L'année qui s'apprête à finir a été féconde en événements considérables, et considérables à tel point que la face de la scène régionale en pourrait être changée. Pour contrecarrer les progrès du Maroc, l'Algérie a rompu ses relations diplomatiques avec le royaume en décrétant la fermeture «immédiate» de son espace aérien à tous les avions marocains. La diplomatie algérienne, moribonde, entretient une atmosphère de duplicité et d'imposture où elle se paye d'illusions, d'expédients et de subterfuges. Ses choix ne déconsidéreraient pas seulement le pays, mais aussi ses traditions, son intérêt national et son honneur. Depuis fin 2019, le régime algérien a choisi d'éluder les difficultés de vie intérieure du pays en attisant des conflits ou des commencements de conflits extérieurs qui, sans mettre précisément en péril la paix régionale, entretiennent l'incertitude et dévoilent l'instabilité des choses. Il y a surtout des malaises de diplomatie. Elle a beau se chercher elle-même, elle a de la peine à se ressaisir, à retrouver son équilibre et sa direction. La politique extérieure algérienne vit au jour le jour, sur une sorte d'expectative publique, provisoirement maintenue tout au plus par l'artifice d'alliances laborieusement maintenues et de complots échafaudés. Le régime algérien, dans ses affaires intérieures, a tout autant de peine à trouver sa voie, à se créer un système de conduite et une politique légitime. Ils a ses difficultés et ses embarras, ses luttes de partis, ses agitations, ses crises d'institutions, d'industrie et de finances. «Tandis que les Algériens se ferment sur eux-mêmes, les Marocains sont bien plus attentifs à l'image qu'ils renvoient à l'international et se font plus nuancés. D'autant que le royaume est plus ouvert au monde extérieur, le régime algérien cultive un nationalisme suranné», avait souligné le chercheur Haoues Seniguer. La diplomatie algérienne est devenue le foyer central de toutes les désordres, de toutes les expérimentations hasardeuses; incarnation de cette politique de fantaisie qui engager de plus en plus le pays dans une voie sans issue. Le retour de Ramtane Lamamra aux manettes en juillet a accentué l'anarchie extérieure du régime algérien, une anarchie peu disciplinée, fondée sur la négation de tous les équilibres, encouragée par un ministre qui cède aux excitations, aux sommations dont il a été assailli depuis sa prise de fonctions à la tête d'une diplomatie désarmée et impuissante, irrité par les liens entre le Maroc et Israël, «Ce rapprochement est un point de bascule», avait souligné au Figaro Khadija Mohsen-Finan. «Il introduit un déséquilibre dans les relations intermaghrébines, puisqu'à partir de là, le Maroc va bénéficier de l'aide d'Israël et des Etats-Unis, sortant d'un tête à tête avec l'Algérie». Ramtane Lamamra, un retour chaotique En juillet, aux affaires étrangères, Sabri Boukadoum a été remplacé par l'ex-diplomate Ramtane Lamamra, déjà chargé de la politique extérieure sous le président Abdelaziz Bouteflika. Sauf que, au fil des mois, ce «vétéran des chancelleries et de la diplomatie multilatérale, notamment en Afrique», non retenu en 2020 pour être l'envoyé spécial des Nations unies en Libye, s'est mué en un vulgaire complotiste acariâtre. Ramtane Lamamra a éconduit tous les émissaires qui lui ont été envoyés pour le prier plus ou moins de revenir à la voie de la raison. Son malheur est que, s'il ne veut pas aller trop loin, il ne sait pas où il veut aller ni où il veut s'arrêter, — s'il se défend de certaines aventures, il est encore trop lié à ceux qui voudraient l'y entraîner. Lamamra se sent dans une situation fausse ; il a toutes ces perplexités de l'indécision et de la faiblesse qui caractérisent le régime qu'il sert. Le 24 août, Lamamra annonce la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc, en raison d'«actions hostiles» du royaume à l'égard de l'Algérie. Il a justifié cette décision en affirmant que «l'histoire avait montré que le royaume du Maroc n'a jamais cessé de mener des actions hostiles à l'encontre de l'Algérie». «La propagande et les services de sécurité marocains mènent une guerre ignoble contre l'Algérie, son peuple et ses dirigeants en lançant des rumeurs et en diffusant des informations malveillantes et incendiaires», a ajouté le ministre. Si la diplomatie marocaine a regretté une décision «complétement injustifiée» de l'Algérie, en rejetant «les prétextes fallacieux, voire absurdes, qui la sous-tendent», elle ne s'attendait à ce que la dérive complotiste algérienne s'étende à un point inattendu. Fin juillet, le roi Mohammed VI, avait déploré les «tensions» avec l'Algérie, invitant le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, «à faire prévaloir la sagesse» et à «œuvrer à l'unisson au développement des rapports» entre les deux pays. Mais la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le territoire du Sahara et l'épopée de Guerguerat avant quelques semaines ont provoqué une dure amertume algérienne. Le 17 août, le Haut Conseil de sécurité, dirigé par le président algérien avait décidé de «revoir» les relations avec le Maroc, accusé d'être impliqué dans les incendies meurtriers qui ont ravagé le nord du pays, faisant au moins 100 morts. Même en Europe, ces accusations ont provoqué des réactions consternés et un dédain général. Le président Tebboune a affirmé que la plupart de ces incendies étaient d'origine «criminelle» – sans que ne soit présentée jusqu'à présent la moindre preuve. Puisque ne l'arrête, il a souligné que l'enquête a permis de «découvrir qu'un réseau criminel classé comme organisation terroriste» est derrière les incendies, «de l'aveu de ses membres arrêtés», selon la Direction générale de la sûreté nationale. Des aveux téléguidés. Plus surprenant encore, Lamamra, pour justifier la rupture avec le Maroc, a énuméré une longue série de griefs qui remontent jusqu'à la «guerre des sables», en 1963 – où il indique pour la première fois que 850 Algériens sont morts dans les combats, avant d'accuser Rabat de soutenir le MAK (Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie) et les islamo-conservateurs de Rachad, officiellement classés comme des mouvements «terroristes». Dépression algérienne Ce qu'il y a de plus caractéristique, c'est que dans ces incohérences, aussi turbulents et aussi vains que faux, il n'y a pas seulement le dédain de la vérité, l'oubli de toute lucidité politique dans les affaires extérieures, mais également une sorte de dépression du sentiment algérien, une trahison futile des traditions de sagesse d'un grand peuple. Les questions les plus élémentaires sont subordonnées à de petites stratégies, à de petites combines, même à de simples calculs momentanés, à des impatiences de représailles, ou à de lourdes défiances à l'égard de certains événements. Le régime algérien sacrifie tout à la passion du moment, tout est traité à l'aventure, sans réflexion et sans prévoyance. Ramtane Lamamra et ses collaborateurs se sont laissé aller, dans leurs déclarations récentes, à bien des théories fumeuses sans se croire obligés à mettre quelque réserve dans leur langage. Dans les cercles diplomatiques occidentales, on estime préoccupant que des affaires aussi graves, aussi délicates puissent être traitées avec cette légèreté, que la diplomatie algérienne rebondisse sans s'inquiéter des conséquences de ses choix, sans songer aux difficultés de toute sorte qu'ils peuvent créer ; mais la vraie question n'est pas encore là, elle est dans le fond des choses. Sans doute, le danger de cette animosité algérienne envers le Maroc et même la France est devenue une chaîne pour le pays, qui est plus coûteuse que profitable. Assurément, la diplomatie algérienne, telle qu'elle a été conduite cette année, a eu bien des fautes commises à tous les instants. Elle avait probablement la possibilité d'éviter ou de détourner des complications auxquelles elle a laissé le temps de s'aggraver. Au lieu de mettre quelque prudence dans ses partis-pris téméraires et médiocrement conçus, elle a couru les aventures, engageant l'Algérie plus qu'on ne l'avouait, troublant sans cesse son voisinage direct, compliquant tout sans réflexion. C'est une histoire malheureusement assez connue, écrite dans toutes les polémiques, dans tous les théories du complot, dans toutes les annonces déraisonnables. S'il ne s'agissait que recomposer cette histoire des déviations qui se sont succédé depuis le commencement jusqu'à la fin, démontrer une fois de plus ce qui aurait pu être évité et ce qui aurait dû être fait, ce serait bien aisé ; mais ce ne serait plus qu'un procès rétrospectif qui ne conduirait à rien, qui ne serait qu'un tissu d'évidences. Sûrement, le «restera un partenaire crédible et loyal pour le peuple algérien et continuera d'agir, avec sagesse et responsabilité pour le développement de relations intermaghrébines saines et fructueuses», en dépit de tout.