Le gouvernement indien entend accroître sensiblement l'influence de son industrie de défense en recourant à un dispositif inédit de prêts concessionnels, destiné à faciliter l'exportation de son armement vers des pays à solvabilité fragile ou à exposition politique élevée, selon une enquête exclusive de l'agence Reuters. Cette stratégie inclurait des Etats historiquement dépendants de la Russie en matière d'approvisionnement militaire ou des pays amis, parmi lesquels figure le Maroc. Selon quinze interlocuteurs ayant requis l'anonymat, dont plusieurs hauts fonctionnaires et représentants du secteur privé, l'exécutif dirigé par le Premier ministre Narendra Modi a renforcé les prérogatives de la banque publique Export-Import Bank of India (EXIM), en lui confiant la mission d'élargir l'octroi de financements à long terme et à faible coût pour accompagner la vente de matériel militaire à l'étranger. Dans cette perspective, New Delhi entend également déployer un plus grand nombre d'attachés de défense au sein de ses représentations diplomatiques, afin de faciliter les tractations avec les autorités étrangères et de peser plus directement sur les négociations contractuelles. Cette démarche vise plus particulièrement les pays dont les forces armées ont été historiquement équipées par la Russie, aujourd'hui fragilisée par sa concentration industrielle tournée quasi exclusivement vers l'effort de guerre en Ukraine. Le conflit russo-ukrainien, déclenché en février 2022, a entraîné une raréfaction des livraisons de matériels russes à ses clients traditionnels, alors que les arsenaux occidentaux étaient réorientés vers Kyiv. Plusieurs gouvernements d'Asie, d'Afrique et du Moyen-Orient — y compris le Maroc — se sont depuis tournés vers l'Inde, qui bénéficie d'une expérience hybride, ayant su absorber et adapter à son usage des technologies militaires provenant tant de l'Occident que la Russie. Ce repositionnement industriel s'accompagne d'une montée en gamme progressive des productions locales, portées notamment par des acteurs privés désormais capables de concevoir des munitions de précision, des aéronefs légers ou encore des systèmes navals. Bien que certains contrats soient encore obstrués par l'absence de références opérationnelles à l'international, l'Inde entend faire valoir la compétitivité de ses fabrications, tant sur le plan technique que financier. «L'Inde marche avec résolution vers l'élargissement de ses exportations de défense», a écrit le ministre indien de la défense, Rajnath Singh, dans une publication récente. Ce virage stratégique, sans précédent dans l'histoire industrielle de l'Inde postindépendance, intervient à un moment de recomposition des équilibres militaires mondiaux alors que plusieurs puissances régionales cherchent à diversifier leurs fournisseurs pour pallier l'incertitude croissante des alliances traditionnelles.