Le ministère de l'agriculture a ouvert la voie à l'importation d'un million de têtes ovines accompagnée d'une subvention de cinq milliards de dirhams destinée à dix grands importateurs, dont quatre opérant dans la région Rabat-Kénitra. Cette mesure n'a, toutefois, eu aucun effet sur le marché. La crise du secteur boucher ne relève pas d'une simple mesure de circonstance. Elle révèle les limites d'une politique agricole qui, en dépit d'investissements considérables et de discours sur la souveraineté alimentaire, n'a pas permis de préserver l'accessibilité des viandes rouges ni d'assurer la pérennité du cheptel national. Le 17 avril 2023, le chef du gouvernement Aziz Akhannouch, en présence du ministre des finances et de celui de l'agriculture, annonçait des «mesures urgentes» pour rétablir l'équilibre de la filière et reconstituer le cheptel. Quelques semaines plus tard, lors du salon international de l'agriculture de Meknès (Siel), l'Etat concluait des accords pour 144,5 milliards de dirhams, dont 77,5 milliards financés par le budget public et 67 milliards par les opérateurs privés. L'un des objectifs affichés était d'accroître la production de viandes rouges à 850 000 tonnes d'ici 2030, contre 600 000 tonnes en 2020, une époque où le pays garantissait encore son autosuffisance. «Ces engagements financiers devaient permettre un redressement rapide de la filière, mais la trajectoire observée depuis démontre l'inverse : un marché capté par des intermédiaires, une production nationale en recul et une flambée continue des prix», analyse, amer, l'économiste Ayoub Redouani. En 2024, confronté à une hausse incontrôlée des coûts, le gouvernement autorisait l'importation d'un million de têtes ovines, assortie d'une subvention de cinq milliards de dirhams distribuée à dix grands importateurs, dont quatre basés dans la région Rabat-Kénitra. Cette mesure, censée stabiliser les prix, n'a produit aucun effet notable : le kilogramme de viande rouge s'est maintenu entre 110 et 150 dirhams tandis que les moutons destinés au sacrifice demeuraient hors de portée pour une majorité de ménages. Les milliards de subventions évaporés Parallèlement, entre octobre 2023 et octobre 2024, les exonérations fiscales et douanières accordées aux importateurs de bétail et de viandes congelées leur ont permis d'engranger 20 milliards de dirhams de bénéfices, sans répercussion sur le pouvoir d'achat des consommateurs. Au-delà des fluctuations conjoncturelles, le cheptel national a connu un effondrement alarmant : de 31 millions de têtes en 2021, il est passé à 18,1 millions début 2025, soit une perte de près de 13 millions de bêtes en moins de trois ans. «L'annulation du rituel sacrificiel cette année a permis d'éviter une flambée des prix qui aurait atteint des sommets», estime M. Redouani. «Mais cette décision ne constitue qu'un palliatif. Elle ne corrige ni la concentration du marché entre quelques grands acteurs ni l'inefficacité des subventions publiques.» La persistance des prix élevés, en dépit d'aides cumulées de 100 milliards de dirhams en trois ans, expose les défaillances d'une gouvernance où les intérêts économiques de certains priment sur les résultats attendus. Le paradoxe est saisissant : alors que le Maroc a consacré 132 milliards de dirhams au plan Maroc Vert et 110 milliards au programme Génération Green, les prix des produits de base continuent de s'envoler. Pendant ce temps, Aziz Akhannouch met en avant-plan «les glorieuses réalisations de son gouvernement», plus impopulaire que jamais.