Amar Belani est un homme en colère. Et son ire est «énorme», à la mesure de la «dureté» de son langage, à en croire le journaliste espagnol Ignacio Cembrero qui l'a interviewé pour El Confidencial. Belani, «envoyé spécial pour le Sahara occidental et les pays du Maghreb» ne décolère pas contre le président du gouvernement espagnol Pedro Sanchez, qu'il accuse d'avoir «vendu son âme pour un plat de lentilles». Motif : la reconnaissance par l'Espagne de la souveraineté du Maroc sur son Sahara. Pour le «diplomate» algérien, cet acte n'est rien moins qu'un «crime». Porte-voix des colères algériennes, l'ancien ambassadeur a fait de la véhémence sa marque de fabrique. Agressif, virulent, gesticulateur et souvent provocateur, Belani est devenu ce que l'on appelle populairement «une grand gueule». On reconnait sa griffe dans les communiqués incendiaires et même dans les déclarations faussement anonymes attribuées à un «haut responsable algérien» ou, plus clairement, à «A.B, ancien ambassadeur d'Algérie». Adepte des formules lapidaires et des «petites phrases», le personnage est en phase avec le style brutal qui semble être devenu celui de certains dirigeants algériens, civils et militaires et qu'on n'avait pas vu depuis Houari Boumédiene. A l'image de son président et du chef d'Etat-major de l'armée algérienne, partisans d'une ligne dure vis-à-vis du Maroc, Belani ne peut pas ne pas ouvrir la bouche sans tirer à boulets rouges sur le Maroc. Le voisin de l'ouest, «ennemi traditionnel», est ainsi accusé de tous les maux et on lui impute tous les malheurs de l'Algérie, même les plus improbables, sans crainte du ridicule. La mission de Belani est on ne peut plus claire : contrer le Maroc (en tout cas essayer), réagir brutalement à toute déclaration, action ou initiative marocaines, et, pour cela, ne reculer devant aucun propos, aussi outrancier soit-il. Face à un Maroc serein qui ne dit mot, Belani et ses mentors ferraillent et ... déraillent. L'indifférence du Maroc les exaspère et ils redoublent de virulence, s'enfonçant chaque jour un peu plus dans une guerre verbale aussi grotesque que pathétique. Le régime algérien dit à qui veut l'entendre que l'Algérie n'est pas « neutre » dans la question du Sahara, mais que sa position ne diffère pas de celle de tous les Etats qui défendent le principe de l'auto-détermination. Pourquoi alors, pour ne prendre que ce point, le gouvernement algérien a-t-il éprouvé le besoin de nommer un « Monsieur Sahara » au ministère des affaires étrangères ? Mystère d'un « système » qui n'en est pas à une contradiction près. Si la cible de prédilection de «l'envoyé spécial» est le Maroc, il s'en est également pris à l'Espagne, mais c'était à propos du Sahara. Il s'autorise cependant, parfois, des sorties sur des sujets éloignés de son champ d'action, comme lorsqu'il avait critiqué, dans un langage néanmoins respectueux, la décision de la France de réduire les visas accordés aux Algériens. En revanche, on ne lui connaît pas d'activité ou de démarche au sujet de son autre dossier, «les pays du Maghreb». Pour qui roule Belani ? Un hebdomadaire (Jeune Afrique) a pu présenter Amar Belani comme le «porte-flingue d'El-Mouradia», le siège de la présidence à Alger. «Porte-flingue, peut-être» ; de la présidence, ce n'est pas sûr. Bien que portant le titre d'ambassadeur, «l'envoyé spécial» reçoit-il ses instructions du ministre, Ramtane Lamamra, dont on le dit proche, et doit-il lui rendre compte ? Ses sorties intempestives, dont on peut deviner qu'elles sont dûment autorisées, font de lui l'alter ego du chef de la diplomatie qui, en principe, est le seul membre du gouvernement autorisé à s'exprimer sur les questions diplomatiques majeures. Il peut s'agir d'une division du travail et d'une répartition des tâches entre les deux responsables, le ministre gardant une certaine distance et laissant à «l'envoyé spécial» les basses besognes. Mais l'explication la plus plausible est que Belani est «l'homme des généraux», échappant totalement à l'autorité du président et, a fortiori, du Premier ministre et du ministre des affaires étrangères. L'opacité du «système» algérien ne permet pas de trancher dans un sens ou dans l'autre. Ce qui est sûr, c'est que le rôle du «méchant» est dévolu à l'ancien ambassadeur. Homme du clan Bouteflika, Belani a été un temps éloigné, avant de reprendre du service avec la fougue d'un converti. Auparavant, il a été à la tête de plusieurs ambassades, où il n'a pas laissé un souvenir impérissable. Terne et effacé, il errait dans les réceptions, réduit au rôle de figurant, accompagnateur plus qu'acteur. Il a pris de l'assurance dans ses fonctions de porte- parole du ministère des affaires étrangères, fonctions qui lui ont valu le surnom de «démenteur», décerné en 2012 par El Watan. «Amar Belani, infatigable démenteur, ne confirme aucun fait et ne donne aucune information, il dément et telle est sa fonction, qu'il remplit admirablement» écrivait le journal. Soudain dopé et hyperactif, Belani, entre deux démentis, trouvait le moyen de «clarifier». Il expliquait en effet en 2013 que « L'Algérie est un pays voisin qui n'est pas partie au conflit du Sahara Occidental, mais qui a une position constante adossée à la légalité internationale et qui découle de son propre itinéraire historique.» Un pays qui, tout de même, héberge sur son territoire un mouvement terroriste qui agresse un pays voisin. Mufleries Récompensé par une nomination à Bruxelles, Belani s'y est égosillé pendant sept ans contre son collègue marocain, avant d'être rappelé à Alger pour une longue traversée du désert. Contraint à l'inactivité, il s'est essayé à l'analyse diplomatique et à la prospective, avec des résultats désastreux. On garde notamment en mémoire une de ses chroniques, qu'il a commise en 2021 et qu'il a fait publier par Algérie-patriotique, un site électronique d'une haute tenue intellectuelle comme chacun sait. Fidèle à son habitude, le personnage a encore une fois eu recours à ses pratiques favorites, l'amalgame, l'inversion des rôles et les contrevérités, le tout dans un style de charretier. Mais ce que l'on retient surtout ce sont la finesse de l'analyse, la justesse des prévisions et la perspicacité, qualités fondamentales du grand diplomate visionnaire. Entre autres annonces prémonitoires, la palme revient sans doute à celle-ci : «le ministre [des affaires étrangères du Maroc] s'emploie désormais à trouver une sortie de crise en faisant des appels du pied désespérés à l'Espagne (qui n'est pas le maillon faible, comme il vient de l'apprendre à ses dépens)». Si tous les «diplomates» algériens sont de cette trempe, l'Algérie a du souci à se faire. Dix mois après les prophéties de Belani, la question se pose : qui a eu tout faux ? Qui a appris, «à ses dépens», que l'Espagne n'est pas le maillon faible ? Quel pays, qui, faut-il le rappeler, «n'est pas partie au différend du Sahara», a convoqué précipitamment en consultation son ambassadeur à Madrid (et devra tôt ou tard le renvoyer à son poste, toute honte bue) ? Belani, obstiné, continue à donner de la voix. Aura-t-il encore l'impudence de prétendre que «L'Algérie n'est pas partie au conflit du Sahara» ? Chacune de ses sorties prouve le contraire mais il persiste, signe et s'enfonce. C'est ce qu'on appelle de la constance. «La diplomatie est une science mais qui n'a jamais cessé d'être un art» nous dit-il, en citant Richelieu. Bravo l'artiste ! Hier «démenteur», aujourd'hui menteur. Hâbleur patenté et mal élevé, Belani est un grossier personnage. Cembrero, déjà cité, écrit que «Belani est le responsable algérien le plus vilipendé par la presse marocaine». Au Maroc, plus que la méchanceté gratuite, plus que la mauvaise foi et plus que la bêtise crasse, ce qui nous hérisse le plus, c'est la mauvaise éducation. Sur ce point, pour retourner le compliment à son auteur, le selham de certains pseudo-«diplomates» algériens est «un tissu de mufleries qu'ils tricotent inlassablement».