À 55 ans, l'ambitieux William Ruto a été déclaré lundi vainqueur de la présidentielle au Kenya. Lui, qui a déclaré son soutien à la proposition d'autonomie marocaine pour le Sahara. «Je déclare, en tant que vice-président, du Kenya que le plan d'autonomie sous souveraineté marocaine représente la meilleure solution à la question du Sahara», a-t-il annoncé en mars. Il a même pointé le fait que «le conflit autour du Sahara n'est qu'une excuse permettant à l'Algérie de dilapider les richesses de son peuple sur des causes perdues», précisant au passage que «la création d'une entité séparatiste au sud du Maroc n'est qu'un fantasme nourrit par ceux qui n'aiment ni la paix, ni l'unité, ni la prospérité pour les pays africains». Le vice-président sortant, à la tête d'une des plus grandes fortunes du Kenya, s'est proclamé « hustler in chief » (« débrouillard en chef »), leader de la « »hustler nation » (« nation des débrouillards ») formée des millions de travailleurs pauvres qui tentent de survivre dans un pays en proie aux difficultés économiques. Son accession à la fonction suprême vient parachever la légende du « self made man » construite par cet enfant d'une famille modeste de la vallée du Rift (ouest). Ce diplômé en sciences, professeur avant de se lancer en politique dans les années 1990, au sein des jeunesses du parti de l'autocrate Daniel arap Moi, aime à rappeler qu'il n'a eu sa première paire de chaussures qu'à l'âge de 15 ans et qu'il vendait des poulets en bord de route. Il est aujourd'hui à la tête d'une grande entreprise de volailles, un des piliers de sa fortune qui comprendrait également des hôtels, des milliers d'hectares de terres… L'étendue de ses actifs a fait l'objet en septembre 2021 d'une vive controverse entre le ministère de l'Intérieur et le vice-président, qui a accusé le pouvoir de vouloir le discréditer. La rupture entre Ruto et le président Uhuru Kenyatta, aux côtés duquel il a été élu en 2013 et 2017, est consommée depuis plusieurs années. Le chef de l'Etat l'avait en effet adoubé, l'assurant du soutien du parti présidentiel pour l'élection de 2022, n'ayant pas lui-même le droit de briguer un troisième mandat. Mais après sa réélection en 2017, suivie de violences qui avaient causé des dizaines de morts, M. Kenyatta s'est progressivement rapproché de son opposant historique Raila Odinga, à qui il a finalement accordé son soutien. Pour beaucoup d'observateurs, une des raisons de ce revirement est l'incontrôlable ambition de M. Ruto. « Ce qui rend Ruto singulier, c'est la rapidité de son ascension, son ambition », souligne l'analyste politique kényane Nerima Wako-Ojiwa. « Il est allé à contre-courant (des pratiques). Il est passé devant beaucoup de gens sans demander l'autorisation », ajoute-t-elle soulignant que « beaucoup de gens (avaient) peur que s'il arrive au pouvoir, il soit impossible à déloger ensuite ». William Ruto est alors parti en croisade contre l'alliance des « dynasties » kényanes incarnées par MM. Kenyatta et Odinga, héritiers de deux familles au coeur de la politique kényane depuis l'indépendance en 1963. Il a notamment été un des plus virulents opposants à un projet de révision constitutionnelle défendu par le duo Kenyatta-Odinga, invalidé par la Cour suprême au terme d'une féroce bataille judiciaire. Uhuru Kenyatta le Kikuyu – la première ethnie du pays – et William Ruto le Kalenjin – la troisième en nombre – s'étaient alliés en 2012 pour conquérir le pouvoir, dans ce qui avait été surnommé la « coalition des accusés ». « Il est considéré comme un des stratèges les plus efficaces de la politique kényane », souligne Nic Cheeseman, professeur à l'université de Birmingham (Royaume-Uni). Dès les prémisses du rapprochement Odinga-Kenyatta, Ruto est parti en campagne, sillonnant le pays en casquette et polo, s'affichant sur les réseaux sociaux. Ce quinquagénaire, chrétien « born again » revendiqué et père de six enfants, se montre souvent affable. Sa rhétorique des « débrouillards », misant sur un clivage social plus qu'ethnique, a notamment trouvé un écho chez les jeunes. Ce discours n'est « pas nouveau », estime Nerima Wako-Ojiwa, mais « c'était le timing parfait ».