commune des grands équilibres contemporains et leur coopération s'étend désormais aux questions de sécurité», affirme l'ambassadeur Mohamed Maliki
Dans un entretien d'une rare densité accordé au site India and The World, Mohamed Maliki, ambassadeur du Maroc en Inde, s'est exprimé sur l'élargissement constant du partenariat entre Rabat et New Delhi, soulignant la profondeur stratégique d'un dialogue devenu multiforme. Un dialogue nourri par des choix souverains « L'évolution des relations entre le Maroc et l'Inde a connu une progression significative depuis la visite de du roi Mohammed VI en 2015», a déclaré l'ambassadeur. Revenant sur ce moment charnière, il a évoqué également la visite de 2001, premier déplacement officiel du souverain dans un pays asiatique après son intronisation, qui a marqué selon lui «une inflexion décisive fondée non sur des intérêts conjoncturels mais sur un engagement politique clair au service de la sécurité alimentaire de l'Inde.» Cet engagement s'est matérialisé par des investissements publics d'ampleur, dont le plus important réalisé par le Maroc en Asie, «preuve tangible du lien singulier entre nos deux nations.» Essor des échanges économiques et ancrage industriel Depuis 2015, la présence économique indienne au Maroc a connu un essor manifeste : «Nous sommes passés de 13 entreprises indiennes établies à plus de 46 aujourd'hui, sans compter près de deux cents opérant de manière indirecte», a-t-il précisé, y voyant l'expression «d'une volonté réciproque d'établir un climat favorable à l'implantation productive.» L'industrie automobile illustre cette complémentarité croissante. De grands groupes tels que Stellantis et Renault ont encouragé des fournisseurs indiens à implanter des unités de production sur le sol marocain. «Plusieurs entreprises de composants automobiles indiennes sont désormais présentes dans nos zones industrielles, notamment IM Gear», a-t-il noté, ajoutant que cette coopération a contribué à «la transformation du Maroc, passé en douze ans d'un pays sans exportation automobile à premier exportateur du continent africain.» Le Maroc, carrefour d'accès pour l'industrie indienne Grâce à un réseau étendu d'accords de libre-échange, dont ceux conclus avec l'Union européenne, les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, Rabat entend jouer un rôle de pont entre les économies. «Le Maroc peut offrir à l'Inde une ouverture concrète sur l'Afrique, l'Europe et les Amériques», a déclaré M. Maliki, insistant sur la position géostratégique du royaume et sa vocation à devenir «un relais commercial et industriel pour les entreprises indiennes désireuses de rayonner au-delà du continent asiatique.» Convergence dans l'énergie renouvelable et les transferts technologiques L'ambassadeur a également souligné la cohérence des orientations énergétiques des deux pays. «Le Maroc tire déjà 43 % de son énergie de sources renouvelables. Ce socle commun crée des perspectives substantielles de collaboration, notamment dans le cadre de l'Alliance solaire internationale», a-t-il observé. À ses yeux, l'Inde et le Maroc partagent une même disposition à coopérer sur le continent africain, à travers «le transfert de savoir-faire, la montée en capacité industrielle et l'accès à l'électrification pour les zones isolées.» Une vision partagée du Sud global «L'Inde incarne aujourd'hui une voix forte et structurée du Sud global», a déclaré M. Maliki. Il a salué «la réactivité indienne face à la pandémie de Covid-19 et son rôle déterminant dans l'intégration de l'Union africaine au sein du G20», estimant que New Delhi «peut légitimement aspirer à un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.» Une diplomatie d'équilibre au service de l'intérêt national Interrogé sur les équilibres que le Maroc entretient entre puissances mondiales, l'ambassadeur a récusé toute classification hâtive. «Il est réducteur de qualifier le Maroc de "pro-occidental". Nous avons toujours fait prévaloir notre souveraineté de décision», a-t-il déclaré. Le pays nord-africain, selon lui, «a choisi, dès la fin des années 2000, d'élargir le spectre de ses partenaires tout en restant fidèle à ses principes.» L'ambassadeur a salué «la résilience d'un pays qui a su diversifier ses alliances sans renier ses fondamentaux», et a appelé à «approfondir un partenariat indo-marocain bâti sur la confiance, la complémentarité et une même ambition pour les générations futures.» L'ambassadeur du Maroc en Inde s'est aussi longuement exprimé sur les affinités culturelles entre les deux nations, soulignant la puissance tranquille d'un lien nourri par le cinéma, la musique, le souvenir historique et une certaine idée du vivre-ensemble. Bollywood à Casablanca : une présence bien au-delà de l'écran «Il existe au Maroc des salles de cinéma qui ne projettent que des films bollywoodiens, et certains de nos concitoyens parlent l'hindi grâce à ces œuvres», a confié le diplomate. Ce goût populaire, enraciné depuis plusieurs générations, dépasse le simple divertissement : «Nous avons célébré les cent ans du cinéma indien avant même que l'Inde ne le fasse, et le souverain chérifien a rendu hommage à des figures emblématiques comme Amitabh Bachchan ou Shahrukh Khan», a-t-il rappelé, comme pour témoigner d'une affection profonde. Le Maroc, selon ses termes, partage avec l'Inde une sensibilité à «la musique de qualité, aux récits qui traversent les âmes», mais aussi à des valeurs communes : celles de l'ouverture, de la tolérance, du respect des différences. «Notre pays est aujourd'hui un centre majeur du soufisme, cette école de la spiritualité musulmane qui place la bonté au-dessus de toute rigueur doctrinale», a-t-il déclaré. Une mémoire du respect et une tradition de refuge L'ambassadeur a évoqué un épisode marquant de la Seconde Guerre mondiale, rappelant la position du roi Mohammed V face aux autorités de l'Axe : «Lorsqu'Hitler réclama la remise des Juifs marocains, Sa Majesté répondit : "Je n'ai pas de Juifs, je n'ai que des Marocains."» Une formule restée dans les annales et qui, selon lui, «rappelle ce que signifie le devoir d'humanité.» Le Maroc, a-t-il poursuivi, est dirigé par «le Commandeur des croyants, souverain reconnu non seulement par les musulmans, mais également respecté par les chrétiens et les juifs», dans une posture singulière au sein du monde islamique. Le pouvoir feutré des affinités culturelles Ce que l'ambassadeur qualifie de «puissance douce» constitue à ses yeux un levier d'influence discret mais fondamental. «Nos deux pays disposent d'un capital symbolique qui leur permet de jouer un rôle modérateur dans les conflits et de participer à l'élaboration de solutions pacifiques», a-t-il affirmé. Cette relation, dit-il, s'enracine «dans les sillons anciens des routes d'épices, qui reliaient autrefois le Kerala à Marrakech.»